Les millions des patrons
Martin Vallières | La PresseQui sont les patrons les mieux payés au Québec et les entreprises les plus généreuses envers leurs dirigeants ? La Presse dresse le palmarès, à l’aube d’une semaine chargée en assemblées annuelles.
L’ appétit des patrons sous surveillance
D’autant que chez la majorité des entreprises d’importance cotées en Bourse, leurs actionnaires peuvent se prononcer en assemblée lors d’un « vote consultatif » sur la rémunération des hauts dirigeants.
Mais au fil des ans, l’étendue de ces votes consultatifs a-t-elle vraiment influencé l’évolution des plans de rémunération des hauts dirigeants d’entreprise ?
« D’après les recherches à ce sujet dans quelques grands marchés boursiers du monde, aux États-Unis notamment, les conséquences de ces votes consultatifs demeurent très mitigées et suscitent un grand scepticisme dans les milieux de la gouvernance d’entreprise », constate Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).
« Après quelques années d’usage, ces votes d’actionnaires sur la rémunération des dirigeants semblent produire un effet déviant d’une bonne gouvernance en contribuant à une certaine déresponsabilisation des conseils d’administration en matière d’élaboration et d’approbation des politiques de rémunération », signale pour sa part Michel Magnan, professeur et analyste à la Chaire de gouvernance de l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia à Montréal.
N’empêche. Près de dix ans après l’émergence de ce thème dans les assemblées d’actionnaires, la tenue d’un vote sur la rémunération des dirigeants n’est toujours pas obligatoire dans les entreprises canadiennes.
À la différence de ce qui s’est instauré depuis quelques années aux États-Unis et dans certains pays d’Europe, notamment.
Vote obligatoire ?
Mais ce décalage apparent de la réglementation canadienne pourrait bientôt être corrigé. Pourvu que le gouvernement Trudeau puisse mener à terme, avant l’ajournement parlementaire préélectoral, les changements législatifs et fiscaux proposés dans son récent énoncé budgétaire de la fin de mars.
Ottawa veut rendre obligatoire pour toutes les entreprises constituées sous la Loi canadienne des sociétés par actions la tenue annuelle d’un vote consultatif sur la rémunération de leurs dirigeants, avec publication des résultats du vote.
Michel Magnan accueille favorablement l’initiative, mais non sans nuance.
« Le Canada est un des derniers pays d’économie avancée où le vote des actionnaires sur la rémunération n’est pas obligatoire. Toutefois, ça ne veut pas dire qu’il s’agit d’une recette miracle comme moyen de contrôle de la rémunération des dirigeants d’entreprise. » – Michel Magnan, professeur à la Chaire de gouvernance de l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia
Au Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MEDAC), le regroupement québécois de petits investisseurs militants qui parcourt les assemblées d’actionnaires à ce sujet depuis plus d’une décennie, on « applaudit cette initiative tardive, que nous réclamons depuis longtemps ».
Le directeur du MEDAC, Willie Gagnon, rappelle que « c’est à la suite de nos propositions d’actionnaires que les grandes banques canadiennes ont implanté le vote consultatif sur la rémunération en 2011 et que de très nombreuses entreprises à capital ouvert [en Bourse] l’ont également fait par la suite. »
Néanmoins, des entreprises de grande capitalisation en Bourse demeurent réfractaires, constate le MEDAC.
« Dans la dernière année seulement, deux entreprises encore réfractaires [au vote consultatif] ont emboîté le pas aux autres, soit Alimentation Couche-Tard et Saputo. Mais d’autres entreprises d’importance, comme CGI et Power Corporation, refusent toujours de céder aux pressions du MEDAC et à celle du monde financier en général. Une fois la nouvelle législation adoptée, elles devraient finalement se soumettre au gros bon sens. »
Plus d’impôts ?
Par ailleurs, dans son énoncé budgétaire, le gouvernement Trudeau a annoncé une mesure fiscale qui, elle aussi, pourrait influencer les pratiques de rémunération des grands patrons.
Le gouvernement veut réduire de façon substantielle l’avantage fiscal dont bénéficient les détenteurs d’options d’actions dans les entreprises, une forme de rémunération très répandue parmi les hauts dirigeants.
Pour le moment, les gains découlant de l’exercice de ces options par les dirigeants d’entreprise sont considérés comme des gains en capital, et donc exempts d’impôt sur la première moitié (50 %) de leur montant annuel.
Le gouvernement veut modifier ces gains en capital sur options en revenus de placement, les rendant du coup pleinement imposables au-delà d’un maximum annuel de 200 000 $ qui demeurera admissible à un gain de capital avec avantage fiscal.
« C’est un gros changement dans la fiscalité d’une portion importante de la rémunération totale des dirigeants d’entreprise, et qui pourrait avoir un impact rapide sur les prochaines politiques de rémunération. » – Michel Magnan, de l’École de gestion John-Molson
Dans le document du budget fédéral de mars, on indiquait que « la justification du traitement fiscal préférentiel des options d’achat d’actions des employés est d’appuyer des entreprises canadiennes jeunes et en croissance ».
Dans ce contexte, « le gouvernement ne pense pas que les options d’achat d’actions des employés devraient être utilisées en tant que méthode de rémunération bénéficiant d’un traitement fiscal préférentiel à l’égard des cadres de grandes entreprises bien établies ».
Selon les chiffres publiés avec le budget fédéral, pour l’exercice 2017, 2330 Canadiens gagnant plus de 1 million chacun ont demandé 1,3 milliard de dollars en déductions d’impôt concernant les options d’achat d’actions.
Ce sont donc 6 % de tous les demandeurs de cette déduction qui ont obtenu 64 % de la valeur totale de cette déduction en 2017.