SNC-Lavalin joue-t-elle son avenir ?
François Desjardins | Le DevoirEntre la difficulté d’accès au financement international et les occasions d’affaires qui pourraient s’évaporer, notamment dans les contrats publics, les conséquences potentielles d’un procès criminel sont multiples pour SNC-Lavalin, à qui on refuse toujours le recours au programme de réparation qui lui permettrait d’éviter le passage devant les tribunaux.
SNC-Lavalin a préféré jeudi ne pas commenter les informations du Globe and Mail selon lesquelles le bureau du premier ministre Justin Trudeau aurait fait pression sur l’ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, pour mettre les procédures de côté. Mais il ne fait aucun doute que le spectre d’un procès pourrait avoir des impacts profonds sur la compagnie, estiment des experts.
Dans le cas d’une entreprise qui a beaucoup changé depuis l’époque des gestes reprochés, l’affaire est complexe, selon Wendy Berman, qui dirige l’équipe de litige des valeurs mobilières chez Cassels Brock, à Toronto. La tenue des procédures signifie que « les parties prenantes d’aujourd’hui vivent les conséquences du comportement d’autres individus qui dirigeaient la compagnie » auparavant. « On parle d’employés, de fournisseurs, d’investisseurs, de prêteurs, d’actionnaires », a-t-elle indiqué au Devoir. Également, un procès pourrait être une source de distraction pour la direction, en plus d’entraîner des coûts importants.
Candidate aux contrats
« Une condamnation criminelle éliminerait SNC-Lavalin comme entreprise candidate à des contrats et à des financements auprès d’organismes internationaux comme la Banque mondiale », a estimé Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques. « Aussi, certains pays peuvent avoir dans leurs contrats d’achat d’infrastructures des clauses éliminant toute entreprise reconnue coupable. »
Le plus important actionnaire de SNC-Lavalin est la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui détient près de 20 % de la multinationale. Son bloc d’actions a augmenté au cours de l’année 2018, selon ce que La Presse a écrit au mois de décembre. Invitée à réagir à l’article du Globe and Mail, l’institution a préféré ne pas faire de commentaire.
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Grand nettoyage
La compagnie était en 2015 bien avancée dans le ménage de ses activités internes découlant des irrégularités découvertes sous le règne de Pierre Duhaime, son ancien président. Celui-ci a été arrêté en 2012 relativement au scandale du contrat de construction du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Par la suite, la compagnie a resserré considérablement ses mesures en matière d’éthique et de bonne conduite. Par exemple, l’entreprise avait pris soin de recruter l’ancien chef de la conformité de Siemens, Andreas Pohlmann, pour occuper le même poste chez SNC. M. Pohlman arrivait alors avec une réputation en or : celui qui avait fait le ménage au sein de la société allemande.
Dans le cas où une entreprise a fait un ménage et que le conseil d’administration n’était pas dans le coup, estime M. Allaire, le programme de réparation mis sur pied par Ottawa en septembre 2018 comporte un « coût assez élevé », mais ça permet à l’entreprise de « survivre en s’assurant que des circonstances comme celles-là ne se reproduisent pas ».
Quand Ottawa a présenté le programme des « accords et arrêtés de réparation pour remédier au crime d’entreprise », en septembre dernier, il a précisé qu’une entente « volontaire » entre la société et les procureurs devait être approuvée par un juge. Celui-ci aurait alors à se pencher sur l’intérêt public de l’affaire et sur des modalités « justes, raisonnables et proportionnées ».
« Ce programme-là est bien avisé », dit Yvan Allaire, car la condamnation d’une entreprise a des conséquences pour des gens qui ne sont pas impliqués. « Puisqu’on ne peut la mettre en prison [l’entreprise], elle devient bannie, ou en tout cas elle n’a plus accès à un certain nombre d’organismes internationaux de financement, et probablement à certains acheteurs aussi. C’est très dommageable pour des gens qui sont relativement innocents », a dit Yvan Allaire.
À la Bourse de Toronto, l’action de SNC a reculé jeudi de 1,7 % à 36,91 $.