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Les ravages du court terme

« Le cri du coeur est venu cette semaine d’un cabinet de services comptables. PwC a dit s’inquiéter de la vision à court terme des actionnaires.

PwC faisait le bilan 2015 de l’industrie minière. Une année « caractérisée par une dégringolade générale ». Les 40 plus grandes sociétés minières ont enregistré collectivement une perte nette pour la première fois. Leur capitalisation boursière a fondu de 37 %, effaçant « tous les gains réalisés durant le supercycle des matières premières ». Le cabinet d’ajouter : « À l’échelle mondiale, on s’inquiète de la vision à court terme des actionnaires, qui se concentrent sur la variation des prix des matières premières et privilégient les rendements à court terme plutôt que l’horizon de placement à long terme indispensable dans le domaine minier. »

[ … ]

Il reste que le diktat de l’immédiat a la vie dure. Il se trouve pérenniser par une politique de rémunération des hauts dirigeants basée sur des indicateurs incitant à la performance à court terme. On pense à un bénéfice par action cible et à un objectif de rendement total pour l’actionnaire. Dans un texte publié au début de juin dans le quotidien français Le Monde, Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’institut sur la gouvernance (IGOPP), a donné en exemple ce choix des dirigeants empruntant la voie facile des rachats d’actions plutôt que de mettre à contribution les liquidités de l’entreprise dans des projets d’investissement et de développement à long terme. En jouant sur le dénominateur, on alimente une hausse du cours de l’action. Ou on compense l’effet de dilution venant de l’exercice d’options provoqué par cette hausse du cours.

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« Canadian Global Champions: Their nature and staying power »

« It is a common lamentation (and a media favourite) to bemoan the passing of large Canadian companies into the hands of foreign owners. Quebec society, for a host of reasons, has been and remains particularly sensitive and reactive to these occurrences.

Yet, no sovereign country can be indifferent to the fact that important economic decisions get to be made abroad and according to the financial imperatives of foreign owners. The situation is even more fraught with political fall-out when the prospective acquirer is pursuing a hostile takeover. Even in the United States, various mechanisms make it very difficult to carry out an unwanted takeover of a company.

This issue acquires more saliency when a foreign takeover targets a so-called «industrial champion». If several are taken over in a short period of time, it becomes a political issue. Back in 2007 after the takeovers in quick succession of Alcan, Falconbridge, Inco and others, the federal government, in response to public outcry, set up the Competition Review Panel. The Panel made several wise recommendations, none of which seems to have been implemented. The crisis, and the public’s attention to the issue, had waned and thus Canada remained wide open to takeovers, foreign or domestic.

Of course, this concern begs the question of what is an industrial «champion» and how many of them are Canadian. Actually, The Institute for Competitiveness & Prosperity (ICP), an independent organization funded by the Government of Ontario, has compiled a list of companies that meet the following criteria:

  1. Public or private companies headquartered in Canada and listed in the Globe and Mail’s Report on Business Top 1000 or in the Financial Post 500 largest companies (by revenues);
  2. With revenues of over $1 billion;
  3. Ranked among the top five companies globally (by revenue) in a specific market segment.

The ICP carried out this analysis for the years 2003, 2008, 2009, 2010 and 2011. Based on the above three criteria, there were roughly 40 companies which qualified as «Global Leaders» in each of those years. But the make-up of that list changes radically over the years.

Staying power

First, let’s consider what happened by 2016 to the 40 companies identified as «champions» in 2003:

  • 11 of them were sold or merged, including Alcan, Domtar, Falconbridge, Inco, Masonite, Moore, Nova Chemicals, and so on;
  • 4 went bankrupt or were re-organized: Abitibi-Price, Nortel, Quebecor World, Tembec.

Of the 25 firms from the 2003 list still going strong in 2016, no less than 15 are controlled corporations, 10 of which through a dual class of shares. Only 10 of the 25 companies still qualifying as industrial leaders were widely held, one-share-one-vote, companies. In fact, two of these ten companies could not be taken over as they are protected by legal provision (Manulife) or their by-laws (CN).

So, of the 25 surviving industrial leaders of 2003, no less than 17 are protected from unwanted takeovers. Of the 15 companies that were dropped from the list of 2003, only one (Quebecor World) had a controlling shareholder.

New arrivals

The last year for which the ICP compiled this list of industrial leaders was 2011. Compared to their 2003 list, there were 18 new companies identified as global industrial leaders. Again, of these 18 companies, 7 were controlled corporations, 3 of which through a dual class of shares. There were an additional 4 companies which could not be taken over because of legal prohibitions of takeovers in their sector of activity (banks and insurance companies, airlines).

So, of 18 additions in 2011, there were 11 companies with a capital structure or a legal environment which supported a long-term management and strategy, relatively immune from the threats and short-term pressures of financial markets.

It is an important policy issue for Canada. How did some Canadian global leaders avoid being targeted by U.S. companies during the years when our currency created instant bargains by reducing considerably the cost to acquire a Canadian company? How did these surviving «Global Champions» curb short-termism and manage to stay as best in class of their respective market segments for over a decade?

Policy makers should heed the message contained in these eloquent data. Ownership and control of key corporations by residents of the country, a capitalism of owners if you want, have important social and economic ramifications. Headquarters are where the strategic decisions are made, decisions that often impact the broader society. Private ownership, dual class of shares or legal prohibitions on takeovers in strategic sectors ensure these decisions are made in Canada and for the benefits of Canadians. »

Le CAC 40, les rachats d’actions et la gestion à court terme

Lors du dernier exercice financier complété, près des trois quarts des sociétés du CAC40 ont procédé à un rachat d’actions. Ces rachats, pour une valeur de quelque 10,7 milliards d’euros, représentaient en moyenne 23 % des bénéfices annuels de ces sociétés. De même, 75,6 % des entreprises américaines du S&P 500 ont racheté des actions au cours du quatrième trimestre 2015, selon FactSet.

