Le pouvoir d’achat des PDG d’ici en hausse
La rémunération totale des patrons des grandes entreprises québécoises a bondi de plus de 25% l’an dernier
Sylvain Larocque | Le Journal de MontréalAlors que le travailleur moyen ne cesse de perdre du pouvoir d’achat, plusieurs dirigeants de grandes entreprises québécoises ont eu droit, l’an dernier, à des augmentations de rémunération nettement supérieures à la forte inflation qui sévit actuellement.
La hausse moyenne de la rémunération octroyée aux membres de la haute direction des 10 plus importantes entreprises cotées en Bourse a dépassé 25 % en 2021, indiquent des calculs effectués par Le Journal.
Cette augmentation s’apparente à celle de plus de 23 % constatée par le quotidien torontois The Globe and Mail pour la rémunération médiane des PDG des 100 plus importantes entreprises cotées au Canada. Celle-ci a atteint 9,1 millions $ en 2021.
La situation ne surprend pas le professeur Michel Magnan, titulaire de la Chaire de gouvernance Jarislowsky à l’Université Concordia.
«Les marchés boursiers ont bien performé en 2021, ce qui a amené encore plus de vent dans les voiles dans les régimes de rémunération qui sont basés sur le cours des actions», relève-t-il.
Cibles conservatrices
Qui plus est, la pandémie avait repris de plus belle à la fin de 2020, lorsque les entreprises ont établi leurs cibles financières pour 2021.
«On venait de reconfiner de grands pans de l’économie, alors peut-être que l’image de ce qui s’en venait pour l’année 2021 était très noire. On a donc établi des cibles conservatrices qui ont été, finalement, atteintes facilement», résume François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance.
Le spécialiste explique en outre que les programmes de rémunération ont généralement du mal à isoler la contribution individuelle d’un dirigeant donné à la performance d’une entreprise, de sorte que les émoluments ont tendance à suivre principalement l’évolution des marchés.
«Le problème qu’on constate depuis plusieurs années, c’est qu’on aimerait qu’il y ait une corrélation plus grande entre la rémunération et les éléments qui sont véritablement sous le contrôle des dirigeants», souligne-t-il.
La Caisse laisse passer
Les investisseurs institutionnels, qui s’inquiétaient ouvertement de la croissance marquée de la rémunération des grands patrons il y a quelques années, se font aujourd’hui plus discrets.
«La préoccupation de contrôler la rémunération, c’est encore là, mais ça semble être passé en retrait par rapport à la préoccupation de retenir les équipes de direction», affirme M. Magnan.
Ainsi, la Caisse de dépôt et placement du Québec n’a rien trouvé à redire sur la rémunération des hauts dirigeants de Nuvei, qui a bondi de 2900 % en 2021, et de CGI, qui a crû de 111 %.
Pour François Dauphin, la raison en est bien simple.
«Si ça va bien pour le dirigeant, en général ça va bien pour [l’investisseur institutionnel] comme actionnaire», dit-il.
Un fossé qui s’accroît
Résultat: la disparité entre la rémunération des grands patrons et des simples salariés a vraisemblablement continué de s’accroître en 2021, et ce, même si les travailleurs ont généralement eu droit à des hausses salariales plus généreuses au cours des derniers mois.
Selon M. Dauphin, dans un esprit de bonne gouvernance, les entreprises auraient intérêt à lier davantage la question de la rémunération des dirigeants à celle des inégalités de revenus dans leurs rangs.
«Ce sont des éléments qui devraient être analysés de façon plus pointue par les comités de rémunération au cours des années à venir, estime-t-il. Il y a une sensibilité plus grande. Quand on voit des sommes faramineuses octroyées aux dirigeants, ça produit des réactions viscérales chez les gens.»