11 novembre 2017

Une crise de confiance dans et autour des institutions québécoises ?

Yvan Allaire | La Presse +

Dans le beau film Doute (2008), un protagoniste raconte comment un vieux prêtre à qui quelqu’un s’était confessé d’avoir lancé une fausse rumeur lui imposa la pénitence suivante : vous allez prendre un oreiller de plumes, monter sur le toit de votre maison, ouvrir l’oreiller et lancer les plumes au vent. Puis, vous irez dans la ville recueillir toutes ces plumes. Mais c’est impossible! s’exclama le pénitent. Justement, dit le vieux prêtre, comme rattraper une fausse rumeur.

Comment départager le courageux « sonneur d’alerte » du malicieux fomenteur de fausses rumeurs ?

Récemment, sur la foi de rumeurs, de ouï-dire appuyés sur aucune documentation, on a  accusé, supputé, insinué l’existence «de pratiques inquiétantes», de possible corruption et collusion entre l’AMF, l’UPAC et une ou des firmes privées tout en se drapant pudiquement de «la présomption d’innocence».

On nous informe toutefois, propos sibyllin, qu’«il est un peu trop tôt pour parler de collusion et de corruption». Au-delà des insinuations malveillantes, on lamente les difficultés qu’auraient à surmonter les entreprises pour obtenir le droit de soumissionner sur des contrats publics au Québec, lesquelles entreprises, hier encore, étaient au pilori pour leur participation à des manœuvres dolosives.

Tout l’objet de la démarche mise en place par la Loi 1, complexe et tatillonne certes, était justement de mettre le Québec à l’abri des pratiques de corruption et de collusion. Il faut retenir ses larmes devant les récriminations d’entreprises dont les malheurs leur incombent.

Toutefois, dans cet univers malsain propice au complot facile, il est de la plus haute importance que toutes nos institutions, que ce soient l’UPAC, l’AMF, ou le Vérificateur général du Québec, soient dotées d’une gouvernance impeccable.

L’UPAC

Au premier chef, il faut s’assurer d’un encadrement approprié pour l’UPAC dont les pouvoirs semblent parfois sans freins ni contrepoids. Deux modèles peuvent être suggérés au gouvernement :

1. Le modèle représentatif comme aux États-Unis

Selon ce modèle, les agences aux missions délicates, souvent secrètes, toujours confidentielles, tombent sous la juridiction de comités d’élus. Ces comités sont constitués de représentants de tous les partis, la présidence étant assumée par le parti majoritaire. Toutes les rencontres de ces comités pour fins de contrôle, de surveillance et de supervision se tiennent à huis clos. Les membres de ces comités sont tenus au secret absolu et tout manquement est passible de sanctions pénales.

Ainsi, le “Senate Select Committee on Intelligence » (SSCI) et le “House Permanent Select Committee on Intelligence” (HPSCI) supervisent les activités des agences d’information (comme la CIA et le FBI) et en approuvent les budgets dédiés à certaines opérations. Ces comités ont été les critiques les plus féroces des agissements de ces agences, mais aussi leurs défenseurs les plus efficaces en temps opportun.

Il est important de noter que le Congrès américain, tant au Sénat qu’à la Chambre des représentants, compte plusieurs membres élus qui sont issus des milieux de l’ « intelligence » et qui en connaissent bien les rouages et le fonctionnement, donc qui sont aptes à gouverner efficacement ces agences.

Ce modèle comporte l’immense avantage de soumettre des organismes de fonctionnaires à l’autorité de gens élus, mandataires légitimes de la population. Ce modèle s’est avéré utile et efficace depuis plus de 40 ans, mais, signe des temps aigres que vit l’Amérique, son efficacité s’effrite rapidement.

2. Un comité de surveillance des activités de renseignement et de surveillance (le « CSARS ») comme celui qui fut mis en place pour le Service canadien du renseignement de sécurité (le «SCRS»)

Ce comité fut naguère composé de citoyens notoires et indépendants choisis par le gouvernement. À cette époque, le Docteur Porter, directeur général du CUSM devenu par la suite un personnage controversé, fut nommé président de ce comité.

Le gouvernement fédéral a depuis décidé que dorénavant ce comité serait composé de membres choisis parmi les membres du Conseil privé qui ne font partie ni du Sénat ni de la Chambre des communes. L’honorable Pierre Blais préside ce comité depuis 2015.

Les membres du comité, nous assure-t-on, possèdent « une vaste expérience dans les domaines juridiques, administratifs, politiques et de la sécurité nationale ».

Le CSARS doit faire rapport annuellement au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile; le rapport 2016-2017 compte quelque 47 pages et contient un certificat exigé par la loi :

  • indiquant dans quelle mesure le rapport annuel que le directeur du SCRS présente au ministre lui paraît acceptable;
  • signalant si toute activité opérationnelle du SCRS visée dans le rapport du directeur n’est pas autorisée sous le régime de la Loi sur le SCRS ou contrevient aux instructions du ministre; et,
  • signalant si toute activité du SCRS visée dans le rapport comporte un exercice abusif ou inutile par le SCRS de ses pouvoirs.

« Exception faite des renseignements confidentiels du Cabinet, le CSARS détient le pouvoir absolu d’examiner toutes les informations touchant aux activités du SCRS, même les plus délicates, et ce, quel que soit leur niveau de classification. » Rapport annuel du CSARS (2016-2017)

Le travail du comité repose sur un directeur exécutif et un personnel de 31 personnes.

Ces deux modèles ont chacun leurs avantages et inconvénients, forces et faiblesses, mais ils offrent matière à une réflexion pressante sur le sujet. Dans les deux cas, on recherche des membres qui sont, ou devraient être, légitimes et crédibles pour assumer ces responsabilités.

L’AMF

Aucune information ne nous permet de mettre en doute l’intégrité et le professionnalisme de l’AMF. Nous suggérons toutefois que l’AMF soit autorisé à transformer son Conseil consultatif de régie administrative en un véritable conseil d’administration, incluant la création d’un comité d’audit. Enfin, si une telle politique n’est pas déjà en place, l’AMF pourrait instituer une règle restreignant l’embauche de son personnel par des firmes ou organismes assujettis au contrôle de l’AMF.

La Vérificatrice générale du Québec

Une personne est-elle en conflit d’intérêt en raison de mandats exécutés par une firme où celle-ci œuvrait avant d’assumer de nouvelles fonctions ? Il suffit de lui poser trois questions :

  • La personne détient-elle encore un intérêt dans cette firme, en est-elle actionnaire sous quelque forme que ce soit ?
  • Cette firme a-t-elle l’obligation de lui verser des sommes après son départ en raison de programmes de rémunération différée ou selon tout autre programme d’incitatifs financiers ?
  • La personne est-elle partie à une entente avec une de ces firmes selon laquelle elle se joindrait à nouveau à la firme au terme de son mandat comme Vérificatrice générale ?

Une réponse négative à ces trois questions clôt le débat; la VG n’est pas en conflit d’intérêt.

Bombardé de «révélations» scandaleuses, d’accusations de fourberie généralisée, le citoyen devient cynique et méfiant de toutes les institutions sur lesquelles la démocratie prend appui.

Cela est lourd de conséquences. Dépouillée de légitimité et de crédibilité, aucune gouvernance démocratique ne peut survivre. Elle se transforme alors peu à peu en des formes bâtardes de gouvernance, allant de l’anarchie à l’autoritarisme.

Il nous faut réagir vivement lorsque des lanceurs d’alerte s’avèrent en fait des lanceurs de boue.

 

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.