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Un défi de taille pour les membres des sociétés d’État: administrer des organismes de plus en plus complexes

La crise financière de 2008 a fait un fétiche de la « gestion des risques »; or, l’examen des déconfitures avant, pendant et après 2008 montre que ce n’est pas tellement les risques qui furent la source des problèmes, mais une fulgurante complexité, une complexité qui a crû exponentiellement et a vite débordé la capacité du conseil de « gouverner » la société.

Ce phénomène de complexification se manifeste dans presque toutes les organisations, parfois de façon graduelle (par exemple, le changement progressif de la mission de la société), parfois de façon soudaine (par exemple, l’acquisition d’une entreprise dans un nouveau marché).

En raison de leurs décisions stratégiques, de leur quête de croissance des revenus et des bénéfices, les organisations deviennent plus complexes, doivent combiner et maitriser plusieurs métiers, comprendre des marchés différents et moins familiers.

Un conseil d’administration doit évaluer sobrement sa propre capacité à gouverner l’entreprise dont la complexité a bondi en raison de nouvelles initiatives stratégiques. Avons-nous autour de la table du conseil le niveau de crédibilité, le type de compétences nécessaires pour gouverner cette entreprise dans toute sa nouvelle complexité?

Ces questions revêtent une haute pertinence mais ne sont que rarement soulevées au conseil. Des déconfitures célèbres, comme celles d’Enron et de Lehman, sont en partie attribuables à des conseils dépassés (sans trop s’en rendre compte) par le changement de nature de la société.

Ce phénomène de complexité croissant subrepticement se manifeste également dans dans les organisations publiques lorsque celles-ci se donnent ou se font donner de nouveaux mandats faisant appel à des métiers et expertises spécifiques (sans toutefois les conséquences tragiques constatées dans quelques cas célèbres du secteur privé).

Deux exemples québécois récents illustrent bien ce phénomène.

 La Société québécoise des infrastructures (SQI)

La Société québécoise des infrastructures est issue de la fusion en 2013 de la Société immobilière du Québec (SIQ) et d’Infrastructure Québec (IQ). Cette nouvelle société d’État rassemble en son sein deux missions, deux métiers complètement différents, chacun faisant appel à des habiletés et expertises distinctes.

La SIQ en 2013, avec des revenus de $901 millions, administrait l’un des plus grands parcs immobiliers au Québec, soit quelque 347 immeubles en propriété et quelque 700 en location comportant la négociation de près de 900 baux.

La plupart des immeubles sont occupés par des organismes ou ministères du gouvernement.

Par contre, la société IQ était responsable d’une mission bien différente: gérer les grands projets de construction de l’État du Québec. Ce mandat, en  2015-2016, se traduit en la supervision de 84 projets d’une valeur de 16,8 milliards, dont plus de la moitié dans le domaine de la santé, la signature de 6588 contrats avec plus de 2504 contractants différents. La société gère elle-même 66 projets d’une valeur de près de 3 milliards.

Il saute aux yeux que l’on a rassemblé en 2013 deux sociétés distinctes faisant appel à des métiers, des expertises ayant fort peu en commun l’une avec l’autre. Ces situations créent une grande complexité de gestion et de gouvernance. À tout le moins, le gouvernement qui en nomme les dirigeants et les membres du conseil d’administration aurait dû, en consultation avec les deux conseils en cause, établir le profil de compétences que l’on devrait retrouver au conseil de la société résultant de la fusion.

A-t-on fait évoluer la composition du conseil pour y refléter le caractère et la complexité de la société SIQ? L’examen du profil d’expérience des membres du conseil de la SIQ ne permet pas de conclure que cela fut fait.

 La Caisse de dépôt et placement du Québec

 La CDPQ est depuis 1965 un grand gestionnaire de fonds. Depuis une trentaine d’année, la Caisse assume également la gestion d’un grand parc immobilier mais n’agit que très rarement comme développeur.

La Caisse est aussi un important investisseur de capitaux dans le secteur des infrastructures. Son équipe a travaillé comme investisseur à la réalisation de grands projets internationaux depuis 15 ans.

En 2015, la Caisse a pris la décision stratégique d’ajouter un volet à ses activités en créant une filiale, CDPQ Infra, pour prendre pleinement en charge la gestion de grands projets d’infrastructure de transport. Le Réseau électrique métropolitain (REM) est ainsi devenu le premier projet de cette nouvelle vocation de la Caisse.

Il est important de comprendre que la Caisse, dans le cadre de ce projet et d’autres projets à venir, n’est pas un simple investisseur financier mais devient « le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre pour la phase de réalisation des projets ».

Selon le projet de loi autorisant la Caisse à devenir un gestionnaire de projets :

« La Caisse assumera l’ensemble des risques de construction du projet …en particulier: choix des fournisseurs; risque de conception; choix technologiques; risques géologiques; coûts de construction; délais; remplacement des contractants; mise en service; assurances. La Caisse assumera l’ensemble des risques d’exploitation du projet…en particulier : durée de vie; coûts d’opération; coûts de maintenance; réhabilitation; revenus; assurances. »

 La Caisse a prévu un ensemble de mesures de gouvernance pour chaque projet et pour CDPQ Infra dans son ensemble. Ces mesures nous semblent adéquates. Toutefois, notre interrogation porte encore une fois sur les modifications au profil de compétences recherchées pour le conseil de la Caisse. Cette nouvelle vocation, qui fera en sorte que le conseil devra donner son approbation à de grands projets comportant un ensemble de risques nouveaux et inédits, devrait mener à une recherche d’expertises en ce domaine pour siéger au conseil de la Caisse.

Peut-être est-ce déjà fait mais il serait utile que l’on en soit informé.