Plusieurs raisons sont généralement invoquées pour justifier un rachat d’actions :

  • La société estime qu’au prix actuel, son titre est sous-évalué et qu’il représente donc une aubaine ; du moins ce serait le message que la direction souhaite communiquer aux investisseurs. Cet argument semble peu plausible, puisque l’on constate que ces rachats surviennent souvent lorsque le titre se négocie à un prix proche du sommet du marché boursier (William Lazonick, Harvard Business Review, 2014) ;
  • Les marchés financiers accordent une énorme importance au bénéfice par action (BPA) et à sa croissance. Or, il est possible de provoquer une hausse du BPA en réduisant le dénominateur, c’est-à-dire le nombre d’actions en circulation. Ainsi, en affectant une part importante de la trésorerie au rachat d’actions, la direction espère faire mousser (ou soutenir) le prix du titre de la société. De même, l’exercice par le management d’options sur le titre produit un effet de dilution du BPA, effet que l’on voudra contrecarrer en rachetant un nombre d’actions équivalent au nombre d’actions émises pour l’exercice d’options;
  • La société estime que ses avoirs liquides dépassent la somme requise pour les projets d’investissements rentables dont elle dispose. La trésorerie excédentaire doit alors être distribuée aux actionnaires sous forme de rachats d’actions.

Le rachat de ses actions par une société serait donc soit une mesure d’ingénierie financière destinée à faire mousser le prix du titre, soit un affligeant aveu d’une direction qui ne sait ni ne veut utiliser ces milliards d’euros pour des projets d’investissement et de développement à long terme de l’entreprise…

Mais pourquoi une direction agirait-elle ainsi ?

Rappelons que les systèmes d’intéressement des dirigeants comportent souvent une obligation de performance financière. C’est un fait, déplorable peut-être, que les investisseurs, analystes financiers et médias spécialisés en finance se focalisent sur cet indicateur de performance qu’est le bénéfice par action et son rythme de croissance. Les attentes des marchés financiers quant au BPA ont un effet direct sur la valeur du titre et ainsi sur le « rendement total pour l’actionnaire » (RTA).

Plusieurs entreprises s’engagent sur des résultats spécifiques de BPA d’un trimestre à l’autre. Ces promesses, bien qu’accompagnées de mises en garde quant à leur réalisation, sont généralement reçues comme des engagements formels qu’il vaut mieux ne pas décevoir.

Mimétisme

Pour éviter toute forme de réprimande des agences de conseil en vote de procuration et autres gendarmes de la gouvernance, ou encore tout vote négatif des actionnaires, les conseils d’administration de ces entreprises ont compris qu’il valait mieux aligner la rémunération variable des dirigeants sur des mesures « indiscutables » de performance comme le RTA et le BPA.

A cet égard, le mimétisme observé dans les politiques de rémunération des sociétés occidentales cotées en Bourse n’est guère surprenant puisqu’elles sont soumises aux mêmes impératifs financiers. Tout se passe comme si ces entreprises n’affichaient aucune singularité qui commanderait une évaluation spécifique de la performance de leurs dirigeants sur la base d’indicateurs de création de valeur à long terme et de préoccupation sociétale.

Ainsi, plus de la moitié des entreprises du CAC40 qui ont procédé à des rachats d’actions avaient adopté un régime de rémunération variable dont le critère d’octroi est basé sur l’atteinte d’une cible de rendement total de l’action ou du BPA.

Se peut-il qu’étant donné leur effet bénéfique, à court terme du moins, sur le prix de l’action, les rachats massifs d’actions soient motivés par ce lien entre rémunération des dirigeants et des indicateurs comme le RTA ou le BPA ? Motivés par des programmes de rémunération de cette nature, les dirigeants ont un intérêt économique personnel à atteindre les résultats trimestriels attendus par les marchés financiers. Toute défaillance ferait l’objet de sanctions sévères par les marchés boursiers, et éventuellement attiserait la convoitise des fonds spéculatifs dits « activistes ».

Mesures manipulables à court terme

Ce n’est pas, comme le gouvernement français semble supputer, en fixant des plafonds pour la rémunération des dirigeants d’entreprise que l’on corrigera cette situation. En effet, force est de constater que ce sont des gouvernements de toute orientation, au travers d’instances comme le Conseil de stabilité financière du G20 ou de régulation comme la loi Dodd-Frank aux Etats-Unis, qui ont insisté, à la suite de la crise de 2008, pour que les rémunérations incitatives accordées aux dirigeants d’entreprises soient étroitement liées à des mesures quantitatives de performance.

Peut-on concevoir mesures plus « objectives » et facilement vérifiables que le rendement pour les actionnaires et le bénéfice par action ? Or, ce sont des mesures éminemment manipulables à court terme. Le rachat d’actions est un outil utile à cette fin.

Cette gestion de court terme, décriée par de nombreux observateurs, est un mal qui menace toutes les sociétés cotées. Ce court-termisme est le fruit d’une logique financière implacable. Les modes de rémunération des dirigeants, louangés par les surveillants de la bonne gouvernance parce qu’arrimés à des mesures strictement financières, jouent un rôle critique à cet égard.

Il conviendrait donc de revoir en profondeur les modes de rémunération qui ont cours dans la plupart des entreprises cotées en Bourse.

