Les défis d’un «bon» président de conseil d’administration
Yvan Allaire | Les AffairesLa séparation de la fonction de président du conseil d’administration (PCA) de celle de chef de la direction (PDG) est devenue un des piliers de la «bonne gouvernance», à notre époque du moins.
L’argument est simple et d’une allure péremptoire : puisque le PDG relève du conseil d’administration, lequel doit évaluer sa prestation, fixer sa rémunération et autres conditions de son embauche, il est malsain que le PDG préside également le conseil d’administration de son entreprise. Les responsabilités de plus en plus lourdes que doivent assumer les conseils d’administration donnent un support additionnel à l’argumentation en faveur d’une séparation des rôles : que le PDG se consacre à plein temps à ses fonctions de direction et laisse une autre personne s’occuper des enjeux de gouvernance.
Cette argumentation, et les bonnes notes de gouvernance qui l’accompagnent, a convaincu plus de 70% des entreprises canadiennes d’adopter cette dualité de fonctionnement (mais moins de 30% des entreprises américaines!).
Donc, pour l’entreprise canadienne cotée en bourse, le mode normatif de gouvernance exige que le conseil soit présidé par un administrateur indépendant de la direction qui consacre environ deux jours par semaine à ses fonctions de gouvernance et de gestion du conseil. Le président d’un conseil assume donc un rôle complexe et, parfois, paradoxal, mais un rôle qui est souvent déterminant de l’efficacité de la gouvernance.
Rôle complexe et paradoxal parce qu’en plus d’être imputable d’une longue liste de tâches de nature fiduciaire, le PCA doit composer avec des enjeux plus intangibles, plus difficiles à saisir. En voici quelques-uns :
Changer la dynamique des réunions du conseil ; il est fréquent que les membres d’un conseil se connaissent peu et se rencontrent rarement hors des réunions du conseil et de ses comités. Cette réalité donne aux réunions du conseil toutes les allures d’une rencontre sociale entre étrangers, avec son déploiement de gêne et d’inhibition, de peur de gaffer, de fausse assurance, de domination de la conversation par quelques verbeux. Ces phénomènes nuisent à l’efficacité d’un conseil mais sont inévitables à notre époque alors que la bonne gouvernance s’appuie sur des conseils faits de membres indépendants sans liens de «copinage» entre eux ; le PCA doit chercher à briser cette dynamique qui transforme les réunions du conseil en une sorte de cocktail dinatoire.
Gérer sa relation avec le chef de la direction
Une des raisons invoquées pour s’opposer à la séparation des rôles de PCA et de PDG tient au caractère paradoxal de cette relation. Le président du conseil doit être une personne expérimentée, aux états de service éprouvés, dotée d’un bon leadership mais, malgré toutes ses qualités, discrète et effacée de façon à ne pas porter ombrage à l’autorité du chef de la direction. Le PCA devrait`également devenir une source de conseils et de support ainsi qu’un partenaire de dialogue pour le chef de la direction; toutefois, le PCA doit éviter, ce qui n’est pas facile en pratique, de se commettre envers les choix du chef de la direction avant les réunions du conseil et ainsi devoir faire front commun plus ou moins ouvertement avec lui, plutôt que de jouer son rôle d’arbitre et de meneur impartial de la discussion.
Maintenir une saine mais mouvante démarcation entre la gouvernance et la gestion de l’organisation
Au-delà de la platitude que le conseil gouverne et la direction gère, la démarcation appropriée est d’une nature problématique et changeante. Les problèmes récents qu’ont vécus Merrill Lynch et Citigroup soulèvent à nouveau l’enjeu de la responsabilité des administrateurs, du niveau de leur implication dans l’évaluation des risques, etc. Ce qui est certain, c’est que cette démarcation bien étanche lorsque tout va bien doit changer lorsqu’une crise survient ou que des enjeux hors du commun sollicitent la société. C’est le rôle du PCA de faire évoluer cette démarcation au gré des circonstances.
Assurer une utilisation optimale des habiletés et de l’expérience des membres du conseil
Au fur et à mesure que s’ajoutent aux conseils d’administration des gens expérimentés, intellectuellement vigoureux et disponibles, il convient de rechercher les moyens de faire le meilleur usage de ce talent. La «bonne» gouvernance décrète qu’une même personne ne doit pas siéger à de trop nombreux conseils ; de même la tradition selon laquelle les PDG, déjà surchargés de travail, siègent tout de même sur plusieurs autres conseils est en voie de disparition. La nature et les responsabilités des conseils ont changé. Le PCA doit chercher comment faire le meilleur usage du talent assemblé au conseil pour le mieux-être de l’organisation.
Le président du conseil est au premier chef le gardien de la légitimité et de la crédibilité de la société auprès de ses commettants et parties prenantes. Il ou elle assume un rôle subtil qui va bien au-delà des prescriptions normatives et des listes de bonnes manières autour d’une table de conseil.