 

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que les auteurs

Gouvernance et compliance, les nouveaux défis de l’entreprise

Si la notion de bonne gouvernance est entrée dans les mœurs des entreprises françaises, il n’en est pas forcément encore de même pour celle de compliance. Pourtant, celle-ci constitue un atout majeur en termes de compétitivité et d’image.

Il y a une dizaine d’années, les entreprises et le droit français ignoraient tout de la gouvernance. Ce concept anglo-saxon est venu questionner l’organisation interne des sociétés. Il est alors devenu important de réfléchir à la forme que pourraient prendre les organes de direction de l’entreprise, comme un président de conseil d’administration effacé et un directeur général fort, et inversement. De même, quant à la nature des organes de contrôle de la société, avec un choix à faire entre l’instauration d’un conseil d’administration ou d’un conseil de surveillance.

Par ailleurs, l’émergence de la notion de gouvernance est allée de pair avec la recherche de bonnes pratiques d’entreprise, essentielles pour accroître l’efficacité de celle-ci. Il s’agit alors de rechercher la création de valeur pour les parties prenantes de l’entreprise via le développement d’un capital financier, mais aussi humain.

Parmi ces bonnes pratiques figure également la volonté d’assurer une certaine transparence en termes de rémunération des dirigeants1.

(1) « Le système de rémunération basé sur les stock-options fait des ravages », Yvan Allaire, La Tribune de novembre 2012.

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L’indépendance des administrateurs: la Cour suprême du Delaware change la donne

Les Bourses, les autorités réglementaires et les gouvernements (pour les sociétés d’État) ont défini de façon précise les critères formels permettant de déterminer si un administrateur se qualifie d’indépendant ou non. Et ces définitions sont similaires, voire identiques, dans la plupart des juridictions ou grandes Bourses du monde occidental. Elles se fondent habituellement sur l’absence de relations d’affaires entre l’individu ou ses proches et la société concernée. Ainsi, la loi sur la gouvernance des sociétés d’État stipule:

« Un membre se qualifie comme [indépendant] s’il n’a pas, de manière directe ou indirecte, de relations ou d’intérêts, par exemple de nature financière, commerciale, professionnelle ou philanthropique, susceptibles de nuire à la qualité de ses décisions eu égard aux intérêts de la société ».

Ce concept d’indépendance, tout facile à établir soit-il, n’est pas très intéressant. On est vite tenté d’y ajouter la notion d’indépendance d’esprit, certes plus utile mais impossible à établir par qui ne siège pas au conseil. Les mesures de « bonne gouvernance » pour l’indépendance des membres du conseil s’en remettent donc à des critères formels facilement appréciables.

Or, le 5 décembre 2016, la Cour suprême du Delaware a rendu une décision(dans la cause Sandys v. Pincus) qui ouvre la porte à ce que les Cours puissent évaluer l’ensemble des faits, le contexte, afin de décider si une personne, qualifiée de membre indépendant, l’est bien en réalité.

Dans ce litige mettant en cause une société avec un actionnaire de contrôle, la Cour a considéré le fait qu’un administrateur (qualifié d’indépendant selon les règles du NASDAQ) ne l’était pas parce que celui-ci et l’actionnaire de contrôle étaient copropriétaires d’un avion privé. La Cour a estimé que ce fait indiquait une forte proximité entre les deux individus ainsi que des liens personnels entre eux et leurs familles. Aussi, la Cour a statué que cet administrateur ne pouvait agir de façon indépendante de l’actionnaire de contrôle, que de telles relations pourraient « influencer fortement la capacité d’un être humain à exercer un jugement impartial »2.

L’indépendance des administrateurs : la Cour suprême du Delaware change la donne. Le Juge en chef, Leo E. Strine Jr., précise que « la notion d’indépendance du Delaware est contextuelle et n’épouse pas parfaitement celle des Bourses dans tous les cas »3.

Selon cette décision d’une Cour influente (près de 65% des sociétés du S&P 500 sont sous la juridiction du Delaware), la notion d’indépendance, en cas de litiges du moins, doit comporter l’examen des relations sociales et des relations d’affaires entre les membres du conseil, tout particulièrement, s’il y a lieu, avec un actionnaire
de contrôle siégeant au conseil.

L’influence de la Cour du Delaware est considérable et cette décision récente pourrait trouver écho devant d’autres tribunaux. Les membres de conseil d’administration doivent prendre bonne note de ce développement juridique.

Voir Sandys v. Pincus, No. 157, 2016 (Del. Dec. 5, 2016)

Traduction libre des auteurs

Traduction libre des auteurs

La technologie «Blockchain» remet-elle en question certains modèles d’affaires et la gouvernance des entreprises?

La chaîne de blocs « blockchain » est le nouveau mot à la mode. On vante les mérites de cette technologie, certains spécialistes prévoient même qu’elle aura une incidence aussi importante pour le monde des affaires que l’introduction de l’ordinateur personnel ou la démocratisation de l’Internet. De quoi s’agit-il exactement, et en quoi est-ce un enjeu en matière de gouvernance?

La technologie « Blockchain » : les avantages, mais aussi les défis à surmonter

Le terme blockchain provient essentiellement de la représentation schématique que nous pourrions dépeindre de cette technologie, soit une base de données où les maillons de la chaine sont additionnés de façon séquentielle par blocs de transactions. Le résultat consiste en un registre distribué parmi tous les noeuds du réseau, et chaque noeud détient, maintient et met à jour le système. Chaque transaction est cryptée et enregistrée de façon permanente dans le registre.

