19 février 2009

Crise financière et leçons de gouvernance

Yvan Allaire | Forces

La crise financière qui perdure a dévasté le monde de la finance. Des institutions américaines, naguère riches et célèbres, sont en faillite ou au bord de la faillite, quémandant l’aide du gouvernement. Partout, les institutions financières ont dû annoncer des pertes époustouflantes et remettre leur sort entre les mains des gouvernements et des banques centrales.

Quelle responsabilité portent les conseils d’administrations des institutions financières pour cette déconfiture ? Quelles leçons de gouvernance faut-il tirer de cet épisode douloureux ?

Encore une fois, le risque est grand que l’on tire de mauvaises conclusions et de fausses leçons de cet épisode, comme ce fut le cas suite aux fiascos qui ont nom Enron, Worldcom, Global Crossing et les autres.

Les « sentinelles des marchés »

Aucun conseil d’administration ne peut en savoir plus que les membres de la direction. Tout conseil d’administration doit compter sur les « sentinelles des marchés » pour faire son travail : les vérificateurs externes, les commissions de valeurs mobilières, les agences de notation de crédit, les conseillers juridiques, les conseillers en rémunération des cadres et dirigeants, les organismes de réglementation et ainsi de suite.

Tout maillon faible dans cette chaîne de responsabilité peut mettre le système en péril si la faiblesse du maillon n’est pas détectée à temps et prestement corrigée.

Dans le cas des Enron, Worldcom et alia, l’indépendance douteuse des vérificateurs externes ainsi que des règles comptables trop élastiques jouèrent un rôle décisif.

Dans le cas de la présente crise financière, plusieurs maillons ont cédé en même temps :

  • les agences de notation de crédit se sont montrées incapables de bien évaluer les risques de produits financiers ésotériques et leur attribuèrent des notes au-delà de ce qu’ils méritaient;
  • les gouvernements ne surent pas ou ne voulurent pas (aux États-Unis du moins) réglementer les marchés de produits dérivés comme les dérivés de crédit (les notoires « credit derivative swaps » ou CDS). Ces produits complexes et non réglementés ont injecté aux marchés financiers une dose massive de poison à retardement;
  • les conseillers en rémunération des dirigeants ont conçu et recommandé aux conseils d’administration des programmes de bonification périlleux. Ces programmes ont récompensé les résultats à court terme, ont invité les dirigeants à courir des risques indus. Une fois adopté par l’un, ce type de programme devient vite la norme pour les autres, devient ce que le « marché » paie pour ce type de talent. Si vous refusez de mettre en place de tels programmes, vous serez responsable de la perte de ce précieux personnel.
  • les modèles de mesure des risques ont fourni une fausse assurance de précision et de fiabilité; ces modèles, naïvement calibrés sur le passé récent, furent incapables de prévoir la tempête qui venait.

Les conseils d’administration ne peuvent se substituer aux « sentinelles des marchés » lorsque celles-ci dorment au poste, ou ont été soudoyées, surtout que ce fait n’est apparent qu’après coup.

Les conseils d’administration dans la vraie vie

Lorsque la direction propose, le conseil dispose sur la foi des informations qui lui sont présentées. Toutefois, le fonctionnement des conseils souffre en pratique  de carences difficiles à corriger.

Ainsi, le conseil est un ensemble, parfois disparate, de personnes aux compétences et expériences variables. Sur tout sujet controversé présenté par la direction, un ou deux membres, mieux informés sur ce sujet, pourront exprimer des avis contraires; mais si la grande majorité des membres, moins bien informés, ne suivent pas, penchent en faveur de la position défendue par la direction, les membres dissidents devront, soit se rallier avec réticence, soit faire inscrire leur dissidence au procès-verbal de la réunion.

Les membres qui agissent ainsi à plus d’une reprise suscitent l’hostilité de la direction à leur égard et un certain inconfort chez les autres membres du conseil. Car, les conseils obéissent à des règles non écrites d’étiquette et de bonnes manières. La civilité des échanges, le caractère unanime des décisions, les expressions répétées d’appui au chef de la direction et de confiance envers la direction, font partie des normes de fonctionnement des conseils.

Un postulat de base de tout conseil est à l’effet que soit, le conseil fait confiance au chef de la direction et à son équipe, soit, il limoge et remplace le chef de la direction. Or la deuxième branche de cette alternative est douloureuse et coûteuse et ne survient habituellement, que lorsque les faits sont incontournables, les défaillances tangibles et publiques. En temps ordinaire le chef de la direction jouit d’un préjugé favorable, du bénéfice du doute, d’une présomption de compétence et d’intégrité.

Gestion de risques ?

Comme au temps des fiascos précédents, on cherche le bouc émissaire, la solution simple. Cette fois-ci, la recette entendue consisterait en une capacité accrue des conseils d’institutions financières à intervenir dans la gestion des risques.

Cette recette risque fort d’être indigeste. Les conseils d’administration sont responsables des politiques de gestion de risques et non de gestion des risques. Pour la plupart des institutions financières, avant la crise, les politiques adoptées semblaient raisonnables et les niveaux de risque conformes aux politiques. Ce sont les mesures du risque qui furent défaillantes. Ce sont les notes de crédit données par les agences de notation qui étaient trop rassurantes.

Les conseils ne peuvent pénétrer les arcanes des modèles mathématiques de gestion des risques, ne peuvent refaire le travail des professionnels de l’institution, ne peuvent continuellement mettre en doute les informations qui leur sont fournies.

On voudrait que les conseils puissent prévoir l’incertain et l’improbable, les « cygnes noirs » selon une analogie devenue populaire. Un conseil qui, devant une proposition de la direction, ferait une pratique de soulever tous les évènements rares et improbables, paralyserait l’organisation et la stériliserait de toute innovation. Voyons un peu : hum, avez vous pensé à l’impact qu’aurait sur votre projet un tremblement de terre à Montréal, l’écrasement d’un astéroïde dans le fleuve Saint-Laurent, un épidémie de la même gravité que la grippe espagnole de 1919, etc., etc.?

Les systèmes de rémunération

Non, c’est ailleurs et autrement que les conseils peuvent influencer le cours des choses. Les conseils ont une responsabilité importante pour la mise en place de systèmes de rémunération variable qui suscitent des comportements de prudence et d’engagement à long terme chez les cadres et dirigeants.

Comptant sur des conseillers externes, asservis presque à ceux-ci à cause de leur prétendue connaissance du « marché », les conseils d’administration ont avalisé des programmes conçus pour enrichir rapidement cadres et dirigeants, des programmes favorisant les rendements à court terme quels que soit les risques assumés (et parfois dissimulés).

Agissant avec autorité, indépendance, et compétence en matière de rémunération, les conseils doivent susciter chez la direction une recherche du rendement calibré aux risques, une saine considération du bien-être à long terme de l’institution, assumant le risque de perdre les plus mercenaires d’entre eux. Soit.