23 septembre 2006

Une commission nationale des valeurs mobilières???

Yvan Allaire | Les Affaires

La recette est éprouvée, le discours convenu, la démarche codifiée. Si vous souhaitez une centralisation des pouvoirs, il vous faut combiner savamment les ingrédients suivants :

  • S’approprier l’argument de la rationalité : simplifier, rationaliser, éliminer les chevauchements, se donner plus de cohérence, harmoniser les interventions, rehausser sa visibilité (à l’international). Depuis les Lumières, cet argument sert bien dans un débat pour peindre les opposants en forces de l’obscurantisme, obstacles au dynamisme des idées neuves, des frileux devant l’inconnu ou, pire, des défenseurs d’intérêts particuliers contraires au bien commun.
  • Invoquer d’importantes économies d’échelle; si possible, faire chiffrer celles-ci par une firme de conseils complaisante dont le rapport sera cité comme une preuve irréfutable;
  • Constituer un «comité de sages» avec des personnes réputées mais dont l’opinion est favorable aux conclusions recherchées; bien médiatiser leur rapport en soulignant leurs impressionnantes biographies;
  • Éviter de consulter (ou à tout le moins, ne pas mentionner) les études (nombreuses) sur le sujet effectuées dans les universités et les centres de recherche dont les conclusions contredisent la thèse centralisatrice.

Cette recette malsaine avec tous ces ingrédients indigestes nous est servie pour appuyer une idée chère aux centralisateurs canadiens : une commission nationale des valeurs mobilières.

Une question préalable surgit spontanément : les investisseurs canadiens sont-ils si mal protégés dans le système actuel?

Malgré les bavures et les bévues qui sont le lot des agences de réglementation même les plus respectées, comme la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine, une étude conjointe de la Banque mondiale et de Lex Mundi, publiée en 2006, classe la Canada au troisième rang pour son efficacité à protéger les investisseurs, après la Nouvelle-Zélande et Singapour et devant les États-Unis (7e rang) et le Royaume-Uni (9e rang).

N’est-il pas évident que treize commissions des valeurs mobilières au Canada, c’est trop. Une seule, ce serait tellement plus rationnel, plus cohérent, comme… aux États-Unis.

  • En fait, quatre commissions provinciales représentent 90% de toutes les transactions au Canada;
  • À l’âge de l’internet et de SEDAR, les rapports exigés par les différentes commissions ne font pas problème pour les entreprises dans la mesure où les commissions établissent une harmonisation des formulaires de déclaration; le concept du «passeport unique» répond justement à cette attente. Il faut noter que la commission ontarienne des valeurs mobilières (l’OSC) est seule à refuser de participer à cette démarche de coordination entre les commissions provinciales.
  • Aux États-Unis, contrairement à un mythe bien entretenu, de nombreux états ont leur propre agence de réglementation des intervenants dans le marché boursier; en plusieurs occasions, les autorités d’un état ont agi plus rapidement et plus efficacement que l’agence centrale, la SEC, par exemple, pour corriger les abus chez les analystes financiers, pour mettre fin à des pratiques douteuses des fonds mutuels. Un des grands scandales des années ’80, les agissements frauduleux de dirigeants de la Prudential-Bache, a été mis à jour grâce à la ténacité des commissions des valeurs mobilières de certains états américains, et  ainsi de suite.

Enfin, n’a-t-on pas vanté les avantages du fédéralisme canadien pour favoriser une adaptation rapide aux conditions propres aux états membres, pour stimuler, par une saine rivalité, l’innovation, pour inciter à la coordination entre tous les intervenants.

Devant les possibilités nouvelles qu’offre la technologie des communications à notre ère, reconnaissant que les marchés financiers jouent des rôles différents d’une région à l’autre au Canada, soucieux toutefois  de réduire la complexité réglementaire, il semble que la formule de la délégation réciproque, proposée sous le vocable de « passeport unique », est la formule qui convient le mieux au Canada. Et c’est une solution respectueuse du pacte fédéral canadien!