De façon simplifiée, imaginons une transaction entre deux individus. La transaction est inscrite au registre (dans un nouveau bloc), encodé à l’aide d’une fonction cryptographique. Chaque transaction inscrite est horodatée, et contient l’information spécifique à la transaction, de même que le lien séquentiel avec les transactions précédentes (dans le cas d’un actif, c’est ce qui permet la traçabilité,
l’historique de toutes les transactions associées à l’actif en question dans le temps). Le bloc est distribué à tous les noeuds du réseau, dont les ordinateurs valideront le contenu par consensus (un mécanisme mathématique convenu). Une fois validé, le bloc est ajouté de façon linéaire et chronologique à la chaîne, créant un enregistrement historique et permanent de la transaction. Ainsi, tous les utilisateurs ont accès à une seule source commune, véridique et authentifiée, contenant la transaction et son historique.

L’utilisation la plus connue demeure le Bitcoin, cette crypto-monnaie lancée en 2008, dont la technologie sous-jacente laisse maintenant entrevoir de nombreuses applications. En effet, comme nous l’avons vu dans l’exemple précédent, les blockchains assurent la transparence et l’immuabilité, car les transactions ne peuvent être modifiées ou effacées. Les utilisateurs ont la certitude que les
transactions seront toujours exécutées selon le protocole entendu, assurant l’intégrité du processus, et garantissant ainsi des données complètes, cohérentes, précises et disponibles en temps opportun. Dans le cas d’un actif (un tableau, une maison, etc.), il est donc possible de suivre sa trace depuis le début, éliminant les risques de contrefaçon ou de vente en double, puisque les utilisateurs du blockchain peuvent s’assurer que celui qui s’affiche comme détenteur d’un bien le possède vraiment. Par sa nature distribuée, le blockchain n’a pas de foyer central, et se veut donc plus sécuritaire face aux attaques malicieuses.

Éventuellement, les blockchains pourraient contribuer à une réduction importante des coûts unitaires de transaction puisque la surveillance d’un intermédiaire de confiance ne serait plus nécessaire. Et c’est là que réside le caractère innovateur principal de cette technologie qui persuade certains futuristes enthousiastes de la disparition prochaine des banques traditionnelles, des auditeurs, des maisons de courtage et de nombreux intermédiaires de cette nature!

Nous sommes toutefois loin de cette vision d’un monde transformé aussi radicalement. En effet, les acteurs des milieux financiers étudient avec soin depuis déjà un certain temps comment les blockchains influenceront leur modèle d’affaires, et la création de blockchains privés semble la voie qui sera retenue par plusieurs de ces intervenants. Dans les faits, cela signifie possiblement une révolution pour leurs opérations, mais les économies de coûts de transaction associées à ce changement risquent fort bien de ne pas être transférées en totalité aux utilisateurs ou clients. Des changements sont à prévoir, mais l’adoption à grande échelle de blockchains publics se heurte présentement à certains défis.

En effet, comme toute technologie naissante, des difficultés inhérentes sont rencontrées. Le processus de vérification des transactions, par exemple, et la façon de rémunérer les « mineurs » (ceux qui participent à la validation des transactions sur le réseau du blockchain) font partie des difficultés identifiées. Les cryptomonnaies ne sont pas encadrées par des banques centrales, et les contrats intelligents ne sont pas assujettis à un environnement légal précis, ce qui rend le cadre réglementaire pour l’exécution de ces contrats incertain.

À court terme, les blockchains se heurtent à une difficulté bien humaine : l’adoption culturelle. La confiance des utilisateurs dans la technologie pour remplacer une tierce partie qui assurait l’intégrité des transactions n’est pas gagnée!

Bien sûr, pour les entreprises, les investissements initiaux peuvent aussi représenter un certain élément dissuasif, ceux-ci s’ajoutent aux coûts d’intégration aux systèmes existants, lorsqu’il ne faut pas les remplacer intégralement.

Bref, la révolution annoncée par l’introduction des blockchains n’est pas encore assurée, du moins à court terme. Ceci dit, les avantages de la technologie sont bien présents, et les administrateurs de sociétés tant privées que publiques devraient poser les bonnes questions et s’assurer de bien comprendre comment les blockchains peuvent influencer le cours normal des affaires de leur organisation.

Ainsi, il faudra obtenir des réponses notamment aux questions suivantes:

  • Peut-on tirer profit de cette technologie? Quelles transactions ou quelles ententes contractuelles sont les plus susceptibles d’être transférées sur un blockchain?
  • Notre modèle d’affaires est-il menacé? Sommes-nous un intermédiaire de confiance pouvant être remplacé par un blockchain?
  • Nos clients et/ou nos fournisseurs seront-ils touchés par cette technologie (la disparition ou la transformation de clients ou fournisseurs est à prévoir)?
  • Nos concurrents travaillent-ils déjà sur l’intégration d’un blockchain?
  • Aurions-nous des investissements à anticiper en prévision de l’intégration de cette technologie? Quel sera l’impact sur les budgets approuvés?
  • Quel est l’horizon temporel prévisible pour l’arrivée de cette technologie dans notre industrie?

Les blockchains et leur utilité en gouvernance

Un des avantages des blockchains est la traçabilité de chaque transaction, et la reconstitution historique des transactions associées à chaque élément transigé. Ainsi, si le protocole le permettait, et si les actions étaient transigées sur une telle plateforme, les entreprises pourraient connaître de façon exacte, à un moment précis dans le temps, l’identité exacte de chacun de leurs actionnaires. David Yermack , de la NYU Stern School of Business, voit d’ailleurs dans cette technologie la solution au problème endémique «d’empty voting», car il y aurait possibilité de suivre chaque vote et de l’associer au détenteur véritable de l’action au moment requis lui conférant le droit de vote. Cette technologie garantirait du même coup l’exactitude du décompte des votes exprimés lors des assemblées annuelles (ou extraordinaires), dont les résultats seraient connus de façon presque instantanée.

