Rémunération des hauts dirigeants: arrogance et cachotteries
Robert Dutrisac | Le DevoirL’écart se creuse entre la rémunération des hauts dirigeants des sociétés d’État à vocation dite commerciale, comme la Société des alcools du Québec (SAQ), Loto-Québec et Investissement Québec (IQ), et les hauts fonctionnaires au sommet de la pyramide que sont les sous-ministres. Certains éléments de cette rémunération qui ont cours dans ces sociétés d’État privilégiées restent cachés, comme ces primes à l’embauche — on vous paie pour vous donner un poste dont les émoluments peuvent dépasser les 450 000 $ par an — et les indemnités de départ. C’est comme si leurs conseils d’administration, qui cautionnent ces largesses, en étaient gênés. À moins que l’adage selon lequel ce que l’on ne sait pas ne fait pas mal leur serve de principe et les autorise à maintenir les élus, et la population en général, dans l’ignorance.
Dans son rapport dévoilé jeudi, la vérificatrice générale (VG) du Québec, Guylaine Leclerc, consacre un chapitre à la rémunération des hauts dirigeants, dont ceux de la SAQ, d’IQ et de Loto-Québec. Elle déplore un manque de transparence quant au versement de primes à la signature, variant de 25 000 $ à 50 000 $ à la SAQ et chez IQ, une pratique qui n’est pas courante dans le secteur public, et à l’octroi d’indemnités de départ, dont un total de 2 millions consentis à cinq hauts dirigeants par la SAQ, qui n’en a pas soufflé mot.
Mais plus important encore, la VG relève que le système de fixation des salaires des hauts dirigeants de sociétés comme la SAQ ou Loto-Québec est basé sur des comparaisons boiteuses avec des entreprises privées, cotées en Bourse, souvent établies à l’extérieur du Québec, comme L’Oréal Canada, McDonald’s du Canada ou Unilever Canada. Or, ce n’est pas vrai qu’un haut dirigeant de la SAQ jouit d’une telle mobilité professionnelle qu’il sera appelé à se faire débaucher par ces multinationales. D’ailleurs, la VG ne constate aucun problème de rétention de ces dirigeants : seulement un des 13 hauts dirigeants qui ont quitté la SAQ, IQ ou Loto-Québec a trouvé refuge dans une entreprise privée.
L’argument voulant que ces sociétés d’État doivent fournir une rémunération comparable à ce qui a cours dans les grandes sociétés privées — qui plus est, dans des entreprises situées à l’extérieur du Québec — ne tient pas la route. Guylaine Leclerc se dit « perplexe » : le niveau de compétences requis pour occuper les plus hauts postes de la fonction publique, comme ceux de sous-ministre aux Finances ou à la Santé, est au moins aussi élevé que celui exigé du président du monopole de la SAQ. Or, ce dernier empoche le double de ce que gagne le sous-ministre aux Finances.
Même dans le secteur privé, la fixation par les conseils d’administration de la rémunération des p.-d.g. pose problème. Selon l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), cette démarche bêtement comparative a « mené à une augmentation quasi automatique des rémunérations » et s’appuie sur des hypothèses douteuses concernant la mobilité de ces p.-d.g. et le transfert des talents de gestion d’une industrie à l’autre. Vicié, ce système de comparaisons a entraîné une inflation éhontée des rémunérations offertes aux dirigeants. Toujours selon l’IGOPP, la rémunération médiane des p.-d.g. des grandes entreprises canadiennes est passée de 62 fois le salaire des travailleurs du secteur privé en 1998 à 140 fois en 2016.
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