Le New York Times et la diversité au sein des conseils d’administration

Nous l’affirmons haut et fort depuis au moins 2009. L’objectif d’assurer une forte présence des femmes aux conseils d’administration est une question d’équité et de principe!

Cet objectif n’a pas à être validé par des études empiriques qui démontreraient, au mieux, une corrélation entre le taux de participation des femmes au conseil et la performance économique des entreprises. Or, certains protagonistes d’une plus grande participation des femmes au conseil insistent pour appuyer leur revendication sur un tel argument. De nombreuses études ont été publiées affirmant avoir démontré les effets bénéfiques provenant de l’ajout de femmes au conseil.

Cet argument nous semble inapproprié et oiseux. D’abord, les études de cette nature sont toujours controversées, sujettes à de sérieuses réserves méthodologiques et conceptuelles. La performance économique des entreprises est le résultat de multiples facteurs ; il est donc bien difficile d’isoler l’influence d’un facteur en particulier.

Puis, qu’arriverait-il si une étude bien faite (ou aussi mal faite que les autres) concluait que la participation accrue de femmes au conseil donne des résultats insatisfaisants ou concluait que cette variable n’a aucune influence sur la performance économique d’une entreprise? Devrait-on rebrousser chemin et arrêter les efforts entrepris pour faire progresser la participation féminine aux conseils?

Or, justement, le New York Times faisait état récemment d’une étude menée auprès des 100 plus grandes sociétés américaines par la firme Equilar. Cette société, grande spécialiste de la rémunération des dirigeants, rapporte qu’une présence accrue de femmes aux conseils est associée à une rémunération du PDG qui est de 15 % supérieur à ce qui est payé aux PDG d’entreprises dont le conseil est moins divers. (Gretchen Morgenson, « Where more women are on boards, executive pay is higher », NYT, May 27th 2016)

Encore une fois, cette étude n’a aucune valeur, ne prenant pas en compte la taille, la profitabilité et l’appartenance industrielle des sociétés, trois variables ayant une influence considérable sur les rémunérations des dirigeants. Pourtant le titre de l’article et sa lecture en diagonale pourraient susciter un doute sur la contribution de la diversité aux conseils d’administration.

Cette défaillance méthodologique est également manifeste dans les études aux conclusions plus positives sur les bienfaits de la diversité. Répétons-le : l’augmentation de la participation des femmes aux conseils d’administration de sociétés ouvertes doit être comprise comme une question de principe et d’équité et non pas comme une thèse devant être démontrée par des études empiriques.

André Chagnon et la famille Molson sont désignés Grands bâtisseurs de l’économie du Québec

Dans le cadre de la 4e édition du gala des Grands bâtisseurs de l’économie du Québec, l’IGOPP a rendu, le 19 mai 2016, un hommage à l’implication sociale hors-norme d’André Chagnon ainsi que le mérite exceptionnel de la famille Molson, représentée par Eric Molson.

Depuis 2010 de façon biennale, l’Institut sur la gouvernance (IGOPP) célèbre la contribution exceptionnelle de grands bâtisseurs de l’économie québécoise. Lors de la première édition, nous avons souligné le destin hors du commun de Power Corporation et Paul Desmarais père ainsi que Bombardier et Laurent Beaudoin. En 2012, l’IGOPP a souligné lors d’une grande cérémonie en réunissant pour la première fois les trois grandes coopératives : Mouvement Desjardins, La coop fédérée et Agropur.

Le gala réunissait près de 400 convives, dont plus d’une centaine de présidents d’entreprise et d’entrepreneurs, sans compter les PDG des grandes institutions financières québécoises.

Tous les deux ans depuis 2010, l’IGOPP a souligné la contribution remarquable de sept grands bâtisseurs de l’économie du Québec en rendant hommage à : Laurent Beaudoin, Alain Bouchard, Paul Desmarais, Serge Godin, Stephen Jarislowsky ainsi qu’au mouvement coopératif, en particulier Dorimène et Alphonse Desjardins.

De plus, afin de rappeler aux prochaines générations les efforts d’entrepreneurs qui ont construit des entreprises importantes et durables pour l’économie du Québec, l’IGOPP a inauguré le 29 septembre dernier à la mezzanine du 1000 La Gauchetière la Murale des Grands bâtisseurs de l’économie du Québec, un lieu unique en son genre au Québec, mettant en vedette chacun des lauréats sur de grandes plaques de bronze.

L’IGOPP a donc inscrit André Chagnon et la famille Molson, représentée par John et Eric Molson, à la Murale des Grands Bâtisseurs de l’économie du Québec pour leur réussite économique et leur engagement social .

Pourquoi le Canada a besoin des actions multivotantes

La saga Bombardier, puis la sonnette d’alarme de Couche-Tard ont déclenché derechef dans certains milieux et média un assaut concerté contre les entreprises dont le capital comporte deux classes d’actions. Ces détracteurs se gardent bien de reconnaître une vérité dérangeante : bon nombre de fleurons, de « champions industriels au Canada, sont des sociétés contrôlées, souvent par le truchement d’une double classe d’actions.

C’est la conclusion qu’on peut tirer d’une étude d’un institut de recherche ontarien fort réputé portant sur les entreprises canadiennes capables de s’imposer sur les marchés mondiaux. L’étude, se fondant sur des critères stricts, identifia 77 entreprises canadiennes que l’on pouvait considérer comme des « champions » industriels.