L’application des blockchains dans de telles conditions permettrait de distinguer instantanément les transactions d’initiés, et de les rendre publiques dès qu’elles seraient complétées. Bien sûr, la possibilité de tenir un registre précis des actionnaires conférerait aux entreprises le loisir de consulter rapidement la liste et ainsi percevoir si certains investisseurs cumulent des blocs de participation importants sur de courtes périodes, ce qui fournirait un bon signal d’avertissement lors de l’apparition d’actionnaires activistes au registre. Ces derniers seraient sans doute mécontents qu’une telle situation se produise.

Comme toute innovation, les blockchains constituent une occasion unique de transformation pour de nombreuses organisations, mais également une menace à l’équilibre actuel de plusieurs industries. Que le bouleversement annoncé, en totalité ou en partie, se concrétise ou non, l’innovation créera inévitablement des gagnants et des perdants. Il est du devoir des administrateurs de s’informer et de prévoir les conséquences – favorables ou non – des blockchains sur les activités de leur société.

1Voir Yermack, D. “Corporate Governance and Blockchains”, Nov. 28, 2016 (disponible sur SSRN)

« Corporate Governance: The New Paradigm »

[ … ]

« a growing body of academic research has confirmed that short-term financial activists are a major contributor to systemic short-termism in managing businesses and investments. The notion that activist attacks increase, rather than undermine, long-term value creation has been resoundingly discredited. Economists Yvan Allaire and François Dauphin, for example, demonstrated in a series of papers issued by the Institute for Governance of Private and Public Corporations that the “benefits” of activism cited by its proponents were, to the extent not temporary, marginal at best, largely the result of basic short-term financial maneuvers (such as asset sales, spin-offs, buybacks and cost cuts) and not of any superior long-term strategies and may simply constitute a wealth transfer from employees and creditors to shareholders rather than actual wealth creation. »

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Carl Icahn, un loup dans la bergerie?

Depuis son élection, Donald J. Trump, qui deviendra bientôt le 45e président des États-Unis, multiplie les nominations visant à constituer l’équipe du prochain gouvernement américain. Cette période de transition, traçant habituellement les contours des changements annoncés lors du mandat qui s’amorcera, se déroule cette année sous le regard médusé des observateurs de la scène politique américaine, alors que le président désigné, fidèle à ses engagements électoraux, procède à des nominations non conformes à ce qui est habituel et attendu.

Il n’est guère surprenant alors que plusieurs nominations de Trump fassent frémir et suscitent l’outrage des classes politique et médiatique traditionnelles. La nomination récente de Carl Icahn comme conseiller spécial en matière de réglementation se démarque également de la norme. Cette nomination est soit le signal avertisseur d’une massive déréglementation des marchés financiers américains, soit un habile calcul pour faire en sorte qu’une réglementation efficace et nécessaire soit proposée et défendue par un praticien en règle de toutes les manigances pour contourner la réglementation en place. L’annonce, le 4 janvier dernier, de la nomination de Jay Clayton à la tête de la Security and Exchange Commission (SEC, l’équivalent américain de notre Autorité des marchés financiers), nous laisse entrevoir que la déréglementation sera la voie retenue.

Qui est Carl Icahn ?

Carl Icahn s’est démarqué comme un spécialiste des prises de contrôle hostiles durant les années 1980, un actionnaire prédateur (corporate raider) craint par les dirigeants d’entreprise de cette époque. Cette méthode a depuis évolué, et Icahn est devenu le modèle, un parangon de l’actionnaire activiste. Acquérant une petite participation dans une société cotée en Bourse, il réussit à faire pression sur l’entreprise et son conseil de manière si efficace qu’il parvient habituellement à obtenir ce qu’il demande. Des exemples ? Il a forcé Apple à procéder à des rachats d’actions et à verser des dividendes, car il estimait que l’entreprise conservait trop de liquidités dans ses coffres. Il a forcé eBay à séparer et à vendre la division PayPal. Il a été l’architecte de la vente de Family Dollar à Dollar Tree… En fait, ses interventions se comptent par centaines.

Sa façon de procéder est bien connue : il acquiert entre 5 % et 10 % des actions d’une entreprise, envoie une lettre méprisante à l’endroit de la direction actuelle de la société, la lettre faisant également valoir qu’il détient la solution à toutes les difficultés qu’il perçoit dans l’entreprise en question. Si l’entreprise n’obtempère pas immédiatement, il menace de tenir une course aux procurations (proposition d’une liste de candidats — favorables à l’activiste — à l’élection des administrateurs), et si aucune entente n’est possible, il met sa menace à exécution et en sort habituellement gagnant.

Activisme

L’activisme actionnarial est un sujet qui divise. Certains y voient la solution à tous les maux et pensent que les actionnaires devraient s’approprier tous les droits. D’autres y voient la menace d’une pression accrue pour gérer à court terme et le risque d’une expropriation de valeur des détenteurs de titres de dette et des employés au profit des actionnaires.

Dans les faits, les études démontrent que l’activisme actionnarial se présente sous de nombreuses formes, et que les cas où l’activisme crée réellement de la valeur à long terme sont plutôt rares. Ainsi, l’activisme est efficace pour produire un soubresaut à la hausse du prix de l’action à court terme et crée parfois de la valeur pour les activistes eux-mêmes lorsqu’ils réussissent à faire vendre l’entreprise (s’appropriant ainsi la prime à la vente).

Doit-on craindre cette nomination ? Icahn voudra sans doute faire valoir que la SEC, par ses exigences en matière de conformité, astreint les entreprises à engager des coûts exorbitants (et du temps) pour se plier à la réglementation actuelle.

