Une « occasion ratée » pour Air Canada
Julien Arsenault | La PresseAir Canada demande à ses actionnaires d’approuver ses pratiques de rémunération sans ouvrir son jeu à l’égard d’une promesse faite au gouvernement fédéral, son plus important actionnaire : la place qu’occupera le français dans l’évaluation du rendement de son grand patron, Michael Rousseau.
Le document visant à mettre la table à l’assemblée annuelle du plus important transporteur aérien au pays, prévue le 28 mars, ne fait aucune mention des engagements pris par son président et chef de la direction et la société établie à Montréal – assujettie à la Loi sur les langues officielles.
« On a raté une occasion de faire amende honorable après la crise linguistique de l’automne dernier », estime le directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), François Dauphin.
La circulaire de sollicitation récemment envoyée aux actionnaires d’Air Canada indique aussi que la compagnie établie à Montréal a plafonné la rémunération de ses hauts dirigeants l’an dernier pour respecter les conditions du soutien financier accordé par Ottawa.
Si les primes ont été suspendues en 2021, elles seront de retour cette année.
Automne controversé
Air Canada avait promis que la maîtrise de la langue de Molière ferait partie des critères d’évaluation du rendement de Michael Rousseau dans la foulée du passage controversé de ce dernier devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), le 3 novembre dernier.
Celui-ci avait été contraint de s’excuser et avait promis d’apprendre le français après avoir suscité un tollé en reconnaissant qu’il avait pu vivre paisiblement au Québec, où il est installé depuis 2007, sans parler français – la langue officielle de la province.
« Il ne s’agit pas uniquement d’un engagement personnel de sa part, mais d’un élément qui fera partie intégrante de son évaluation de rendement », avait écrit le président du conseil d’Air Canada, Vagn Sorensen, le 8 novembre dernier, dans une lettre destinée à la ministre des Finances, Chrystia Freeland.
Dans une missive très critique adressée à M. Sorensen, celle-ci avait rappelé que le gouvernement fédéral détenait maintenant 21,6 millions de titres d’Air Canada. Dans ce contexte, Mme Freeland avait notamment demandé que la maîtrise du français de M. Rousseau soit « ajoutée à ses principaux objectifs de rendement ».
Il faudra attendre avant de savoir comment cela s’articulera.
« Les objectifs et mesures ont été fixés au début de l’année, a affirmé Air Canada, dans un courriel. Ceux pour 2022 seront divulgués dans la circulaire de l’année prochaine. »
La résolution sur l’approche de rémunération chez Air Canada est non contraignante puisque le vote est consultatif. Les actionnaires peuvent néanmoins profiter de l’occasion pour envoyer un message à l’entreprise lorsqu’ils sont en désaccord.
Richard Leblanc, spécialiste de gouvernance, de droit et d’éthique à l’Université York, estime qu’il s’agit d’une « occasion ratée » pour l’entreprise établie à Montréal et assujettie à la Loi sur les langues officielles.
Compte tenu de la controverse et de la lettre de Mme Freeland, c’est surprenant que ces détails [concernant la maîtrise du français] ne soient pas dans la circulaire.
Richard Leblanc, spécialiste de gouvernance, de droit et d’éthique à l’Université York
À son avis, Air Canada ne devrait pas tarder à expliquer comment elle entend répondre aux demandes du gouvernement fédéral en matière linguistique.
Lundi après-midi, il n’avait pas été possible d’obtenir une réaction de Mme Freeland.
Le maximum permis
En 2021, quand la compagnie aérienne a affiché une perte d’exploitation de 3 milliards, Michael Rousseau a touché un salaire de base de 500 000 $ et une somme équivalente en attributions fondées sur des actions et options.
Dans le cadre du plan d’aide d’environ 6 milliards conclu avec le gouvernement fédéral en avril 2021, Air Canada ne pouvait verser de primes à ses dirigeants et devait plafonner leur rémunération à 1 million. M. Rousseau a néanmoins vu ses émoluments atteindre 3,7 millions, ce qui tient compte d’une variation de 2,7 millions de son régime de retraite – cela n’était pas encadré par les restrictions gouvernementales.