14 octobre 2006

Le management à l’américaine

Yvan Allaire | Les Affaires

Les écoles de gestion américaines ont formé bon nombre de nos dirigeants d’entreprises ainsi que plusieurs professeurs de nos écoles de gestion. Nous scrutons leurs périodiques d’affaires (Fortune, Business Week, Harvard Business Review, etc.).

Comme le reste du monde, nous achetons et, parfois même, lisons leurs ouvrages sur la gestion. Par exemple, l’ouvrage de Peters et Waterman «In Search of Excellence », publié en 1982, fut traduit en 15 langues et tiré à plus de six millions d’exemplaires. L’ouvrage de Jim Collins « Good to Great», publié en 2001, fut traduit en 29 langues, le livre de Jack Welch, l’ex PDG de la General Electric, en 22 langues et ainsi de suite.

Les études de cas d’entreprises américaines préparées par la Harvard Business School sont au programme dans toutes les écoles de gestion du monde.

En somme, les enseignements dans les écoles de gestion et les sources auxquelles s’abreuvent les gestionnaires canadiens et québécois sont essentiellement de facture américaine.

Cet état de fait émane de deux hypothèses implicites :

  • Les principes du management sont universels;
  • C’est aux États-Unis que ces principes sont le mieux formulés et mis en pratique;

Si la deuxième hypothèse se vérifie par le nombre astronomique de publications en gestion provenant des États-Unis, la première hypothèse est plus douteuse.

Les stratégies, la culture et les valeurs d’une entreprise sont façonnés en bonne partie par son contexte propre. Les modes de gestion qui assureront le succès et la survie de l’entreprise américaine doivent être adaptés  aux réalités bien concrètes de cette société, cela va de soi.

Examinons, en simplifiant un tantinet, le contexte sociopolitique et financier de l’entreprise américaine :

  • La propriété des entreprises à capitaux ouverts (cotés en bourse) est en très forte proportion aux mains d’un actionnariat diffus, comportant rarement un actionnaire de contrôle; par exemple, on estime que 72% des entreprises américaines ne comportent aucun actionnaire actif détenant plus de 20% des actions, 40% si on baisse la barre à 10%; au Canada, avec ce critère de 10%, on estime que 51% des entreprises non financières ayant une valeur marchande supérieure à $10 millions sont contrôlées par des familles et un 24% additionnel sont contrôlées par des entités non familiales; de plus, 77% des 70 plus grandes entreprises américaines n’ont aucun actionnaire actif détenant plus de 10% des actions; au Canada, ce pourcentage est de 48%, en France de 44%. Cette différence revêt une grande importance pour leur gouvernance ainsi que pour leur vulnérabilité aux exigences des marchés financiers;
  • Un très faible taux de syndicalisation des employés (et dans plusieurs états américains, à toute fin pratique, aucun syndicat); en fait, les syndicats ne jouent un rôle significatif que dans les industries dites de « la vieille économie »; ainsi le taux de syndicalisation oscille autour de 12% aux Etats-Unis et chute à 8% pour les employés du secteur privé; par comparaison, le taux de syndicalisation est de 30% au Canada, de 37% au Québec; pour le secteur privé, le taux canadien est de 17%; en France, le taux de syndicalisation est faible (quelque 8%) mais la part de salariés couverts par une convention collective dépasse le 90%;
  •  Une grande mobilité du personnel d’une entreprise à l’autre et d’une région géographique  à l’autre; par exemple, on estime que le temps de réaction pour combler une carence de main d’œuvre par la migration régionale est très forte aux États-Unis (52% en moins d’un an); la même statistique est de 0% pour l’Union européenne; le Canada se situerait entre ces deux pôles;
  • Un cadre législatif et politique qui donne la première place aux intérêts du consommateur et du payeur de taxes, bien avant les intérêts du travailleur et du plus démuni;

Sans porter de jugement sur la valeur relative de ces choix de société, il est bien évident que ce contexte n’est pas celui du Canada (bien qu’il s’en rapproche progressivement), ni celui de la France, de l’Allemagne ni encore moins de la Chine!

Or, convient-il de former toute une génération de futurs dirigeants à des principes et des méthodes de gestion conçus pour un autre contexte, une autre réalité? Comment le contexte canadien et québécois diffère-t-il du contexte américain? Comment faire en sorte que les principes de gestion proposés ici ne soient pas en porte-à-faux avec les réalités de l’entreprise québécoise et canadienne? Quelle sera la facture de l’entreprise de demain dans un monde en convergence. Le modèle américain est-il la voie de l’avenir ou une voie sans issue?

Voilà un vaste chantier pour tous ceux qui, comme nous, réfléchissent à ces enjeux d’une grande importance pour notre société.