15 novembre 2019

Le souque à la corde

Marie-Andrée Chouinard | Le Devoir

Dans l’allocution qui a servi d’ouverture à la commission étudiant le volumineux projet de loi 40 sur la transformation des commissions scolaires, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a exprimé le souhait qu’on ne fasse pas dire à sa proposition ce qu’elle ne disait pas. Le risque n’est pas tant d’instrumentaliser le PL40 pour en tirer des scénarios fictifs, mais bien de passer à côté de l’essentiel, tant cette réforme est tentaculaire. Il s’agit d’un fourre-tout qui propose bien davantage qu’un changement de structures et suggère de redessiner la carte des pouvoirs autour de l’école et de son projet éducatif.

Le parfait projet de loi n’existe pas, ni non plus le tout-à-fait imparfait. Mais plus rares sont les ambitions législatives qui camouflent ce qu’elles n’ont pas annoncé. Et c’est peut-être là la plus grande faille du PL40, qui propose à travers 312 articles et deux annexes bien plus qu’une transformation des commissions scolaires en centres de services, mais une kyrielle de modifications qui laisseront le territoire scolaire québécois fragmenté et vulnérable à des intérêts peu outillés pour décider du sort des écoles.

Si l’idée de la CAQ est de « remettre l’école dans les mains de sa communauté », force est d’admettre que la communauté ne s’entend pas le moins du monde sur la manière dont doit s’opérer la gouvernance de l’école. Les dernières semaines d’audiences de la Commission de la culture et de l’éducation ont permis de voir qu’autour de ce projet de loi, une vaste opération de souque à la corde s’opère au grand jour.

Le registre des oppositions est vaste. Le fait d’abolir le principe d’élection au suffrage universel du côté des commissions scolaires francophones mais de le maintenir du côté des anglophones est discriminatoire, ont fait valoir certains. Le fait de donner aux parents 8 des 16 sièges au conseil d’administration des futurs centres de services est aberrant, ont déploré d’autres. Le fait de permettre au ministre de l’Éducation de « prendre toute mesure utile à l’application de la loi » — article 310 du projet de loi — est inquiétant, ont avancé des critiques, inquiets de la surcentralisation inscrite en filigrane d’un projet aux velléités pourtant décentralisatrices.

Dans une critique rigoureuse publiée mercredi dans Le Devoir, les dirigeants de l’Institut sur la gouvernance, Yvan Allaire et Michel Nadeau, attaquent le socle de gouvernance du projet de loi 40, qui n’a pas prévu les rouages nécessaires à la constitution de conseils d’administration crédibles et légitimes pour diriger les fameux centres de services qui prendront la place des commissions scolaires. « La crédibilité d’un conseil se mesure par le sentiment largement partagé que le conseil est composé de personnes intègres qui ont les connaissances et l’expertise pour composer avec les enjeux de l’organisation », écrivent-ils, une condition à laquelle ne répond pas la proposition Roberge.

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