On peut présumer qu’Icahn a certainement joué un rôle important dans la nomination d’une personne partageant ses vues pour présider la SEC. En effet, l’équipe de Trump a déjà annoncé que Jay Clayton, un avocat d’un grand bureau new-yorkais et proche des milieux financiers, sera désigné pour assumer ces responsabilités.

Icahn voudra probablement revoir certaines dispositions mises en avant par la SEC, découlant de l’application de la loi-cadre Dodd-Frank, qui restreignent le champ d’action des activistes.

Ainsi, la réglementation actuelle force les investisseurs à divulguer le fait qu’ils ont accumulé 5 % ou plus des actions d’une société et cette divulgation doit se faire à l’intérieur de 10 jours suivant la date à laquelle le seuil de 5 % a été atteint.

De façon générale, les activistes aimeraient éliminer toute réglementation qui confère un certain pouvoir aux conseils d’administration et souhaiteraient transférer ce pouvoir directement aux actionnaires, les vrais propriétaires selon eux.

Échappatoire fiscale

La pression est forte depuis quelques années pour que la SEC modifie sa réglementation en ce sens. L’accès par les actionnaires au processus de nomination des administrateurs, par exemple, a été un important cheval de bataille des partisans des droits des actionnaires en 2015 et 2016. Ceux-ci militent farouchement pour l’élimination des dragées toxiques, des élections d’administrateurs par échelonnement de mandats, des actions à droits de vote inégaux, etc.

Si le lobbyisme en ce sens ne fait aucun doute, la SEC et le gouvernement américain ont su, depuis quelques années, assurer un dialogue nuancé où sont notamment intervenus certains de ses commissaires influents, et plusieurs autorités importantes en la matière, tel le juge en chef de la Cour suprême du Delaware. La SEC a su maintenir et appliquer l’esprit de la loi Dodd-Frank même si les dispositions retenues jusqu’à présent ne font pas l’unanimité.

Bien que M. Trump ait pris des engagements à ce sujet, Icahn tentera certainement de bloquer toute tentative de fermer l’échappatoire fiscale que constitue le « carried interest », qui confère d’énormes avantages financiers aux fonds de couverture comme ceux de M. Icahn ainsi qu’aux fonds dits de placement privé (private equity funds).

Par contre, Icahn a souvent plaidé pour que le Congrès américain élimine les dispositions fiscales qui offrent d’énormes avantages aux entreprises qui acquièrent une société étrangère dans un pays à faible taux d’imposition sur les profits et qui déménagent dans ce pays (tax inversion), comme l’a fait Valeant en se basant au Québec après l’acquisition de Biovail.

La nomination de Carl Icahn, suivie de celle de Jay Clayton, par Donald Trump envoie aujourd’hui un signal ambigu sur les intentions et la position du nouveau gouvernement en matière de réglementation. Les loups sont-ils dans la bergerie ? On le saura très rapidement.

Rémunération excessive

L’exercice est aussi attendu en début d’année que le Bye Bye l’est en fin d’année (enfin !). Les 100 p.-d.g. les mieux rémunérés au Canada avaient, en moyenne, empoché le salaire annuel moyen d’un travailleur à temps plein à 11 h 47 le 3 janvier. Au-delà de cette symbolique empruntant au modèle de l’horloge, il faut retenir l’écart, sans cesse croissant (de 193 fois en 2015), entre la rémunération des mieux payés et le salaire moyen.

Petit clin d’oeil à ce patronat qui se lance dans le débat sur le salaire minimum à 15 $ l’heure en se pinçant le nez, les 100 personnes les mieux rémunérées avaient déjà en poche, le 2 janvier à 14 h, le salaire annuel moyen d’un travailleur canadien rémunéré au salaire minimum. Cette lecture vient du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), qui en fait un rendez-vous annuel depuis une dizaine d’années.

Sur cet horizon, l’écart a touché un bas de 155 dans le sillage de la Grande Récession. Pour bondir à 190 fois en 2010. Cela vaut pour le top 100. Il n’en demeure pas moins que, dans son ensemble, la rémunération de la haute direction multipliait par 150 le salaire moyen dans le secteur privé au tournant des années 2010, contre un ratio d’à peine 60 à la fin des années 1990. Et cette hyperinflation ne souffle pas qu’au sommet de la pyramide. L’écart est facilement passé du simple au double lorsqu’on aborde la rémunération des cadres de deuxième ou de troisième échelon hiérarchique, a déjà calculé l’Institut sur la gouvernance (IGOPP).

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Les ventes des fleurons Rona et St-Hubert auront fait jaser en 2016

Les ventes de fleurons comme Rona et le Groupe St-Hubert ont beaucoup fait jaser dans les sphères publique et politique en 2016, jetant ainsi de l’ombre sur d’autres transactions réalisées par des entreprises québécoises.

« Un peu partout maintenant, les fusions et acquisitions sont devenues un sujet politique et les politiciens sont interpellés pour intervenir », estime Louis Hébert, professeur de stratégie à HEC Montréal, faisant référence à la montée du protectionnisme constatée aux États-Unis ainsi que dans plusieurs pays d’Europe.

En dépit de ces deux fleurons, le Québec sort gagnant au jeu des acquisitions, selon M. Hébert, puisqu’en 2016, des entreprises comme Alimentation Couche-Tard, Groupe CGI, WSP Global et Groupe Stingray Digital ont continué de prendre des bouchées à l’étranger afin d’asseoir leur croissance.

Certes, le nombre de sièges sociaux au Québec a poursuivi son déclin amorcé depuis plusieurs années pour s’établir à 568 en 2014, selon les plus récentes données de Statistique Canada. Toutefois, cela ne s’est pas nécessairement traduit par une perte d’influence, croit Yvan Allaire, président-directeur du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).