Or, de ce nombre, 33 sociétés étaient cotées en bourse mais sous contrôle d’un actionnaire ou d’actionnaires reliés, dont 19 par le truchement d’une structure à deux catégories d’actions; 16 autres de ces champions industriels étaient des entreprises entièrement privées; seulement 23 étaient des sociétés ouvertes à l’actionnariat diffus. (Flourishing in the global competitiveness game, document de travail 11, Institute for Competitiveness and Prosperity, Toronto, septembre 2008)

Voici donc un argument crucial en faveur des actions à droit de vote multiple que les détracteurs de cette forme de propriété refusent de prendre en compte:

Sans actionnaire de contrôle, sans structure à deux classes d’actions, il n’y aurait tout simplement pas d’industrie aéronautique au Canada. Il n’y aurait pas de C Series pour faire concurrence à Boeing et à Airbus (un exploit hors du commun au Canada), ni de Magna en Ontario (une société à deux classes d’actions jusqu’en 2010), de Rogers Communications, de Teck Resources, de Canadian Tire, de Weston, de CGI, de Shaw et ainsi de suite.

Et pourquoi donc?

Pendant une période comme celle de 2002-2003, alors que le dollar américain valait près de 1,60 $ CA et que le marché boursier était sérieusement déprimé, toutes ces sociétés canadiennes auraient été des aubaines pour des acquéreurs américains. Le Canada serait revenu à son économie de succursales des années 1950.

Fatalement, à un moment ou à un autre, le succès d’entreprises canadiennes aurait attiré des acheteurs étrangers. Pensons à Tim Hortons, Alcan, Falconbridge et tant d’autres. C’est d’ailleurs en raison de ce risque que des secteurs d’activité névralgiques au Canada (banques, entreprises de télécommunications, transporteurs aériens, entreprises médiatiques) sont juridiquement protégés contre une prise de contrôle par des intérêts étrangers.

Fort judicieusement, d’ailleurs! Car le cadre réglementaire canadien est particulièrement propice aux prises de contrôle indésirables, beaucoup plus que le cadre réglementaire américain. Et ne comptez pas sur l’inoffensif Investissement Canada pour contrecarrer une acquisition par des intérêts étrangers.

Les sociétés américaines disposent quant à elles de plusieurs mesures (dont l’efficacité s’effrite graduellement toutefois) pour faire obstacle à une prise de contrôle indésirable (conseils d’administration renouvelables par tranches, pilules empoisonnées à durée illimitée ou autorité du conseil d’administration à « simplement dire non », par exemple). Grâce à ces entraves en vigueur aux États-Unis, Boeing peut poursuivre ses investissements à long terme sans crainte d’une prise de contrôle indésirable dans les moments difficiles (et l’entreprise en a connu plus d’un).

Actionnaires de court-terme

 Un nouveau facteur s’ajoute depuis quelque temps alors que les marchés deviennent peuplés d’investisseurs à court terme et d’analystes obnubilés par le rendement trimestriel des actions et la croissance du bénéfice par action d’un trimestre à l’autre. Ils sont le terreau de jeux financiers pernicieux et dommageables pour les sociétés cotées en bourse, particulièrement si leur actionnariat est dispersé.

Par conséquent, la nouvelle génération d’entrepreneurs américains (et canadiens) ne veut pas seulement se blinder contre les prises de contrôle indésirables : elle veut aussi se prémunir contre la pression qu’exercent tous les trimestres les analystes et les investisseurs à court terme.

Ils prennent exemple de sociétés comme Berkshire Hathaway de Warren Buffett, Ford Motor Company, The New York Times, CBS, UPS, Tyson, Nike, News Corp et Comcast, entre autres (et, ironiquement, d’acteurs du secteur financier du type Blackstone, KKR et Pershing Square!).

Ainsi on observe des sociétés modernes comme Alphabet (c’est-à-dire Google), Facebook, Groupon et Expedia (et, au Canada, Cara, BRP, Shopify, Spin Master et Stingray) émettre deux classes d’actions, l’une constituée d’actions à vote multiple, pour prémunir les fondateurs/entrepreneurs/dirigeants de l’entreprise contre une éventuelle perte de contrôle en plus de les rendre relativement indifférents aux fluctuations à court terme du bénéfice par action et du cours de l’action.

En 2015, selon Proskauer Research (2016), 24 % des nouveaux appels publics à l’épargne (PAPE) aux États-Unis étaient faits par des sociétés dotées d’une structure à deux catégories d’actions. Il s’agit d’une nette augmentation par rapport à 2014 et à 2013, alors que ce pourcentage était respectivement de 15 % et de 18 %.

Il est important de noter une différence importante entre le Canada et les États-Unis quant aux actions à droit de vote multiple. Au Canada, depuis 1987, les sociétés qui émettent des actions à vote multiple doivent adopter une clause de protection (coattail) pour s’inscrire à la Bourse de Toronto. Cette clause vise essentiellement à faire en sorte que si les actionnaires de contrôle décident de vendre leurs actions, l’acheteur est tenu de faire une offre identique à tous les actionnaires de toutes les classes d’actions. Cette disposition, dont on ne trouve pas l’équivalent aux États-Unis, élimine à elle seule un des principaux avantages financiers dont aurait pu jouir un actionnaire de contrôle par le biais d’une classe d’actions multivotantes.

Gouvernance

 De surcroit, les règles qui encadrent la gouvernance d’entreprise de nos jours sont devenues très strictes et très élaborées et comportent l’exigence qu’une majorité des administrateurs soient indépendants de la direction ainsi que de l’actionnaire de contrôle.

