L’abstention des actionnaires minoritaires de Quebecor
Le conseil d’administration doit prendre acte
Yvan Allaire et Michel Nadeau | IGOPPQue 56.5% des actionnaires minoritaires de Quebecor (détenteurs d’actions de catégorie B) s’abstiennent de voter pour les deux candidats en lice pour représenter ces actionnaires minoritaires soulève la question de l’interprétation qu’il faut donner à ce vote (La Presse affaires, le 17 septembre 2011, p.17). Pour comprendre le sens de ce vote, il faut examiner les motifs de son instigateur, la société américaine de conseil en gestion des procurations ISS/Risk Metrics.
Cette société conseille les investisseurs institutionnels et les fonds de placement sur la façon dont ils devraient exercer leur droit de vote aux assemblées annuelles des actionnaires. ISS formule des recommandations touchant, entre autres, l’élection des candidats proposés aux postes d’administrateurs.
Or, ISS se fait le promoteur de principes et mesures qu’elle juge essentiels à la « bonne » gouvernance des sociétés cotées en Bourse. Parmi ces principes et mesures, on trouve un rejet catégorique des actions à vote multiple et un engagement envers le vote majoritaire ou individuel pour chaque candidat (plutôt qu’un seul vote pour tous les candidats).
Ces principes et mesures, reflets de la situation américaine, ne font pas l’unanimité parmi les experts en gouvernance. Ainsi, l’Institut que nous dirigeons a pris position en faveur des actions à vote multiple pourvu que celles-ci soient encadrées de façon à protéger les intérêts des actionnaires minoritaires. (Voir “Les actions multivotantes: quelques modestes propositions”, Octobre 2006)
Dans cette prise de position, nous suggérons qu’un certain pourcentage (idéalement le tiers) des administrateurs soient élus seulement par les actionnaires détenant des actions subalternes.
Dans le cas de Quebecor, des dispositions très précises, ce qui n’est pas fréquent, donnent aux détenteurs de titres à vote simple le droit d’élire 25% des membres au conseil (c’est-à-dire deux candidats pour un conseil de huit membres). Les actionnaires ont le choix de voter «Pour» ou de «S’abstenir» pour la paire de candidats. Les actionnaires ne peuvent voter séparément pour chaque candidat.
En raison de la structure de capital avec deux classes d’actions de Quebecor et parce que le vote individuel (dit « majoritaire ») n’est pas autorisé, ISS a recommandé aux actionnaires de la catégorie B de s’abstenir de voter pour les deux candidats en lice.
Nous estimons que cette recommandation d’ISS est mal avisée et que les raisons sur lesquelles s’appuie cette recommandation sont insuffisantes.
Or, le fait demeure qu’une majorité de ces actionnaires ont suivi la recommandation d’ISS, tant cette année qu’en 2010. Quelles en sont les conséquences? Pour ce qui concerne la double classe d’actions, les clients canadiens d’ISS devraient demander à cette société de refaire ses devoirs.
Quant au vote individuel, sans en faire un dogme, il faut noter qu’une très forte majorité des grandes firmes canadiennes a adopté cette mesure. La Bourse de Toronto TSX a proposé le 6 septembre dernier d’exiger que chaque administrateur soit élu individuellement et que la Bourse soit informée si un candidat reçoit une majorité d’abstention. Ces mesures devraient devenir la norme des sociétés inscrites à la cote du TSX. (Dans pas moins de 145 firmes canadiennes, la pratique du «vote majoritaire» veut qu’un administrateur qui n’obtient pas une majorité de vote «Pour», doit remettre sa démission au conseil qui décide alors de l’accepter ou non.)
Le vote des actionnaires de Quebecor, influencé sans doute par la proposition de la firme ISS Canada, soulève un problème de légitimité. La mise en place de la formule du vote individuel ne mérite peut-être pas un vote d’abstention pour les deux candidats désignés, par ailleurs compétents et expérimentés. Mais au bout du compte, bien ou mal avisé pas ISS Canada, les actionnaires de classe B ont de nouveau indiqué majoritairement qu’ils souhaitaient que Quebecor adopte le vote individuel, lequel pourrait bientôt devenir la norme au TSX. Le conseil de Quebecor devrait en prendre acte.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que les auteurs.