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Rona et St-Hubert ont marqué l’actualité économique

Plus de quatre ans après une première approche ayant provoqué une levée de boucliers, le numéro deux de la rénovation aux États-Unis met finalement la main, en février, sur le quincaillier fondé en 1939 pour 3,2 milliards $, incluant la dette. Deuxième plus important actionnaire de RONA à l’époque avec une participation de 17 %, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) accepte de déposer ses actions. La transaction suscite des inquiétudes, notamment chez plusieurs fournisseurs québécois, qui craignent de perdre un important client.

«Plusieurs gestes posés par la direction de RONA, comme la fermeture de magasins jugés non rentables, l’élimination des franchisés et le rachat d’actions ont eu pour effet de rendre l’entreprise plus attrayante pour un acheteur comme Lowe’s», observe Yvan Allaire, président directeur du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, sans toutefois présumer des intentions du dirigeant Robert Sawyer. Lire la suite

« Pershing Square, Ackman and CP Rail: A Case of Successful «Activism»? »

« Pershing Square, an activist hedge fund owned and managed by William Ackman, began hostile maneuvers against the board of CP Rail in September 2011 and ended its association with CP in August 2016, having netted a profit of $2.6 billion for his fund. This Canadian saga, in many ways, an archetype of what hedge fund activism is all about, illustrates the dynamics of these campaigns and the reasons why this particular intervention turned out to be a spectacular success… thus far.

Governance at CP Rail

In 2009, the Chairman of the board of CP Rail asserted that the company had put in place the best practices of corporate governance; that year, CP was awarded the Governance Gavel Award for Director Disclosure by the Canadian Coalition for Good Governance. Then, in 2011, CP ranked 4th out of some 250 Canadian companies in the Globe & Mail Corporate Governance Ranking1. Yet, this stellar corporate governance was no insurance policy against shareholder discontent.

Indeed, during the summer of 2011, a group of 20 portfolio managers were gathered in a New York City bistro to discuss opportunities in the transportation sector. During pre-diner cocktail, one of the investors spoke critically about the governance of CP. “He was exasperated that the company’s board had not thrown out the chief executive, Fred Green” 2.

That investor admitted that the previous winter had been grueling for rail transportation, but blaming the weather to justify CP’s poor results was, according to him, just another lame excuse made by Fred Green to avoid taking responsibility. His views were shared by many other portfolio managers who turned belligerent about CP’s Board and wondered why no activist fund had yet spotted the opportunity offered by CP. A phone call was made to Paul Hilal, an associate at Pershing Square Capital Management (Pershing Square), an activist hedge fund. That phone call triggered the most highly mediatized proxy contests in Canada. Thou shalt never (henceforth?) underestimate the power of discontented shareholders ». Lire la suite

« A «Successful» Case of Activism at the Canadian Pacific Railway: Lessons in Corporate Governance »

« Pershing Square Capital Management, an activist hedge fund owned and managed by William Ackman, began hostile maneuvers against the board of CP Rail in September 2011 and ended its association with CP in August 2016, having netted a profit of $2.6 billion for his fund. This Canadian saga, in many ways, an archetype of what hedge fund activism is all about, illustrates the dynamics of these campaigns and the reasons why this particular intervention turned out to be a spectacular success… thus far.

In 2009, the Chairman of the board of the Canadian Pacific Railway (CP) asserted that the company had put in place the best practices of corporate governance; that year, CP was awarded the Governance Gavel Award for Director Disclosure by the Canadian Coalition for Good Governance. Then, in 2011, CP ranked 4th out of some 250 Canadian companies in the Globe & Mail Corporate Governance Ranking.1 Yet, this stellar corporate governance was no insurance policy against shareholder discontent.

Pershing Square began purchasing shares of CP on September 23, 2011. They filed a 13D form on October 28th showing a stock holding of 12.2%; by December 12, 2011, their holding had reached 14.2% of CP voting shares, thus making Pershing Square the largest shareholder of the company ».

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Six mesures pour améliorer la gouvernance des organismes publics au Québec

La récente controverse à propos de la Société immobilière du Québec a fait constater derechef que, malgré des progrès certains, les espoirs investis dans une meilleure gouvernance des organismes publics se sont dissipés graduellement. Ce n’est pas tellement les crises récurrentes survenant dans des organismes ou sociétés d’État qui font problèmes. Ces phénomènes sont inévitables même avec une gouvernance exemplaire comme cela fut démontré à maintes reprises dans les sociétés cotées en Bourse. Non, ce qui est remarquable, c’est l’acceptation des limites inhérentes à la gouvernance dans le secteur public selon le modèle actuel.

En fait, propriété de l’État, les organismes publics ne jouissent pas de l’autonomie qui permettrait à leur conseil d’administration d’assumer les responsabilités essentielles qui incombent à un conseil d’administration normal: la nomination du PDG par le conseil1, l’établissement de la rémunération des dirigeants par le conseil, l’élection des membres du conseil par les « actionnaires » sur proposition du conseil, le conseil comme interlocuteur auprès des actionnaires.

Ainsi, le C.A. d’un organisme public, dépouillé des responsabilités qui donnent à un conseil sa légitimité auprès de la direction, entouré d’un appareil gouvernemental en communication constante avec le PDG, ne peut que difficilement affirmer son autorité sur la direction et décider vraiment des orientations stratégiques de l’organisme.

