21 janvier 2008

Le moteur des fiascos financiers

Yvan Allaire | Les Affaires

Dans une récente chronique pour Les Affaires (décembre 2007), je soutenais que les rémunérations excessives pour une performance de courte durée et sans clause de remboursement étaient le « moteur des scandales et fiascos financiers ».

Voilà que Martin Wolf, le célèbre chroniqueur et chantre de la mondialisation au Financial Times, aboutit à la même conclusion dans un article paru le 15 janvier. Cet apôtre des libres marchés, se bouchant le nez à deux mains, propose même que les gouvernements imposent une réglementation des rémunérations dans tout le secteur financier.

Cette conversion tardive de M. Wolf se comprend et s’explique. Les marchés financiers recèlent une grande capacité d’infliger des coûts à toute la société. Les abus et incuries dans ce secteur font mal aux citoyens ordinaires qui en paient ultimement la note.

Ainsi, au milieu d’une reprise en masse de maisons sur-hypothéquées, trois dirigeants limogés parce qu’intimement liés à cette frénésie des hypothèques à haut risque (les «sub-primes»), les PDG de Citigroup, de Merrill Lynch et de Countrywide Financials, se partageront plus de 300 millions $ en « prime de départ ».

De telle « primes à l’échec » sont jugées scandaleuses et agitent média et politiciens. Mais ces sommes sont modiques si on les rapproche des rémunérations des dirigeants de fonds de couverture (les «hedge funds »).

En 2006, les 25 dirigeants de ces fonds les mieux payés ont reçu collectivement quelque 14 milliards $, soit environ 560 millions $ chacun en moyenne.  La rémunération totale de ces 25 personnes était trois fois supérieure à la rémunération totale de tous les présidents des 500 entreprises composant l’indice Standard and Poor’s !

Et pourtant, c’est souvent dans le repli obscur de ces fonds de couverture que se trament les «innovations» financières, que se concoctent les nouvelles manigances et finasseries. Il en est ainsi de la crise qui perturbe les marchés financiers en ce moment, laquelle fut provoquée et alimentée par un marché complexe et mal connu, celui des « dérivés de crédit».

Dans sa forme première, ce marché est utile en ce qu’il permet à un prêteur d’acheter une certaine assurance contre le risque que son débiteur fasse faillite.

Sur cette prémisse simple et orthodoxe, des montages financiers complexes et fragiles furent échafaudés. Ce marché de l’«assurance crédit» a littéralement «explosé» entre 2002 et 2007 atteignant quelque 45 billion $ (trillion en anglais, soit 45 000 milliards $ !). Qui donc «vend» ces polices d’assurances? Les banques représentent 40% de ce marché; mais plus de 30 % de ces assurances furent vendues par des fonds de couverture, c’est-à-dire quelque 14 000 milliards $ d’assurance. Or, les actifs nets de tous les fonds de couverture représentent quelque 2 500 milliards $ en 2007.

Le marché des hypothèques à haut risque a fait subir un premier test à ces montages. L’expérience fut douloureuse et inquiétante. Toutefois, le vrai test,  l’épreuve finale, de cet échafaudage viendra avec une récession et la diminution de la qualité du crédit des entreprises que cela entraîne inévitablement.

Plusieurs fonds de couverture ont investi massivement dans ces instruments (dérivés de crédit, etc.), ont ainsi assumé beaucoup de risques et emprunté au maximum pour  multiplier leurs rendements. Durant les années fastes, ils ont encaissé 20% des profits ainsi réalisés. Lorsque les vents tourneront et que les pertes lourdes mettront plusieurs fonds de couverture en difficulté,  leurs dirigeants déclareront faillite et remettront les clefs de la boutique aux investisseurs et créanciers. Ils conserveront bien sûr les rémunérations faramineuses des bonnes années.

Ainsi se fabriquent les fiascos financiers. Faut-il réglementer les rémunérations de ces intervenants financiers non réglementés, champions du court terme et fomenteurs d’innovations douteuses? Peut-être mais comment? Ce sera pour une autre chronique.