23 janvier 2017

Un défi de taille pour les membres des sociétés d’État: administrer des organismes de plus en plus complexes

Yvan Allaire et Michel Nadeau | La Presse +

La crise financière de 2008 a fait un fétiche de la « gestion des risques »; or, l’examen des déconfitures avant, pendant et après 2008 montre que ce n’est pas tellement les risques qui furent la source des problèmes, mais une fulgurante complexité, une complexité qui a crû exponentiellement et a vite débordé la capacité du conseil de « gouverner » la société.

Ce phénomène de complexification se manifeste dans presque toutes les organisations, parfois de façon graduelle (par exemple, le changement progressif de la mission de la société), parfois de façon soudaine (par exemple, l’acquisition d’une entreprise dans un nouveau marché).

En raison de leurs décisions stratégiques, de leur quête de croissance des revenus et des bénéfices, les organisations deviennent plus complexes, doivent combiner et maitriser plusieurs métiers, comprendre des marchés différents et moins familiers.

Un conseil d’administration doit évaluer sobrement sa propre capacité à gouverner l’entreprise dont la complexité a bondi en raison de nouvelles initiatives stratégiques. Avons-nous autour de la table du conseil le niveau de crédibilité, le type de compétences nécessaires pour gouverner cette entreprise dans toute sa nouvelle complexité?

Ces questions revêtent une haute pertinence mais ne sont que rarement soulevées au conseil. Des déconfitures célèbres, comme celles d’Enron et de Lehman, sont en partie attribuables à des conseils dépassés (sans trop s’en rendre compte) par le changement de nature de la société.

Ce phénomène de complexité croissant subrepticement se manifeste également dans dans les organisations publiques lorsque celles-ci se donnent ou se font donner de nouveaux mandats faisant appel à des métiers et expertises spécifiques (sans toutefois les conséquences tragiques constatées dans quelques cas célèbres du secteur privé).

Deux exemples québécois récents illustrent bien ce phénomène.

 La Société québécoise des infrastructures (SQI)

La Société québécoise des infrastructures est issue de la fusion en 2013 de la Société immobilière du Québec (SIQ) et d’Infrastructure Québec (IQ). Cette nouvelle société d’État rassemble en son sein deux missions, deux métiers complètement différents, chacun faisant appel à des habiletés et expertises distinctes.

La SIQ en 2013, avec des revenus de $901 millions, administrait l’un des plus grands parcs immobiliers au Québec, soit quelque 347 immeubles en propriété et quelque 700 en location comportant la négociation de près de 900 baux.

La plupart des immeubles sont occupés par des organismes ou ministères du gouvernement.

Par contre, la société IQ était responsable d’une mission bien différente: gérer les grands projets de construction de l’État du Québec. Ce mandat, en  2015-2016, se traduit en la supervision de 84 projets d’une valeur de 16,8 milliards, dont plus de la moitié dans le domaine de la santé, la signature de 6588 contrats avec plus de 2504 contractants différents. La société gère elle-même 66 projets d’une valeur de près de 3 milliards.

Il saute aux yeux que l’on a rassemblé en 2013 deux sociétés distinctes faisant appel à des métiers, des expertises ayant fort peu en commun l’une avec l’autre. Ces situations créent une grande complexité de gestion et de gouvernance. À tout le moins, le gouvernement qui en nomme les dirigeants et les membres du conseil d’administration aurait dû, en consultation avec les deux conseils en cause, établir le profil de compétences que l’on devrait retrouver au conseil de la société résultant de la fusion.

A-t-on fait évoluer la composition du conseil pour y refléter le caractère et la complexité de la société SIQ? L’examen du profil d’expérience des membres du conseil de la SIQ ne permet pas de conclure que cela fut fait.

 La Caisse de dépôt et placement du Québec

 La CDPQ est depuis 1965 un grand gestionnaire de fonds. Depuis une trentaine d’année, la Caisse assume également la gestion d’un grand parc immobilier mais n’agit que très rarement comme développeur.

La Caisse est aussi un important investisseur de capitaux dans le secteur des infrastructures. Son équipe a travaillé comme investisseur à la réalisation de grands projets internationaux depuis 15 ans.

En 2015, la Caisse a pris la décision stratégique d’ajouter un volet à ses activités en créant une filiale, CDPQ Infra, pour prendre pleinement en charge la gestion de grands projets d’infrastructure de transport. Le Réseau électrique métropolitain (REM) est ainsi devenu le premier projet de cette nouvelle vocation de la Caisse.

Il est important de comprendre que la Caisse, dans le cadre de ce projet et d’autres projets à venir, n’est pas un simple investisseur financier mais devient « le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre pour la phase de réalisation des projets ».

Selon le projet de loi autorisant la Caisse à devenir un gestionnaire de projets :

« La Caisse assumera l’ensemble des risques de construction du projet …en particulier: choix des fournisseurs; risque de conception; choix technologiques; risques géologiques; coûts de construction; délais; remplacement des contractants; mise en service; assurances. La Caisse assumera l’ensemble des risques d’exploitation du projet…en particulier : durée de vie; coûts d’opération; coûts de maintenance; réhabilitation; revenus; assurances. »

 La Caisse a prévu un ensemble de mesures de gouvernance pour chaque projet et pour CDPQ Infra dans son ensemble. Ces mesures nous semblent adéquates. Toutefois, notre interrogation porte encore une fois sur les modifications au profil de compétences recherchées pour le conseil de la Caisse. Cette nouvelle vocation, qui fera en sorte que le conseil devra donner son approbation à de grands projets comportant un ensemble de risques nouveaux et inédits, devrait mener à une recherche d’expertises en ce domaine pour siéger au conseil de la Caisse.

Peut-être est-ce déjà fait mais il serait utile que l’on en soit informé.

 

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que les auteurs