Pourtant, l’engouement pour la « bonne » gouvernance, inspirée par les pratiques de gouvernance mises en place dans les sociétés ouvertes cotées en Bourse, s’était vite propagé dans le secteur public. Dans un cas comme dans l’autre, la notion d’indépendance des membres du conseil a pris un caractère mythique, un véritable sine qua non de la « bonne » gouvernance. Or, à l’épreuve, on a vite constaté que l’indépendance qui compte est celle de l’esprit, ce qui ne se mesure pas, et que l’indépendance qui se mesure est sans grand intérêt et peut, en fait, s’accompagner d’une dangereuse ignorance des particularités de l’organisme à gouverner.

Ce constat des limites des conseils d’administration que font les ministres et les ministères devrait les inciter à modifier ce modèle de gouvernance, à procéder à une sélection plus serrée des membres de conseil, à prévoir une formation plus poussée des membres de C.A. sur les aspects substantifs de l’organisme dont ils doivent assumer la gouvernance.

Or, l’État manifeste plutôt une indifférence courtoise, parfois une certaine hostilité, envers les conseils et leurs membres que l’on estime ignorants des vrais enjeux et superflus pour les décisions importantes.

Évidemment, le caractère politique de ces organismes exacerbe ces tendances. Dès qu’un organisme quelconque de l’État met le gouvernement dans l’embarras pour quelque faute ou erreur, les partis d’opposition sautent sur l’occasion, et les médias aidant, le gouvernement est pressé d’agir pour que le « scandale » s’estompe, que la « crise » soit réglée au plus vite. Alors, les ministres concernés deviennent préoccupés surtout de leur contrôle sur ce qui se fait dans tous les organismes sous leur responsabilité, même si cela est au détriment d’une saine gouvernance.

Ce brutal constat fait que le gouvernement, les ministères et ministres responsables contournent les conseils d’administration, les consultent rarement, semblent considérer cette agitation de gouvernance comme une obligation juridique, un mécanisme pro-forma utile qu’en cas de blâme à partager.

Prenant en compte ces réalités qui leur semblent incontournables, les membres des conseils d’organismes publics, bénévoles pour la plupart, se concentrent alors sur les enjeux pour lesquels ils exercent encore une certaine influence, se réjouissent d’avoir cette occasion d’apprentissage et apprécient la notoriété que leur apporte dans leur milieu ce rôle d’administrateur.

Cet état des lieux, s’il est justement décrit, soulève des défis considérables pour l’amélioration de la gouvernance dans le secteur public. Les mesures suivantes pourraient s’avérer utiles :

1. Relever considérablement la formation donnée aux membres de conseil en ce qui concerne les particularités de fonctionnement de l’organisme, ses enjeux, ses défis et critères de succès. Cette formation doit aller bien au-delà des cours en gouvernance qui sont devenus quasi-obligatoires. Sans une formation sur la substance de l’organisme, un nouveau membre de conseil devient une sorte de touriste pendant un temps assez long avant de comprendre suffisamment le caractère de l’organisation et son fonctionnement.

2. Accorder aux conseils d’administration un rôle élargi pour la nomination du PDG de l’organisme; par exemple, le conseil pourrait, après recherche de candidatures et évaluation de celles-ci, recommander au gouvernement deux candidats pour le choix éventuel du gouvernement. Le conseil serait également autorisé à démettre un PDG de ses fonctions, après consultation du gouvernement.

3. De même, le gouvernement devrait élargir le bassin de candidats et candidates pour les conseils d’administration, recevoir l’avis du conseil sur le profil recherché.

4. Une rémunération adéquate devrait être versée aux membres de conseil; le bénévolat en ce domaine prive souvent les organismes de l’État du talent essentiel au succès de la gouvernance.

5. Rendre publique la grille de compétences pour les membres du conseil dont doivent se doter la plupart des organismes publics; fournir une information détaillée sur l’expérience des membres du conseil et rapprocher l’expérience/expertise de chacun de la grille de compétences établie. Cette information devrait apparaître sur le site Web de l’organisme.

6. Au risque de trahir une incorrigible naïveté, je crois que l’on pourrait en arriver à ce que les problèmes qui surgissent inévitablement dans l’un ou l’autre organisme public soient pris en charge par le conseil d’administration et la direction de l’organisme. En d’autres mots, en réponse aux questions des partis d’opposition et des médias, le ministre responsable indique que le président du conseil de l’organisme en cause et son PDG tiendront incessamment une conférence de presse pour expliquer la situation et présenter les mesures prises pour la corriger. Si leur intervention semble insuffisante, alors le ministre prend en main le dossier et en répond devant l’opinion publique.

1Sauf pour la Caisse de dépôt et placement et même pour celle-ci, la nomination du PDG par le conseil est assujettie au veto du gouvernement.

Un C.A. activiste

La notion de « capitalisme de propriétaires » est dans l’air du temps. Le mois dernier, dans une allocation ayant pour thème les sièges sociaux au Québec, Gaétan Morin, président et chef de la direction du Fonds de solidarité FTQ, s’est fait plus précis en utilisant l’étiquette d’actionnaire propriétaire. Loin d’être tautologique, cette expression nous rappelle qu’en matière de gouvernance, le C.A. des entreprises à contrôle diffus souffre depuis trop longtemps d’un déphasage devenu chronique face à aux prédateurs institutionnels. Il est attendu que les administrateurs sauront s’inspirer de cet actionnariat activiste qui a su se développer au fil des crises et des enjeux débordant la simple valorisation boursière.

Yvan Allaire, président exécutif du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), a publié mercredi une nouvelle réflexion plaçant ce décalage dans un contexte historique et déplorant une perte graduelle de la légitimité de ces conseils coiffant les entreprises sans contrôle majoritaire. Le document d’une dizaine de pages remonte aux années 1980. À cette époque de grandes manoeuvres « corporatives » ayant culminé avec la multiplication des prises de contrôle hostiles empruntant aux acquisitions par endettement suivies d’un démantèlement des éléments d’actif acquis, la synergie s’inversait sous le jeu de l’inflation galopante et de l’essor du marché des obligations de pacotille qu’il fallait bien nourrir.

