10 mars 2011

Les femmes aux conseils d’administration

Le temps des choix est venu!

Yvan Allaire et Monique Lefebvre | IGOPP

(Ce texte est tiré du rapport d’un Groupe de travail de l’IGOPP intitulé «Pour faire bouger les choses». Le Groupe de travail était composé de Mme. Monique Lefebvre (présidente), Mme. Paule Doré, Mme. Hélène Desmarais, Mme. Guylaine Saucier et de Messieurs Andrew Molson, Robert Parizeau et Yvan Allaire.

Les raisons, naguère plausibles, pour expliquer la faible, très faible, participation féminine aux conseils d’administration des sociétés canadiennes se sont estompées et apparaissent maintenant comme des excuses et des faux-fuyants.

Une fois avérée l’hypothèse selon laquelle l’intelligence, l’intégrité et l’indépendance d’esprit sont également réparties entre hommes et femmes, une question reste en suspens: comment corriger efficacement cette situation résultant bien souvent d’une appréciation insuffisante de la valeur d’une plus grande diversité dans la composition du conseil.

Nous voulons ici insister sur deux aspects de cet enjeu:

1. L’objectif d’assurer une forte présence des femmes aux conseils d’administration est une question d’équité et de principe!

Cet objectif n’a pas à être validé par des études empiriques qui démontreraient, au mieux, une corrélation entre le taux de participation des femmes au conseil et une performance économique supérieure chez les entreprises. Or, certains protagonistes d’une plus grande participation des femmes au conseil insistent pour appuyer leur revendication sur un tel argument.

Cet argument nous semble inapproprié et oiseux. D’abord, les études de cette nature sont toujours controversées, sujettes à de sérieuses réserves méthodologiques et conceptuelles. La performance économique des entreprises est le résultat de multiples facteurs rendant difficile d’isoler l’influence d’un facteur en particulier. Puis, qu’arriverait-il si une étude bien faite (aussi bien que les autres) concluait que la participation accrue de femmes au conseil mène à une performance inférieure? Devrait-on rebrousser chemin et arrêter la progression de la participation féminine aux conseils?

2 . Cet objectif sera-t-il mieux atteint par des mesures législatives ou par une approche incitative?

Signe des temps, au cours des mois de janvier 2011, la France adoptait une loi pour imposer aux entreprises françaises (cotées en bourse ou non!) un quota de 20% de femmes à leurs conseils d’administration et de surveillance en 2014 et de 40% en 2017. La loi prévoit des sanctions:

  • toute nomination au conseil qui contrevient aux proportions fixées par la loi est nulle;
  • tant que la composition du conseil d’une société n’est pas conforme à la loi, celle-ci ne peut verser de jetons de présence aux membres du conseil.

En février 2011, un groupe de travail sur la place des femmes aux conseils d’administration, créé par le gouvernement britannique, remettait un rapport («Women on Board», présidé par Lord Davies of Abersoch, CBE) proposant une démarche incitative et volontaire. Les entreprises cotées en bourse devraient se donner comme objectif d’atteindre au moins 25% de femmes à leurs conseils d’ici 2015 et faire rapport des progrès accomplis et des mesures prises pour atteindre cet objectif. (La proportion des femmes aux conseils des entreprises britanniques visées était de 12,5% en 2010). Voici donc deux façons radicalement différentes d’atteindre un même objectif. Laquelle convient le mieux au Canada?

Si le législateur fixe des quotas à atteindre selon un échéancier trop serré, alors les entreprises doivent procéder au recrutement massif de membres féminins pour leurs conseils, quels que soient les profils d’expérience et de compétence recherchés, ce qui peut susciter une perception néfaste de discrimination positive. Il serait dommageable pour la progression des femmes aux conseils d’administration que des parties prenantes en arrivent à croire qu’une administratrice a été nommée en raison de son genre plutôt que pour ses qualités personnelles. Un échéancier serré obligerait possiblement les entreprises à demander la démission d’administrateurs pourtant compétents pour faire la place aux nouveaux membres féminins.

Si le législateur, influencé par les représentations des parties les plus affectées, se montre “compréhensif” et fixe des objectifs à atteindre selon un échéancier très différé, alors il accorde un répit aux sociétés qui auraient pu faire progresser plus rapidement la participation des femmes à leur conseil. Ce type d’intervention législative risque d’être adapté aux situations des entreprises les plus retardataires.

C’est pourquoi, à ce moment-ci, l’IGOPP a proposé une démarche incitative ayant comme objectif d’atteindre un seuil de 40% de femmes aux conseils.

En 2010, on comptait 166 femmes siégeant aux conseils des 100 plus grandes sociétés canadiennes cotées en bourse; elles représentaient 14,43% des 1 150 membres de ces conseils (Spencer, Stuart, 2010). Pour atteindre un seuil de 40% de participation féminine, ces sociétés devraient nommer 294 femmes de plus à leurs conseils.

Les entreprises doivent s’engager à atteindre cet objectif de 40% de femmes à leur conseil d’administration selon un échéancier adapté à leur situation mais comportant des objectifs précis à atteindre au cours des trois et cinq prochaines années. Cet enjeu soulève la question du taux de roulement des administrateurs. Les sociétés cotées en bourse devront revoir leurs règles quant au terme maximal pour leurs administrateurs ainsi que leur démarche d’évaluation des membres du conseil. Une société ne peut établir un objectif raisonnable sans une estimation du nombre de vacances probables au cours des prochaines années. Le rapport annuel de l’entreprise devrait faire état de ces objectifs, des stratégies adoptées pour hausser le nombre de femmes siégeant au conseil ainsi que des progrès accomplis au cours de l’année écoulée.

Cette approche incitative comporte une obligation de résultats et un engagement ferme de la part des entreprises d’accélérer la progression du nombre de femmes siégeant à leurs conseils. Si les dirigeants de ces sociétés font la sourde oreille, ne reconnaissent pas qu’un principe d’équité est en jeu, continuent de se cacher derrière des faux-fuyants, alors le recours à la loi deviendra inévitable.