Trop payée, la DG de la STM ?
Philippe Mercure | La PresseLe chiffre a choqué bien des gens. Alors que la Société de transport de Montréal (STM) cherche désespérément de l’argent pour combler ses déficits d’entretien, sa directrice générale, Marie-Claude Léonard, a touché une rémunération de 474 000 $ l’an dernier.
Est-ce trop ? Et au-delà du montant, quels critères devraient être utilisés pour déterminer la rémunération d’une dirigeante d’une société comme la STM ? J’en ai discuté avec François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).
Pendant une trentaine de minutes, l’expert m’a parlé des différents facteurs qui influencent une telle rémunération (je vous jure que ça soulève des questions fascinantes). À la fin, j’ai essayé de pousser M. Dauphin à se mouiller. Tout compte fait, Mme Léonard gagne-t-elle trop d’argent ?
« Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Mais même si le chiffre en absolu semble gros, lorsqu’on considère les variables autour, il a peut-être du sens. » (François Dauphin, PDG de l’IGOPP)
« À la lumière des comparables et de l’équité interne au sein même de la STM, ça m’apparaît correct », continue-t-il. L’expert apporte néanmoins deux bémols importants. Le premier, c’est que les comparables sont peut-être trop élevés dans l’ensemble des sociétés de transport, si bien qu’on se retrouve avec un « problème structurel ».
« L’autre aspect, c’est le message qu’on envoie aux gouvernements et aux employés, dit François Dauphin. Si on demande de l’argent aux gouvernements, si on veut faire preuve de frugalité à l’interne et limiter les augmentations de salaire des employés, il peut y avoir un problème de cohérence dans le message. »
Précisons que la STM affirme que le chiffre de 474 000 $ est gonflé par des primes accumulées lors des années précédentes, mais versées en 2024. Il faut aussi savoir qu’un processus de révision de la politique de rémunération était en cours avant même que le montant soit dévoilé par les médias. Le président du conseil d’administration de la STM, Alan Caldwell, dit vouloir s’éloigner des pratiques du privé pour se rapprocher de celles du secteur public.
Il faut en effet reconnaître que la rémunération des hauts dirigeants relève de deux univers distincts selon qu’ils travaillent au public ou au privé.
Marie-Claude Léonard gère une société de plus de 10 500 employés, dotée d’un budget de 1,8 milliard de dollars et d’actifs se chiffrant en milliards de dollars. Si elle dirigeait une entreprise de la même taille cotée en Bourse, sa rémunération serait autrement plus grande.
« C’est certain qu’on serait dans les millions », dit M. Dauphin. Dans une publication à paraître sous peu, l’IGOPP calcule que les présidents des 60 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Toronto ont encaissé une rémunération médiane de 11,7 millions de dollars en 2023.
Évidemment, ce n’est pas parce que la rémunération est gonflée aux stéroïdes dans le privé qu’il faut reproduire le problème dans les sociétés publiques et parapubliques.
Une autre mesure intéressante est l’écart entre le salaire du patron et celui de l’employé moyen. Au Canada, dans les entreprises cotées en Bourse, un président gagne en moyenne 154 fois le salaire de ses employés, selon l’IGOPP. Ça m’apparaît complètement indécent. Aux États-Unis, le facteur atteint 216, alors qu’il est plutôt de 50 en Australie et de 15 en Suède.
« À la STM, on est à 3 ou 4 fois le salaire moyen à l’interne, évalue François Dauphin. C’est un ratio beaucoup moins élevé que ce qu’on observe au privé. »
L’expert explique que, de façon générale, une rémunération vise trois objectifs : attirer, motiver et retenir des dirigeants.
Il est évident que le comité de rémunération de la STM examine ce qui est accordé dans les autres sociétés de transport pour fixer la rémunération de sa directrice générale. Les chiffres les plus récents montrent qu’à la Société de transport de Laval, le plus haut dirigeant gagne 369 000 $ ; à Toronto, c’est 670 000 $. Que la rémunération de la DG de la STM se situe entre les deux est dans l’ordre des choses.
Même chose si on compare cette rémunération à celle du numéro 2 de la STM, Alain Brière, qui a atteint 394 000 $ en 2023. L’écart avec la directrice générale, loin d’être immense, semble même faible compte tenu des responsabilités que cette dernière doit assumer, souligne François Dauphin.
Évidemment, le jeu des comparaisons comporte des dangers. « Il est possible qu’il y ait un problème structurel et que tous ces gens gagnent trop cher », souligne François Dauphin.
Ça semble effectivement être le cas quand on sait que plusieurs hauts dirigeants de sociétés de transport québécoises gagnent plus que le directeur général de la Ville de Montréal (345 000 $), qui gère un budget de plus de 7 milliards de dollars, ou que la mairesse de la métropole (212 000 $).
D’un autre côté, le grand patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Charles Emond, a touché environ 10 fois plus que Mme Léonard (tout près de 5 millions en 2024).
Au-delà du chiffre absolu, François Dauphin note que la rémunération de Marie-Claude Léonard a bondi de 6,5 % l’an dernier. La STM a beau plaider que ce chiffre inclut des primes reportées, cette augmentation envoie néanmoins un drôle de message au moment où la grande patronne vient d’envoyer un mémo à ses employés intitulé « Réduction de nos coûts : plus que jamais, chaque dollar compte ».
François Dauphin juge que même si les sociétés de transport sont essentiellement des créatures municipales, Québec pourrait exiger certaines balises dans les politiques de rémunération de leurs hauts dirigeants.