6 janvier 2018

Le projet de loi n°141 et la gouvernance des institutions financières

Le conseil d'administration doit demeurer imputable de toutes les décisions

Yvan Allaire et Michel Nadeau | Le Devoir

Dans son projet de loi visant principalement à améliorer l’encadrement du secteur financier, le ministre des Finances du Québec a mis la barre haute en proposant quelque 2 000 modifications législatives touchant l’ensemble des institutions d’assurance, de dépôts et de fiducie relevant de l’État québécois. Le texte de 488 pages soulèvera de nombreuses questions notamment chez les intermédiaires financiers lors de la Commission parlementaire des 17 et 18 janvier prochains.

Pour notre part, en tant qu’experts en gouvernance, nous sommes très préoccupés par certains articles du projet de loi qui enlèvent aux conseils d’administration des institutions des pouvoirs qui leur sont reconnus par la loi québécoise et canadienne sur les sociétés par actions. De plus, certaines propositions du projet de loi risquent de semer la confusion quant au devoir de loyauté des membres du conseil envers l’organisation.

La pierre angulaire

La gouvernance des sociétés repose sur une pierre angulaire: le conseil d’administration, qui tire sa légitimité et sa crédibilité de son élection par les membres, les actionnaires ou les sociétaires de l’organisation, est l’ultime organe décisionnel, l’instance responsable de l’imputabilité et de la reddition de comptes. Tous les comités du conseil créés pour des fins spécifiques sont consultatifs au conseil.

De façon sans précédente, le projet de loi n° 141 impose aux conseils d’administration l’obligation de ‘’confier à certains administrateurs qu’il désigne ou à un comité de ceux-ci les responsabilités de veiller au respect des saines pratiques commerciales et des pratiques de gestion saine et prudente et à la détection des situations qui leur sont contraires.’’

À quelles informations ce « comité » aurait-il accès, lesquelles ne seraient pas connues d’un comité d’audit normal ? En quoi cette responsabilité dévolue à un nouveau comité est-elle différente de la responsabilité qui devrait incomber au comité d’audit ?

Le projet de loi n° 141 stipule que dès que le comité prévu prend connaissance d’une situation qui entraîne une détérioration de la situation financière [un fait qui aurait échappé au comité d’audit?], est autrement contraire aux pratiques de gestion saine et prudente ou est contraire aux saines pratiques commerciales, doit en aviser le conseil d’administration par écrit. Le conseil d’administration doit alors voir à remédier promptement à la situation. (Notre emphase)

Si la situation mentionnée à cet avis n’a pas été corrigée selon le jugement de l’administrateur ou du comité, celui-ci doit transmettre à l’Autorité une copie de cet avis.

Le conseil d’administration pourrait, soudainement et sans avoir été prévenu, apprendre que l’AMF frappe à la porte de l’institution parce que certains de leurs membres sont d’avis que le conseil dans son ensemble n’a pas corrigé à leur satisfaction certaines situations jugées inquiétantes.

Ces nouveaux arrangements de gouvernance sont insoutenables. Ils créent une classe d’administrateurs devant agir comme chien de garde…du conseil et délateurs des autres membres du conseil. Une telle gouvernance rendrait impossible la nécessaire collégialité et égalité entre les membres d’un même conseil.

Cette forme de gouvernance, inédite et sans précédent, soulève la question fondamentale de la confiance dont doit jouir un conseil quant à sa capacité et sa volonté de corriger d’éventuelles situations préoccupantes.

Un comité d’éthique

Le projet de loi n° 141 semble présumer qu’un comportement éthique requiert la création d’un Comité d’éthique. Ce comité devra veiller à l’adoption de règles de comportement et de déontologie, lesquelles seront transmises à l’AMF. Le comité avise, par écrit et sans délai, le conseil d’administration de tout manquement à celles-ci.

Le projet de loi n° 141 obligera le Comité d’éthique à transmettre annuellement à l’Autorité des marchés un rapport de ses activités incluant  la liste des situations de conflits d’intérêts, les mesures prises pour veiller à l’application des règles et les manquements observés. Le texte de ce projet de loi devrait plutôt se lire ainsi : «Le Comité d’éthique soumet son rapport annuel au conseil d’administration qui en fait parvenir copie à l’AMF dans les deux mois suivant la clôture de l’exercice.

Encore une fois, c’est vraiment mal comprendre le travail des comités que d’imputer à ceux-ci des responsabilités « décisionnelles » qui ne devraient relever que du conseil dans son ensemble.

Le devoir de loyauté de chaque administrateur

L’ensemble des textes législatifs sur la gouvernance des organisations ne  laisse place à aucune ambiguïté : la loyauté d’un membre du conseil est d’abord envers son organisme.

Or, le projet de loi instaure un mécanisme de dénonciation auprès de l’AMF[1]. Insatisfait d’une décision de ses collègues ou de leur réaction à une situation donnée, un administrateur devrait ainsi renoncer à son devoir de loyauté et de confidentialité pour choisir la route de la dénonciation en solo.

L’administrateur ne devrait pas se prévaloir de ce régime de dénonciation, mais livrer bataille dans le cadre prévu à cette fin : le conseil. Agir autrement est ouvrir la porte à des manœuvres douteuses qui mineront la cohésion et la solidarité nécessaire au sein de l’équipe du c.a. Si la majorité des administrateurs ne partagent pas l’avis de ce valeureux membre, celui-ci pourra démissionner du conseil en informant l’Autorité des motifs de sa démission, comme l’exige le projet de loi n° 141.

Le projet de loi n° 141 doit être amendé pour conserver aux conseils d’administration l’entière responsabilité du fonctionnement de la bonne gouvernance des organismes visés par le projet de loi.

Ce texte n’engage que ses deux auteurs.

[1] Ce mécanisme de dénonciation comporte la levée de tout secret professionnel sauf pour le secret professionnel liant l’avocat ou le notaire à son client.