28 janvier 2022

Diversité élargie à la direction et aux C.A. des sociétés ouvertes

François Dauphin | IGOPP

En Amérique du Nord, les questions de diversité et d’inclusion se sont manifestées avec beaucoup plus d’insistance depuis quelques années, et les enjeux de représentativité se sont étendus au-delà des questions de genre.

Le Canada, faisant office de pionnier en la matière, a intégré des exigences de divulgation ciblant quatre groupes « désignés », dont le règlement d’application entrait en vigueur en 2020. En sus de la représentation féminine, les sociétés assujetties devaient désormais divulguer des renseignements au sujet des personnes issues de minorités visibles, de communautés autochtones et des personnes handicapées parmi les membres de leur conseil d’administration et de leur haute direction.

Dans un rapport portant sur les données de cet exercice initial en 2020, l’IGOPP a fait un premier recensement de ces renseignements qui ont été divulgués par les sociétés d’incorporation fédérale qui étaient au nombre des sociétés composant l’indice S&P/TSX. Ces données permettaient d’établir le premier jalon à partir duquel toute progression en matière de diversité allait être mesurée.

Puisque nous nous intéressons à l’effet de cette obligation de divulgation sur les choix subséquents des sociétés en matière de diversité, nous avons retenu les 70 sociétés qui avaient à la fois déposé leur circulaire de sollicitation de procuration de la direction au moment de notre collecte de données, et qui étaient également incluses parmi les sociétés ayant divulgué pour la première fois en 2020. Ceci nous permet donc de faire une comparaison directe, et une évaluation de la progression réelle des indicateurs pour les mêmes sociétés entre 2020 et 2021.

Les statistiques obtenues au niveau des conseils d’administration sont résumées ci-dessous :

  • Le pourcentage de femmes occupant un poste au conseil d’administration s’établissait à 31,4 % en 2021, comparativement à 30,0 % en 2020 ;
  • Le pourcentage d’administrateurs qui s’auto-identifient comme appartenant au groupe désigné des minorités visibles atteignait 6,1 % en 2021, comparativement à 4,4 % en 2020 ;
  • La proportion d’administrateurs issus de communautés autochtones est demeurée inchangée à 0,7 % entre 2020 et 2021;
  • Les personnes s’auto-identifiant comme personnes handicapées représentaient 0,7 % des administrateurs en 2021, comparativement à 0,6 % en 2020.

Les statistiques obtenues au niveau de la haute direction sont les suivantes :

  • 26,3 % des hauts dirigeants parmi les sociétés étudiées étaient des femmes, comparativement à 25,5 % en 2020 ;
  • Les personnes s’auto-identifiant comme minorités visibles occupaient 10,6 % des postes de haute direction (8,7 % en 2020) ;
  • Seulement 3 membres des communautés autochtones occupaient de hautes fonctions parmi les sociétés étudiées, soit 0,3 %, un nombre inchangé entre 2020 et 2021 ;
  • Le pourcentage de hauts dirigeants qui s’auto-identifient comme appartenant au groupe désigné des personnes handicapées s’élevait à 0,9 % en 2021, comparativement à 0,6 % en 2020.

L’analyse des résultats mène à un certain nombre d’observations. D’abord, on constate que l’obligation de divulgation a eu un effet immédiat, en particulier sur le pourcentage de membres issus de minorités visibles. En effet, une augmentation relative de personnes issues de ce groupe désigné de 45,2 % dans le nombre d’administrateurs et de 23,8 % dans le nombre de hauts dirigeants entre 2020 et 2021 est directement imputable à cette nouvelle exigence. Cependant, l’effet important constaté au niveau des membres issus de minorités visibles ne s’est pas manifesté avec autant de vigueur pour les femmes.

En l’absence de mécanismes favorisant un renouvellement accéléré des conseils, l’atteinte de cibles en matière de diversité nécessiterait plusieurs d’années. Or, les données de l’étude montrent que plusieurs sociétés ont contourné ce frein naturel par l’élargissement de la taille de leur conseil afin d’accueillir rapidement au moins un membre issu de la diversité. Ainsi, parmi les firmes qui ont ajouté un membre issu de la diversité lors de la dernière année, la taille moyenne du conseil est passée de 10,17 administrateurs en 2020 à 11,07 en 2021.

Ce phénomène est aussi reproduit au niveau de la haute direction alors qu’on observe un élargissement du périmètre de la structure organisationnelle qui est considéré pour définir les cadres qui composent cette haute direction. En effet, les firmes qui ont ajouté un membre issu de la diversité lors de la dernière année ont vu leur haute direction être composée en moyenne de 22,41 dirigeants en 2021, alors qu’on dénombrait en moyenne 20,06 dirigeants pour ces mêmes sociétés en 2020. Dans la grande majorité des cas, on relève que la définition du nombre de hauts dirigeants retenue par le gouvernement fédéral n’est pas respectée par les sociétés étudiées.

Malgré la progression, on constate encore une évidente sous-représentativité de chacun des groupes désignés en comparaison des données disponibles sur la population active. Cependant, on remarque que la nouvelle règlementation a incité de nombreuses sociétés assujetties à fixer des cibles en matière de représentativité des groupes désignés, bien que celles-ci soient souvent amalgamées. Quelques sociétés ont aussi retenu une définition plus large de la diversité que les seuls groupes désignés requis par le règlement. Entre autres, 5,7 % des sociétés étudiées ont divulgué de l’information relative à la présence (ou l’absence) de membres de la communauté LGBTQ+ au sein de leur conseil d’administration
et de leur haute direction.

L’importance accordée à la question de la diversité par de nombreux régulateurs et gouvernements partout dans le monde montre qu’il s’agit d’une réelle préoccupation sociale et politique, et que de nouvelles avenues seront explorées au cours des prochaines années pour accentuer la présence de personnes issues de la diversité au sein des instances décisionnelles des plus grandes entreprises.