Ainsi encadrée, une société à deux classes d’actions jouit d’une latitude nécessaire pour soutenir un plan stratégique à long terme et pour réaliser des investissements audacieux créateurs de richesse et d’emplois. Cet arrangement est sans conteste optimal pour tous les investisseurs : des actionnaires de contrôle, dont les avoirs sont en jeu, assurent, ou supervisent, la gestion de l’entreprise dans une perspective de création de valeur à long terme pour celle-ci.

Évidemment, cet arrangement a un autre corollaire : les « fonds activistes » et autres actionnaires de court-terme (y compris les gestionnaires de portefeuille et les investisseurs institutionnels qui, sans l’avouer ouvertement, privilégient les placements à court terme) ne peuvent pas espérer faire un coup d’argent rapide avec la vente de l’entreprise.

Rendement financier

 Cela dit, le vieil argument du rendement inférieur des sociétés à deux classes d’actions, d’une supposée « escompte » imposée à cette catégorie de titres ne tient plus (à supposer qu’il n’ait jamais tenu). Les données contemporaines sont plutôt convaincantes : ces entreprises ont un meilleur rendement que les entreprises traditionnelles (ou du moins un rendement égal assorti d’un atout supplémentaire : leurs propriétaires et leurs sièges sociaux resteront au pays).

Le tableau suivant contient certaines de ces données tirées d’études récentes (mais portant sur différentes périodes) :

deux classes

Autres avantages des actions à vote multiple

Certaines études américaines – comme celle menée par Jordan et ses collaborateurs (2014) – ont également établi, sans surprise, que les sociétés à deux classes d’actions subissent moins de pression que les autres pour livrer des résultats à court terme, attirent moins d’actionnaires transitoires et sont beaucoup moins exposées aux prises de contrôle hostiles. Selon ces mêmes chercheurs, la croissance des ventes et l’intensité des activités de R. et D. sont aussi nettement plus marquées dans les sociétés dotées d’une structure d’actions à vote multiple.

Un autre chercheur américain (Xu, 2014) a démontré que ces sociétés bénéficient d’un coût d’emprunt inférieur d’environ 17 à 28 points de base à celui des sociétés à classe d’actions unique. Cela tombe sous le sens : les créanciers savent qu’une grande part du patrimoine des actionnaires de contrôle est investie dans l’entreprise (et qu’ils ne peuvent pas facilement vendre leurs actions). Les créanciers ont donc l’assurance que ces actionnaires géreront la société de manière à ne jamais être en défaut de paiement de la dette, car un tel évènement éliminerait une grande partie de leur patrimoine.

Que penser des clauses crépusculaires (sunset clauses)?

Certains sont prêts à reconnaître (à contrecœur) les avantages et les retombées positives d’une structure à deux classes d’actions tant et aussi longtemps que l’entrepreneur/fondateur de l’entreprise en tient les rênes, mais estiment que cette structure devrait être abandonnée dès le départ de cette personne.

Selon cet argument, la structure à deux classes d’actions serait une sorte de concession accordée à l’entrepreneur ayant fondé l’entreprise, mais dont la génération suivante ne devrait pas profiter. C’est là un raisonnement fautif. Certes, la valeur que représente le fondateur de l’entreprise dépasse de loin la contribution pécuniaire des actionnaires plus récents. Cela dit, comme nous l’avons souligné plusieurs fois dans ce texte, la nature des marchés financiers d’aujourd’hui fait en sorte qu’une structure de capital à deux classes d’actions représente un moyen transparent de prémunir la direction d’une entreprise contre les prises de contrôle non souhaitées et contre les agitateurs de tout acabit qui exercent des pressions de court terme sur les entreprises cotées en bourse.

Par ailleurs, il peut sembler opportun de prévoir des circonstances qui donneraient lieu à l’élimination de la classe d’actions multivotantes. Toutefois, les situations sont trop diverses pour  qu’on  puisse  établir  une  clause  crépusculaire  applicable  en  toutes  occasions.

Cependant, il est évident qu’il faut éviter à tout prix les clauses en vertu desquelles la perte du contrôle de la société survient à une date précise et prévisible.

L’entrepreneur fondateur et le conseil d’administration doivent s’entendre en ce qui concerne la suite, la relève de l’entreprise lorsque l’entrepreneur/fondateur devra quitter l’entreprise. Ils doivent aussi déterminer comment les futurs actionnaires de contrôle se prépareront à jouer un rôle efficace dans la gouvernance de l’entreprise, laquelle peut fort bien être gérée par des professionnels qui ne font pas partie de la famille. Des données empiriques semblent démontrer que cette combinaison produit de bons résultats pour tous les actionnaires.

Conclusion

Sauf pour certaines sociétés extraordinairement attrayantes – pensons entre autres à Amazon, dont Jeff Bezos détient toujours 18 % des actions –, il est difficile de nos jours pour une entreprise de réaliser des investissements  audacieux et de mettre en œuvre des stratégies qui se déploient sur plusieurs années sans bénéficier d’une certaine protection contre les pressions exercées à court terme par les marchés financiers. Cette affirmation risque de déplaire à certains acteurs du secteur financier, mais il faut appeler un chat un chat.

Cette réalité implacable doit être reconnue par tous les décideurs, qu’ils soient du secteur privé ou du secteur public. Il ne faut pas se laisser berner par des arguments fallacieux qui ne font que camoufler des intérêts personnels. Un investisseur ayant acheté un panier d’actions de sociétés canadiennes dotées d’une structure à deux classes d’actions aurait obtenu un bon rendement dans les 5, 10 ou 15 dernières années, meilleur en tout cas que celui qu’auraient généré des actions de sociétés à catégorie d’actions unique.

