L’obsession d’une commission nationale des valeurs mobilières
Yvan Allaire et Michel Nadeau | IGOPPIl faut reconnaître que l’exercice n’est pas facile. Le rapport Hockin en est la troisième tentative au cours des dernières années. Quelle combinaison de carotte et de bâton pourrait convaincre les provinces récalcitrantes de laisser à un organisme national et fédéral le champ de la réglementation et de la supervision des valeurs mobilières ? Comment imposer l’abandon d’une structure provinciale qui fonctionne relativement bien et la remplacer par un organisme national et fédéral ?
Car, rappelons-le, le Canada arrive au cinquième rang de tous les pays pour la qualité de la protection des investisseurs, ex-æquo avec les Etats-Unis et devant la Grande-Bretagne.(Banque mondiale, 2008). La qualité de la gouvernance au Canada devance les Etats-Unis et la plupart des pays développés. Selon les études du professeur Suret de l’Université Laval, les coûts de la réglementation des émetteurs en bourse sont moins élevés au Canada qu’aux Etats-Unis.
La formule du passeport mise au point par les autorités provinciales et territoriales donne de bons résultats. Elle donnerait encore de meilleurs résultats si l’Ontario avait accepté de participer pleinement aux efforts d’harmonisation et de simplification entrepris par les 12 autres commissions des valeurs mobilières. La protection des épargnants québécois et canadiens ne semble pas souffrir de carences majeures et la saine concurrence entre les commissions renforce la vigilance des contrôleurs ainsi que l’innovation et l’adaptation aux conditions variables d’un bout à l’autre du Canada.
On peut, frisant la démagogie, invoquer que la crise financière mondiale démontre la nécessité d’une seule commission pour parler au nom du Canada tout entier. Or, les carences de réglementation qui ont provoqué cette crise ne sont pas attribuables aux commissions des valeurs. Toutefois, cette crise a pris naissance et a infligé ses plus sérieux dommages aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, là justement où l’on trouve des commissions nationales depuis belle lurette. Aux Etats-Unis, à ce moment précis, la SEC, la commission nationale et fédérale américaine des valeurs mobilières, est soumise à de virulentes critiques pour son incurie dans l’affaire Madoff. Quant à la FSA, l’organisme de réglementation du Royaume-Uni, celle-ci a du récemment admettre qu’elle a failli à la tâche dans l’affaire de la banque Northern Rock. L’herbe est toujours plus verte dans le champ du voisin.
On peut prétexter que la complexité de la structure actuelle avec 13 commissions inflige des coûts élevés aux émetteurs ! Or, chaque fois, on propose une structure qui ne ferait qu’augmenter les coûts du système. On ne fait pas confiance aux efforts d’harmonisation et de coordination entrepris par les autorités provinciales dans un esprit de véritable fédéralisme. On sous-estime la contribution des technologies informatiques et de l’Internet pour simplifier les procédures et en réduire les coûts.
On affirme, argument massue, que le Canada est la risée des milieux financiers internationaux, le seul pays sans une commission nationale, que ce fait indispose les investisseurs, augmente les attentes de rendement et conduit à un escompte sur les titres canadiens. Or, toutes les comparaisons internationales en ce domaine donnent des résultats très positifs pour le Canada. Cela semble blesser la modestie innée de certains canadiens qui contestent ces résultats, y voyant la preuve que les chercheurs qui compilent ces comparaisons ne savent ce qui se passe vraiment au Canada (mais sont parfaitement informés et fiables lorsqu’il s’agit des résultats obtenus par d’autres pays.)
La dernière tentative pour nationaliser les commissions des valeurs mobilières est celle du «Groupe d’experts» présidé par M. Tom Hockin. Le rapport Hockin ne convainc pas plus que ses deux prédécesseurs. Il reprend quelques bonnes idées glanées ici et là dans les structures en place : mesures du rendement (Colombie Britannique), tribunal d’arbitrage indépendant (Québec)… Mais le propos est prudent et mesuré : « Nous pensons qu’il serait plus facile de mettre en œuvre une approche fondée davantage sur des principes si la responsabilité en était confiée á un organisme de réglementation des valeurs mobilières unique. Une telle approche pourrait certes être conçue à l’intérieur de la structure de réglementation actuelle, mais nous estimons que…., il serait plus ardu de la mettre en œuvre, et que son efficacité serait beaucoup plus aléatoire au fil du temps. » (p.25)
Sur la base d’un tel bénéfice hypothétique, on veut provoquer un affrontement constitutionnel avec les provinces ! L’auteur d’une étude commandée par le « Groupe d’experts » même note fort justement que « [l]es arguments qui militent en faveur du regroupement [des organismes de réglementation] seraient renforcés si l’on disposait de données qui montrent que la communication entre les différentes parties d’un seul organisme est plus efficace que la communication entre différents organismes » (Chant, 2008 ; p.46). Il ne faut pas être docteur ès bureaucratie pour comprendre que de telles données sont introuvables.
La réalité constitutionnelle canadienne laisse déjà une grande place au gouvernement central dans les affaires économiques et financières. Dans plusieurs créneaux d’intervention, Ottawa gagnerait à améliorer sa propre performance. Rappelons-le pour la nième fois à tous ceux qui se plaignent de la lenteur à traduire devant les tribunaux les personnes soupçonnées de délits criminels, le gouvernement fédéral, par la division des crimes économiques de la GRC, est déjà seul responsable d’agir avec célérité et efficacité dans ce domaine. La démonstration reste à faire.
Enfin, une question technique à laquelle on ne trouve pas réponse dans le rapport Hockin. Puisqu’il est proposé que les émetteurs puissent choisir d’être réglementés par l’organisme national et fédéral plutôt que par la commission de la province où l’émetteur tient son siège, cela signifie-t-il que cette commission nationale devra imposer aux émetteurs d’informer les investisseurs dans les deux langues officielles du Canada.
En effet, comment justifier qu’un investisseur francophone où qu’il réside au Canada ne puisse recevoir en français tous les documents publiés par une entreprise cotée en bourse et réglementée par un organisme fédéral. Le consommateur canadien de céréales est informé dans les deux langues officielles du contenu de la boite de céréales, peu importe dans quelle ville canadienne il prend son petit-déjeuner. En serait-il autrement pour un organisme national responsable de s’assurer que les investisseurs canadiens soient bien informés dans leur langue officielle ?
Soyons concret. La société Visa Inc. a fait son entrée en bourse au printemps de 2008. Or, pour éviter les coûts et les délais de traduire le prospectus (503 pages) requis pour cette opération (ainsi que tous les autres documents afférents), la société Visa a choisi de ne pas faire appel aux investisseurs du Québec. Comment cela serait-il possible avec une commission nationale ? Comment un organisme fédéral pourrait-il avaliser une telle situation ? Des centaines de sociétés inscrites aux bourses canadiennes ne produisent qu’en anglais leurs rapports financiers et les autres documents transmis aux investisseurs. Si une commission nationale devait imposer que tous les documents transmis aux investisseurs soient produits dans les deux langues, il serait utile que les tenants d’une commission nationale établissent le coût pour toutes les entreprises de se soumettre á cette condition. Ce coût serait astronomique.
Au lieu de se concentrer sur les changements majeurs à apporter au fonctionnement du système financier mondial, le ministre des finances du Canada s’acharne à nationaliser les organismes provinciaux de surveillance des valeurs mobilières, au risque de susciter une confrontation constitutionnelle. Exactement ce dont le Canada a besoin en ces temps turbulents et incertains.