La rémunération des dirigeants: Comment en sommes-nous arrivés là?
Yvan Allaire et François Dauphin | IGOPPPlusieurs évènements ont façonné le contexte actuel de la rémunération des dirigeants d’entreprises:
- Au Canada, depuis 1992, les rémunérations des 5 dirigeants les mieux payés sont divulguées, ce qui permet des comparaisons entre entreprises et au sein d’une même entreprise;
- Suite aux fiascos à la Enron et aux crises financières comme celle de 2008, un certain nombre de principes de rémunération généralement reconnus (PRGR) ont été proposés et adoptés:
- une proportion importante de la rémunération des hauts dirigeants doit être « à risque », c’est-à-dire qu’elle doit s’arrimer à des mesures de performance financière ou être associée directement à la valeur du titre; en clair, cela signifie qu’une grande partie de la rémunération prend la forme d’options sur le titre ou d’unités dont le prix est lié au prix de l’action;
- le montant total de la rémunération est établi en référence à celui octroyé aux dirigeants d’entreprises dites « comparables »; cette démarche se veut une façon de mesurer la valeur « marchande » du dirigeant, que l’on estime plus mobile qu’à une autre époque.
- Devant cette évolution en matière de rémunération, les conseils d’administration s’en sont remis aux consultants en rémunération pour qu’on leur propose des programmes de rémunération qui soient en conformité avec ces principes;
- Les exigences de divulgation détaillée de ces programmes de rémunération devenus complexes et ingénieux font en sorte qu’aujourd’hui, pour les entreprises du TSX 60 par exemple, la description de tous les aspects de la rémunération requiert en moyenne 35 pages de la circulaire d’information;
- De nouveaux intermédiaires, les conseillers en gestion de procurations, sont apparus pour évaluer, entre autres, ces programmes de rémunération et donner avis à leurs clients, les actionnaires institutionnels, quant à leur vote sur ces questions aux assemblées annuelles;
- Pour accomplir la tâche gigantesque qu’ils assument, ces intermédiaires ont dû se donner des principes de gouvernance simples et faciles à compiler; ainsi en matière de rémunération, ils ont promulgué et imposé les principes décrits plus haut, leur donnant ainsi un statut quasi-réglementaire;
- Dans une tentative pour donner voix aux actionnaires, le principe d’un vote consultatif sur la rémunération fut adopté dans plusieurs pays, soit volontairement, soit par voie législative; or, ce vote consultatif en pratique s’est transformé en appui massif pour les pratiques et politiques de rémunération des entreprises. Négatif en quelques occasions, ce vote a été reçu à juste titre comme un blâme par les membres des conseils visés. Plus rarement encore, les actionnaires ont manifesté leur désapprobation en votant contre l’élection de membres du conseil, en particulier les membres du comité de rémunération (ou de « ressources humaines », selon le cas).
Les conseils d’administration ont bien compris ce contexte :
1. Leurs pratiques de rémunération doivent se conformer rigoureusement aux principes généralement reconnus qui furent décrits ci-haut;
2. Des cibles précises de performance financière doivent baliser les attributions de bonus, options, etc.;
3. Le groupe d’entreprises choisies pour fins de comparaison des rémunérations doit être raisonnable et recevoir l’aval des conseillers en gestion de procurations;
4. Le titre de la société doit montrer une performance positive au cours de la dernière année, idéalement une performance supérieure à un indice pertinent.
En respectant ces conditions, le conseil s’assure d’un avis favorable des agences de gestion de procurations et d’un vote très positif des actionnaires sur les politiques de rémunération de l’entreprise ainsi que pour l’élection des membres du conseil. Cependant, toute déviation de ces conditions devient une source de problèmes potentiels pour le conseil d’administration.
La quatrième condition n’est évidemment pas sous le contrôle total du conseil et des dirigeants, bien que des mesures d’ingénierie financière (rachat d’actions, dividende spécial, vente d’actifs, etc.) puissent soutenir la performance du titre pendant un temps.
Cette démarche de rémunération est devenue la norme et fait en sorte que des niveaux de rémunération que d’aucuns jugent inexplicable et inacceptable ne suscite qu’une agitation de brève durée dans les médias… habituellement.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que leurs auteurs.