Il ne faut pas non plus se laisser influencer par des sophismes sur la « démocratie actionnariale ». Si l’on veut considérer que les actionnaires devraient être traités comme des citoyens d’une démocratie, alors il faudrait jouer le jeu jusqu’au bout : dans une démocratie les touristes n’ont pas le droit de vote (alors tous les actionnaires de courte durée ne devraient pas pouvoir voter); les immigrants ne peuvent obtenir la citoyenneté et le droit de vote qu’après une période de résidence de plusieurs années (tout en payant toutes leurs taxes cependant); alors l’équivalent serait que tous les nouveaux actionnaires devraient patienter un bon bout de temps avant d’acquérir le droit de vote.

Je ne suis pas certain que les tenants du dogme de la « démocratie actionnariale» ont pleinement réalisé les conséquences logiques de leur position.

Donc, bon nombre des « champions » industriels canadiens sont des sociétés dotées d’une structure à double classes d’actions. De fait, cette structure de capital, qui constitue l’un des piliers de notre secteur industriel, doit être encouragée, valorisée et soutenue, à condition bien sûr que des mesures de protection adéquates soient mises en place pour protéger les actionnaires minoritaires.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.

Bombardier : l’aide d’Ottawa toujours nécessaire ?

Avec la commande ferme de 75 appareils CSeries de Bombardier placée par Delta Air Lines, l’aide financière de 1,1 milliard $ US réclamée par Bombardier auprès d’Ottawa est-elle toujours nécessaire ?

«Oui», répond d’emblée l’analyste Michel Nadeau.

«Bombardier est en période de construction des appareils et pour ce faire, il a besoin de liquidités. Les appareils ne sont payés que lorsqu’ils sont livrés», a expliqué le directeur général de l’Institut sur la gouvernance.

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« Activist hedge funds come to Japan »

« From Japan Today comes an interesting column by Yvan Allaire and Francois Dauphin:

Now foreign investors, holding over 30% of their shares, are unrelenting in their pressure for Japanese companies to adopt American-style governance. New governance codes have been written and Japanese stock exchanges are pushing for their implementation. Foreign money managers and institutional investors stand to benefit from changes in the ethos of Japanese companies which would make them more like American companies in their devotion to shareholder value creation.

That may be the inevitable outcome of a globalized financial market but Japanese promoters of this new governance orthodoxy did not quite understand that “good” governance provides the lever, the entry point for activist hedge funds and their cohort of supporters. These funds thrive, and can implement their standard recipes, only where publicly listed companies have no controlling shareholders and when they can robe themselves with the mantle of defenders of “good” governance.”

And they are now coming to Japan in droves. … »

(…)

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Le vote multiple comme rempart d’auto-détermination économique

L’activisme d’Ottawa et de Bay Street dans le dossier des actions à droit de vote multiple semble davantage motivé par l’intérêt politique que par des soucis de cohérence purement économique.

Dans une entrevue accordée à Michel C. Auger de l’émission Midi info à Radio-Canada, le président du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC), Daniel Thouin, a rappelé, sur la base d’une étude de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), que Bay Street ne semble « pas si allergique que ça aux actions à droit de vote multiple » d’entreprises de la Bourse de Toronto qui sont de « nature canadienne », telles que Power Corporation du Canada et Onex.

[ … ]

Du côté de l’IGOPP, son président Yvan Allaire soutient que « s’il n’y avait pas d’actions à droit de vote multiple, il faudrait trouver d’autres moyens pour s’assurer que les entrepreneurs qui bâtissent une entreprise n’en perdent pas le contrôle lorsqu’ils ont besoin de financement ».

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« Two flawed studies about controlled corporations by ISS and IRRCI »

« The performance of controlled companies has been a contentious issue. For different reasons, various parties have worked hard at convincing the investor class that capital structures other than one-share, one-vote would produce inferior results for shareholders. Consequently, most investment funds frown upon such structures, at best tolerate them, and, at worst, have adopted policies of non-investment in these companies.

The Investor Responsibility Research (IRRC) Institute and ISS, the proxy management firm, have been most strident in their opposition to “controlled” corporations and have produced studies supposedly buttressing their position.

Thus, in October 2012, they published a study purporting to assess the relative performance of controlled and non-controlled companies listed on exchanges in the United States (the S&P 1500 Composite Index).

The study received little notice in the media but circulated widely in the financial community as it claimed that the “findings” demonstrated the inferior performance of “controlled” corporations.

The statistical findings of this so-called research are summarized in the following table (page 8 of their report). »

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Et l’intérêt national?

Drôle de réaction de Québec à cette sortie d’Alain Bouchard. En quoi une erreur de jugement commise il y a 20 ans, alimentant aujourd’hui les tiraillements d’actionnaires sur une problématique de succession familiale, serait-elle d’intérêt national ?

Achat de Rona par Lowe’s, de St-Hubert par Cara… Évoquer publiquement la vente de Couche-Tard relève d’un opportunisme circonstanciel venant d’un entrepreneur pourtant prompt à dénoncer l’interventionnisme de l’État et la trop grande soumission du gouvernement québécois aux groupes de pression. Cette menace d’une hypothétique perte d’un autre siège social dans cinq ans, brandie par un spécialiste des acquisitions hors Québec, ne peut qu’alimenter une sympathie politique également de circonstance. Et comme si, dans l’éventualité, l’acquéreur serait étranger.