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« Corporate Governance: looking backward, looking forward »

« Once upon a time, the governance of publicly listed corporations was a friendly, fraternal affair with few requirements and little risk. Then, during the 1980s, a group of funds (leveraged buyout funds) sprouted up claiming that this sort of governance deprived
shareholders of the full economic value of the business they had invested in. Cozy boards and complacent management, these funds claimed, were not motivated to maximize value for shareholders.

Their solution was a dramatic one: this system must be changed by a « revolution » in governance made possible only by the full privatization of these companies. Having access to large pools of funds and the borrowing capacity of the targeted companies, these LBO “revolutionaries” carried out a wave of hostile takeovers of companies and their subsequent privatization. That period was unusual for the large number of transactions – nearly always hostile – to privatize public companies.

This « revolution », which was to some degree successful and did leave a lasting impact on corporate governance, eventually faded away as a result of two events at the end of the 1980s and beginning of the 1990s:

  1. The financing of these LBO transactions relied heavily on another « innovation », namely junk bonds, whose principal protagonist was Michael Milken. However, at the end of the 1980s, a series of financial scandals implicated several major actors in the
    financial world, including Milken himself who was charged and eventually served jail time. This criminal turn of events had the effect of immediately drying up the junk bonds market as a source of financing for LBOs.
  2. Legislators in 30 or so U.S. states, prompted by an electorate that was shocked and outraged by the impact on their communities of these hostile « privatizations », adopted laws giving boards of directors increased authority and leverage to repel any
    unwanted takeover bids.

However, stung by the arguments of LBO funds, boards of directors would henceforth set compensation of senior executives in a way that would motivate them to create economic value for shareholders. That meant, inter alia, generous helpings of stock options so that management would work hard to push up the stock price, pleasing shareholders and ipso facto enriching themselves.

This radical change in executive compensation was strongly supported, and even instigated, at the time by institutional investors. As executive compensation shot up, public companies, beginning in 1992, were obliged to disclose detailed information about the compensation of their five best-paid executives.

Thus, during the 1990s, hostile takeover bids quickly dried up and were replaced by transactions that had become « friendly »1. The aggressive, “hostile” LBO funds morphed into “gentle” Private Equity Funds (PEF).

Board governance reverted to the quiet, collegial nature of the old days, but failing inexcusably to factor in the increased risk of management misbehaviour brought about by a system of compensation now loaded with stock options. This risk went unforeseen until the tornado known as Enron, WorldCom, Global Crossing, et alia caught boards of directors by surprise in 2001.

The American political and regulatory system, sensing that accusations of laxity were forthcoming, adopted the Sarbanes-Oxley (SOX) Act in short order in July 2002. Thus, having interpreted the Enron/WorldCom scandals as being largely attributable to accounting flaws and management malpractices resulting from overly generous incentives, SOX imposed new safeguards, including the following:

  • Independence requirement for audit committee members;
  • Responsibility of audit committees for the quality of internal controls;
  • Explicit responsibility of the CEO and CFO to certify that the financial statements adequately represent the corporation’s financial position;
  • Full disclosure of off-balance sheet transactions;
  • Creation of the Public Accounting Oversight Board;
  • Severe restrictions on other services that audit firms can provide to corporations for whom they assume audit responsibility;
  • More expeditious filing of insider trading reports;
  • The reimbursement of any variable compensation obtained according to financial statements that were subsequently restated;
  • The prohibition of loans to senior management and directors;
  • Longer prison terms for financial fraud.

Not only did the bankruptcies of Enron and WorldCom lead to unusually long prison sentences for the officers of these corporations but board members were required to pay out of their own pockets fines of $13 million and $18 million respectively. Although there was no equivalent jail time or monetary fines in other cases, the Enron/WorldCom sagas triggered a shock wave among the officers and board members of U.S. public corporations.

Having to comply with the SOX requirements, worried about the risks they now ran for any laxity in governance, submerged under an avalanche of measures, standards and principles of « good governance » put forth by committees of experts, security commissions and the stock exchanges, boards of directors engaged in a sweeping reform of the governance of public corporations. Boards would henceforth play their role fully and assert a new (or renewed) fiduciary authority over corporate management.

This phenomenon, which first appeared in the U.S., spread like wildfire to Canada and the United Kingdom, and then more slowly to other developed countries. »

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Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.

L’actionnaire propriétaire

Le président et chef de la direction du Fonds de solidarité a repris le thème des sièges sociaux lundi. De l’allocution de Gaétan Morin, on peut se demander : à quoi bon stimuler l’entrepreneuriat et soutenir la croissance de nos entreprises si leur propriété québécoise reste menacée par le premier actionnaire touriste venu.

L’étiquette d’actionnaire touriste a été popularisée par Yvan Allaire, président exécutif du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP). Gaétan Morin a plutôt évoqué lundi la notion d’actionnaire propriétaire. Mais tous deux font l’éloge d’un certain « capitalisme de propriétaires » et dénoncent la dictature de marchés obnubilés par les rendements de court terme ou imposant leur diktat de l’immédiat.

Cette polarisation appliquée aux prises de contrôle ramène aux décisions législatives venant soit confirmer la primauté de l’actionnaire, soit accorder au conseil d’administration un pouvoir d’intervention tenant compte des intérêts des diverses parties prenantes. L’importance de ce choix du cadre juridique va trouver sa pleine justification lorsque la tentative de prise de contrôle est non sollicitée, voire hostile.

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