2 novembre 2015

Les fonds « activistes » sont-ils utiles aux entreprises ?

Yvan Allaire et François Dauphin | Le Monde

Les fonds d’investissement dits « activistes » sont l’objet d’une grande attention de la part des médias. Les protagonistes les plus en vue sont traités comme des stars : leurs photos se retrouvent en couverture des plus prestigieux magazines américains, et on sollicite leurs avis sur tous les enjeux économiques. Nouveaux rois de la finance pour certains, sombres magouilleurs pour d’autres, ils sont loin de faire l’unanimité.

Mais qu’en est-il exactement ?

Rappelons, d’abord, qu’un fonds de couverture est dit « activiste » lorsqu’il acquiert une participation dans une entreprise cotée (généralement autour de 5 %), et qu’il utilise différentes tactiques afin de contraindre le conseil d’administration ou la direction de l’entreprise ciblée à se conformer à ses requêtes.

Nous avons entrepris une recherche en profondeur du phénomène, en analysant les 259 cas d’activisme par des fonds d’investissement survenus en 2010 et en 2011 aux États-Unis. Le présent texte résume les principaux constats de cette étude.

Approches hostiles

Tout d’abord, quels sont les objectifs de ces fonds et quelles tactiques utilisent-ils ?

Les objectifs énoncés publiquement par les fonds activistes sont de nature variée. Deux groupes se démarquent particulièrement : faire vendre l’entreprise ciblée, ou la diviser en entités distinctes, ou encore lui faire supprimer les actifs jugés moins rentables (31 % des cas) ; élaborer ou modifier une politique de rachat d’actions, ou augmenter le dividende versé, afin de redistribuer aux actionnaires les liquidités accumulées (17 %).

Dans 29 % des cas, les fonds activistes affichent pour objectif des changements de la structure de gouvernance ou de la représentation au conseil d’administration. Bien qu’il s’agisse d’un objectif en soi, cela ne représente en réalité qu’une demande transitoire vers un autre but appartenant à l’une ou l’autre des catégories énoncées plus haut, mais celui-ci n’est pas divulgué d’entrée de jeu.

Quelques fonds activistes se contentent de communiquer discrètement avec la direction de l’entreprise, mais dans la majorité des cas (75 %), ils adoptent plutôt des approches hostiles. Ils commencent habituellement par une critique publique de l’entreprise, celle-ci visant à rallier d’autres actionnaires insatisfaits. Si la majorité des entreprises cèdent rapidement, les plus récalcitrantes subissent le déclenchement d’une course aux procurations (25 % des cas), un affrontement public souvent très difficile et chargé d’attaques personnelles. Très efficaces, ces tactiques permettent aux activistes d’atteindre leurs objectifs dans 72 % des cas.

Plus d’une entreprise sur trois appelée à disparaître

Quelles sont les conséquences de ces actions pour les entreprises ciblées ?

Le constat le plus frappant est sans doute le nombre d’entreprises qui, cibles des activistes, sont finalement vendues ou liquidées. En effet, plus d’une entreprise qui se trouve dans ce cas sur trois (37 %) est appelée à disparaître sur un horizon de quatre ans !

Si l’on compare à un échantillon aléatoire (même nombre de sociétés, de taille similaire et provenant des mêmes industries), nous observons les éléments suivants :

  • un taux de rotation beaucoup plus élevé du PDG et du directeur financier ;
  • une réduction du nombre d’employés trois ans après le passage de l’activiste (à l’opposé, l’échantillon aléatoire montre une croissance de 15 % du nombre d’employés sur la même période) ;
  • une croissance des actifs totaux, pour les trois années suivant l’intervention, inférieure à l’inflation, comparativement à une croissance de plus de 20 % pour les entreprises de l’échantillon aléatoire.

Si de nombreuses études montrent que l’action s’apprécie dans les jours qui suivent l’annonce de l’intervention d’un fonds activiste, nos résultats indiquent qu’il n’y a pas de différence entre le rendement de l’action des entreprises ciblées par les fonds activistes et celui des sociétés de l’échantillon aléatoire, et ce sur une période de trois ans suivant l’annonce.

Des conséquences délétères

Que conclure de tout cela ? Une certitude : les fonds activistes n’ont pas une compréhension infiniment plus grande de la stratégie ou de la finance que les conseils d’administration ou les directions en place. Pour eux, la seule véritable voie de création de valeur passe par la vente de l’entreprise.

Les effets sur les entreprises attaquées, mais non vendues, sont moins clairs. Dans l’ensemble, la performance financière et opérationnelle ne s’améliore pas, mais ne se détériore pas non plus. Le management fait preuve de résilience, il doit s’adapter aux nouvelles conditions, aux contingences créées par les sacrifices consentis pour satisfaire les demandes des fonds activistes.

Les changements fréquents à la haute direction, l’élimination de toute marge de manœuvre provenant des encaisses, la réduction du nombre d’employés, la stagnation des actifs, la réduction des dépenses de recherche et développement, ainsi que le temps et l’énergie consacrés à gérer les attentes de l’activiste plutôt qu’à la gestion à long terme de l’entreprise… Voilà des conséquences en général plutôt nuisibles.

L’activisme actionnarial représente un fait transformateur, une remise en question fondamentale de la façon de gérer et de gouverner les sociétés cotées. Les gouvernements devraient s’inquiéter de la propagation rapide de ce phénomène au-delà des frontières américaines.

Les conseils d’administration de ces sociétés représentent la première ligne de défense contre un phénomène aux conséquences délétères pour notre système économique. Les conseils devront se montrer également… « activistes », s’ils souhaitent préserver les intérêts à long terme de leur entreprise et de toutes ses parties prenantes.