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Pourtant, et le directeur général de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), Michel Nadeau, le rappelait encore mercredi, les mentalités changent quant à la présence d’actions à droit de vote multiple. C’est aussi le cas sur la très conservatrice Bay Street, même si la famille Beaudoin-Bombardier goûte encore à la médecine du ratio de droits de vote optimal. Il n’y a pas qu’au Québec où la formule affiche des résultats probants. Empire, Sobeys, Canadian Tire… Les grands actionnaires, comme la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, reconnaissent l’importance de la présence d’un actionnaire de référence.

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Un curieux amalgame nationaliste

Il est de bon ton ces jours-ci de faire un curieux amalgame. Il sert à critiquer Ottawa qui exige de Bombardier qu’elle modifie sa structure d’actionnariat en contrepartie d’une injection de capital payée par les contribuables canadiens.

En gros, le raisonnement qui a toutes les allures d’un sophisme va comme suit : maintenir les actions à vote multiple dans une entreprise, c’est assurer qu’elle soit contrôlée par une famille de chez nous et, par conséquent, qu’elle ne passera pas en des mains étrangères.

Les actions à vote multiple sont aptes à pérenniser le contrôle d’une famille sur une entreprise. Ce n’est pourtant aucunement la garantie que l’entreprise va rester dans le patrimoine économique d’une société, encore moins qu’elle pourra relever les défis renouvelés par un environnement économique en mutation continuelle.

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Ottawa peut s’inspirer de la proposition de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP). Pour voter, un investisseur devrait être détenteur d’actions depuis un an, comme il faut vivre dans un pays un certain temps avant de pouvoir participer aux élections.

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« Japan discovers « good » corporate governance, American style »

« Not so long ago in an age when they were eating the lunch of American corporations, the Toyotas, Hitachis, Sonys, Canon, Hondas were governed in the worst possible way, at least according to the canons of American governance.

Their boards were made up almost exclusively of corporate insiders, with no independent directors, no diversity, no obeisance whatsoever to the diktats of governance gurus and enforcers, no responsiveness to investment funds and financial markets. Of course these were also the days when corporate control resided in keiretsus (or network of interconnected firms and banks). Only 5% of the Japanese companies’ shares were owned by foreign investors in 1990. But “the times they are a changing”.

Now foreign investors, holding over 30% of their shares, are unrelenting in their pressure for Japanese companies to adopt American-style governance. New governance codes have been written and Japanese stock exchanges are pushing for their implementation.

Foreign money managers and institutional investors stand to benefit from changes in the ethos of Japanese companies which would make them more like American companies in their devotion to shareholder value creation.

That may be the inevitable outcome of a globalized financial market but Japanese promoters of this new governance orthodoxy did not quite understand that “good” governance provides the lever, the entry point for activist hedge funds and their cohort of supporters. These funds thrive, and can implement their standard recipes, only where publicly listed companies have no controlling shareholders and when they can robe themselves with the mantle of defenders of “good” governance.

And they are now coming to Japan in droves.

On April 7th 2016, having lost a board fight to Daniel Loeb (head of Third Point LLC., an activist hedge fund known for its aggressive tactics) Toshifumi Suzuki, founder, chairman and chief executive of Seven & i Holdings Co. (owner of the Seven-Eleven chain) resigned his position. The result represents a victory for shareholder activists who have targeted Japanese companies on the back of Prime Minister Shinzo Abe’s corporate governance campaign for businesses to increase shareholder returns. (FT.com, April 7th 2016). »

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Actions à vote multiple: le point de vue de Bombardier

Bombardier comprend mal pourquoi sa structure à deux catégories d’actions, un modèle qui est répandu au Canada depuis les années 40, suscite tant de controverse.

« Du point de vue de Bombardier, nous ne voyons pas pourquoi c’est un débat », déclare à La Presse Sylvain Lévesque, vice-président stratégie chez Bombardier.

« Ce que je vois sur Bay Street, c’est un point de vue qui est intéressé et non ancré dans les faits, ajoute M. Lévesque. Les opinions à la mode ne constituent pas nécessairement de bonnes pratiques. »

Dans son plaidoyer, Bombardier reprend plusieurs des arguments de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), dont elle est membre. En fait, 5 des 16 membres de l’IGOPP sont des entreprises contrôlées par des actions à droit de vote multiple.

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Actions à vote multiple nécessité ou injustice ?

La demande d’aide gouvernementale déposée par Bombardier a relancé le débat sur la légitimité des actions à droit de vote multiple. La sortie d’Alain Bouchard et sa volonté de garder le contrôle d’Alimentation Couche-Tard l’accentue encore. Pour ou contre cette exception au principe « une action, un vote » ?

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Pour Yvan Allaire, professeur émérite à l’UQAM et président exécutif du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), le Québec n’a pas à avoir honte de son affection pour les actions à droit de vote multiple. Au contraire.

« La règle “une action, un vote” n’est pas toujours optimale, surtout dans un monde d’arbitragistes et d’investisseurs militants de toutes natures », soumet M. Allaire, en rappelant qu’il préconise de ne pas accorder de droits de vote aux actionnaires à court terme.

« S’il n’y avait pas d’actions à droit de vote multiple, il faudrait trouver d’autres moyens pour s’assurer que les entrepreneurs qui bâtissent une entreprise n’en perdent pas le contrôle lorsqu’ils ont besoin de financement. »

— Yvan Allaire, professeur émérite à l’UQAM

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Les options pour un propriétaire qui veut assurer la pérennité de son entreprise

La vente récente de St-Hubert à des intérêts ontariens a provoqué de vives réactions au Québec, certains voyant en cette transaction un exemple de perte de contrôle sur notre économie, le retour d’un Québec dominé par des filiales de sociétés étrangères. Évidemment, aucune donnée ne soutient de telles exagérations.

