La dernière tentation de Hunter Harrison
Yvan Allaire | Lesaffaires.comE. Hunter Harrison a pris sa retraite comme PDG du Canadien National le 31 décembre 2009. Son passage à la tête du CN fut bénéfique pour le CN …et pour sa fortune personnelle.
Au moment de quitter le CN, il détenait des options sur le titre d’une valeur marchande de 77 millions de $ (M$) ; il était le bénéficiaire d’un programme d’actions à exercice restreint d’une valeur de 18 M$ et il reçoit une rente de retraite de 1 590 000 $ par année.
En 2008 et 2009, il a touché une rémunération totale (en espèces) d’environ 10 M$ et en 2009, il a exercé des options d’achat d’actions qui lui ont rapporté quelque 31 M$.
Au moment de sa retraite, il a reçu une somme de 350 000 $US pour le respect d’un engagement de non-concurrence prenant fin le 31 décembre 2011.
De sorte que l’homme qui élève (ou élevait jusqu’à récemment) des chevaux en Floride fait certainement partie des quelque 2000 personnes aux États-Unis dont la fortune dépasse les 100 M$ ; il est donc un membre en règle du 1% au sommet de la pyramide des revenus et de la richesse.
Mais, semble-t-il, M. Harrison déborde d’énergie et voudrait bien mettre à profit sa vaste expérience. Cela est tout à fait humain et bien compréhensible.
Toutefois, l’offre qui lui est faite provient d’un fonds de « couverture », actionnaire activiste et mécontent, qui cherche les moyens de transformer le Canadien Pacifique. Ce fonds offre à M. Harrison de devenir le PDG du CP, devenant ainsi le premier dirigeant du principal concurrent canadien du CN. Que ce fonds spéculatif fasse une telle offre n’a rien de surprenant. On connait bien le sens aigu de l’éthique dans ce milieu. Mais il est par contre incongru que M. Harrison se montre intéressé par cette « opportunité », laquelle consiste à livrer bataille à ses collègues d’hier encore et à consacrer ses efforts à détruire la valeur de l’entreprise qui a fait sa fortune.
Le CN affirme que M. Harrison a pris des engagements qui empêchent son passage au service d’un concurrent direct. Dans l’univers financier où grenouillent les fonds dits de couverture de telles considérations sont dépassées, voire risibles.
Mais dans le monde des gens normaux, dans les secteurs de l’industrie et du commerce, un tel comportement enfreint les règles de moralité et d’éthique les plus élémentaires. En sommes-nous rendus au point où une personne qui a été hautement rémunérée pour diriger une entreprise peut faire le saut chez son concurrent direct sans soulever l’indignation?
Si M. Harrison veut vraiment utiliser son expérience, son talent et son énergie pour une bonne cause, pourquoi n’offre-t-il pas ses services, à titre bénévole, pour venir en aide aux nombreuses sociétés ferroviaires des pays en développement qui bénéficieraient sûrement de son savoir-faire et de son expérience.
(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).