Toutefois, le problème auquel était confronté le propriétaire de St-Hubert est vécu par de nombreux propriétaires d’entreprises québécoises de toute taille qui doivent vendre leur entreprise, faute d’autres options. Selon l’édition 2015 du Palmarès des 500 plus grandes entreprises du Québec [1], on dénombre 74 entreprises à propriété privée comptant plus de 500 employés au Québec. Le journal Les Affaires [2] recense également quelque 300 entreprises privées comptant entre 100 et 300 employés.  Plusieurs de ces entreprises sont dirigées par des gens qui avancent en âge et s’interrogent sur la suite à donner à leur entreprise lorsque la relève n’est pas assurée par des liens familiaux ou des partenaires d’affaires directs.

Dans ces circonstances, quelles options s’offrent réellement à un propriétaire qui souhaite se retirer? La vente à une autre entreprise vient immédiatement à l’esprit, possiblement à des acheteurs québécois qui pourraient profiter de cette occasion. Si aucun acheteur québécois ne se manifeste ou aucun n’est en mesure d’offrir le prix qu’un acheteur provenant de l’extérieur du Québec peut et veut offrir, alors l’entreprise passera sous contrôle étranger. Rien d’anormal ou de singulier en cela.

Pourrait-on concevoir d’autres possibilités pour l’entrepreneur/propriétaire sans relève familiale? Voici au moins deux possibilités d’un intérêt certain dans des circonstances précises. Chacune exige une participation des institutions financières du Québec, des changements à la fiscalité et une promotion active et préventive auprès des entrepreneurs-propriétaires de sociétés privées.

  1. Le rachat par le management

Cette option suppose que la société compte sur une équipe de direction compétente, engagée et prête à assumer les risques d’une opération de rachat comportant un fort endettement pour l’entreprise. Lorsque ces conditions sont réunies, il faut encore assembler un groupe financier voulant financer la transaction. Le Québec compte plusieurs institutions financières qui collectivement peuvent arranger un montage financier pour ce type d’opérations : La Caisse de dépôt, Investissement Québec, Desjardins, le Fonds de solidarité (FTQ), le Fondaction.

Certaines de ces grandes institutions québécoises offrent déjà des programmes favorisant l’utilisation de l’endettement pour le transfert d’entreprise. Le Fonds de solidarité FTQ, par exemple, offre des programmes développés spécifiquement à cet effet. Des partenaires comme Investissement Québec et la Caisse de Dépôt peuvent aussi jouer un rôle important dans de telles circonstances conjointement avec des banques traditionnelles. Bien sûr, ce type d’opération de rachat par endettement ne convient pas à toutes les circonstances et comporte des niveaux d’endettement qui peuvent fragiliser les finances personnelles des acquéreurs et de l’entreprise acquise.

  1. Un transfert graduel de la propriété aux employés

Cette façon de faire suppose que le dirigeant/propriétaire planifie longtemps à l’avance le transfert graduel de ses actions à une fiducie représentant les employés de la société. Le programme américain appelé ESOP (Employee Stock Ownership Plan) propose un mode de transfert de propriété aux employés comportant de nombreux avantages pour les employés et pour le propriétaire-vendeur.

L’ESOP constitue en fait une forme de régime de retraite à cotisations déterminées pour les employés, mais dont les actions sont détenues dans une fiducie, laquelle devient actionnaire de l’entreprise. Le propriétaire vend donc graduellement une partie et éventuellement la totalité de ses actions à cette fiducie qui agit au nom des employés. Cette structure comporte plusieurs avantages, dont la principale, pour le vendeur, est de bénéficier d’importants avantages fiscaux s’il procède la vente de son entreprise en utilisant cette méthode. Ainsi, aucun impôt sur le gain en capital n’est exigible au moment de la vente pourvu qu’il (ou elle) réinvestisse le montant reçu dans des actions ou obligations d’entreprises américaines. Les programmes ESOP sont très populaires aux États-Unis où en 2015 on comptait 7,000 entreprises avec de tels programmes impliquant quelque 13,5 millions d’employés.

Au Québec, une variante similaire est proposée: la coopérative de travailleurs-actionnaires (CTA). Cette structure, mal connue d’ailleurs, comporte des avantages fiscaux intéressants pour les employés qui y participent mais ne s’accompagne pas d’avantages fiscaux ou financiers importants pour le propriétaire-vendeur. Cette option est donc sans intérêt pour un entrepreneur qui souhaite prendre sa retraite dans un avenir plus ou moins rapproché.

Pour rendre une option comme celle-ci attrayante et s’assurer qu’elle contribue à conserver des emplois et des entreprises sous contrôle québécois, il faut faire en sorte que le vendeur y trouve son compte. Il faut également que des institutions financières québécoises veulent participer au financement du rachat des actions dans le cadre de ces structures, le cas échéant.

Ces deux options ne sont pas des panacées; mais il faut bien constater qu’il est temps de s’équiper au Québec de programmes innovateurs pour les entrepreneurs-propriétaires en quête de relève et d’options pour la transmission de leurs entreprises à des intérêts québécois, autant que faire se peut.

La vente de Rôtisserie Saint-Hubert représente donc un salutaire signal d’alarme. Le Québec doit se donner des structures innovantes qui favorisent et facilitent le transfert d’entreprise à des parties prenantes locales, notamment aux cadres et aux employés, souvent premiers responsables du succès des entreprises qui les emploient.

[1] Palmarès des 500 plus grandes entreprises du Québec, Les Affaires, en ligne, consulté le 2 avril 2016.

[2] Les Affaires, Classement des 300 plus importantes PME du Québec, 24 octobre 2015