26 novembre 2007

Gouvernements et gouvernance…

Yvan Allaire | Forces

Comment gouverner en notre époque alors que les gouvernements assument, directement et indirectement, de vastes responsabilités et sont imputables de leurs décisions ainsi que de celles prises en leur nom.

Ainsi, l’État du Québec se manifeste dans :

  • le gouvernement et ses 22 ministères,
  • quelque 30 «entreprises» du gouvernement,
  • quelque 50 organismes du gouvernement,
  • 194 établissements de santé et services sociaux,
  • quelque 15 universités et grandes écoles,
  • 48 cégeps,
  • 72 commissions scolaires,
  • quelque 300 villes et municipalités,
  • …et cette liste est incomplète.

Sauf pour les ministères, toutes ces émanations de l’État québécois revendiquent, et jouissent dans les faits, d’une certaine autonomie de fonctionnement. Elles sont toutes dotées d’un conseil d’administration (ou l’équivalent) dont les membres sont soit élus par suffrage (de faible participation), soit nommés par le gouvernement ou d’autres instances, soit délégués par quelque partie prenante.

À l’exception des entreprises du gouvernement à vocation commerciale (Hydro, Loto, SAQ, etc.), tous ces organismes tirent une partie de leurs revenus (pour certains, la totalité) du gouvernement du Québec. En conséquence, le gouvernement est imputable des fonds publics versés à l‘un ou l’autre organisme.

Le dilemme

Nous voici au cœur du dilemme de la gouvernance dans le secteur public ! Le gouvernement ne peut exercer un contrôle sur le bien-fondé de chacune des sommes demandées ni sur leur utilisation judicieuse et probe sans créer une bureaucratie étouffante d’une dimension proprement kafkaïenne.

Alors les gouvernements procèdent par délégation de responsabilités et l’attribution d’une certaine autonomie de fonctionnement aux conseils des organismes, autonomie encadrée par des principes et pratiques de saine gouvernance.

Toutefois, pour les partis d’opposition, les médias et la population en général, le gouvernement demeure le grand responsable de tout ce qui se fait ou ne se fait pas dans ces divers organismes.

Ce fait incontournable place les gouvernements devant un dilemme. Incités à laisser une bonne marge d’autonomie aux organismes et à leur conseil, les gouvernements ne devraient pas intervenir dans leurs décisions; mais plus ils sont autonomes, plus il est probable que ces organismes, à un moment ou l’autre, prendront des décisions qui pourront embarrasser le gouvernement.

Le gouvernement, ayant appris cette pénible leçon, voudra dorénavant contrôler de façon plus serrée ces organismes, même ceux qui ne sont pas fautifs. Le gouvernement enclenche ainsi un cercle vicieux qui va à l’encontre des principes de bonne gouvernance.

Le dilemme se manifeste ainsi: une bonne gouvernance rend le gouvernement plus vulnérable devant le grand public, les partis d’opposition et les médias pour des décisions prises à son insu; par contre, une mauvaise gouvernance aboutit à des organismes moins performants, politisés et bureaucratiques, mais possiblement moins risqués politiquement pour les gouvernements.

Comment sortir du dilemme

La Commission Gomery, sensible à cet enjeu, proposait, angélisme touchant, aux médias, au public, aux partis d’opposition de «faire une distinction entre la faute et l’erreur» (p. 197) ; ceux-ci « … doivent être prêts à pardonner l’erreur occasionnelle et à modérer leur critique des pratiques du gouvernement» (p. 197). On peut toujours espérer mais les événements récents montrent combien il est difficile, au cours d’une controverse médiatisée, de s’en tenir aux distinctions entre «l’erreur et la faute» et d’invoquer l’autonomie des organismes.

Solution?

Je propose plutôt une solution, imparfaite bien sûr, mais réaliste et conforme aux principes d’une saine gouvernance. Le gouvernement devrait calibrer le niveau d’autonomie accordée aux organismes dont elle finance les opérations, en tout ou en partie, selon la mise en place d’une gouvernance de haute qualité. Cette règle pourrait s’exprimer ainsi : «Pas d’autonomie sans une bonne gouvernance et pas de bonne gouvernance sans une certaine autonomie».

Pour les organismes dont le gouvernement établit les modes de gouvernance par des lois constitutives et nomme les membres des conseils, cette solution est facile d’application. Elle exige toutefois que le gouvernement soit rigoureux dans la sélection des personnes devant siéger sur ces conseils d’administration.

Dans les organismes pour lesquels le gouvernement ne peut dicter les règles de gouvernance ni nommer la plupart des membres du conseil, le gouvernement devrait rendre sa participation financière conditionnelle à la mise en place par l’organisme d’une gouvernance de haut niveau. Le gouvernement devrait rendre public les principes et pratiques de gouvernance qui feront en sorte qu’un organisme pourra bénéficier d’une autonomie de fonctionnement plus étendue.

Ainsi, le gouvernement, fortement troublé par les bévues, dépassements de coûts et autres décisions hasardeuses à l’UAQM, propose par son projet de loi 44 de mettre en tutelle financière, plus ou moins, toutes les universités du Québec, malgré que celles-ci jouissent, de par leur loi constitutive, d’un haut degré d’autonomie. Toutefois, le gouvernement se laisse la latitude de définir dans les règlements afférents à la loi 44 la portée de cette «tutelle» ainsi que les situations d’exception.

Voici une occasion de mettre en pratique la solution proposée ici. Le règlement associé à la loi 44 pourrait statuer que toute université dont la gouvernance rencontre des critères précis (indépendance des membres du conseil, expérience et expertise pertinentes au conseil et au comité de vérification, etc.) sera exemptée des dispositions de la loi 44 obligeant les universités à faire autoriser par le gouvernement tout emprunt, placement ou engagement financier.

Réagir aux crises !

Aussi valable que soit cette suggestion, elle ne protéger pas le gouvernement lorsque souffle la tourmente d’une crise dans l’un ou l’autre organisme. Cela est vrai mais il convient de s’interroger sur comment diminuer la fréquence des «crises» et comment le gouvernement devrait réagir lorsqu’elles surviennent.

Par leur nature même, des conseils formés de gens compétents et responsables devraient contribuer à réduire la fréquence des cas patents d’incurie et d’incompétence. Lorsqu’il y a crise mettant en cause le gouvernement, celui-ci devrait établir rapidement si le conseil d’administration était informé des agissements répréhensibles ou des décisions hasardeuses. Le conseil était-il une partie prenante aux décisions qui ont suscité cette crise?

Si la réponse est oui, alors le gouvernement doit immédiatement démettre les membres du conseil ayant avalisé ces décisions et les remplacer par une nouvelle équipe d’administrateurs. Le risque d’atteinte à leur réputation de compétence est un puissant aiguillon pour que les administrateurs exercent leur fonction avec prudence et diligence. Le fait que des membres de conseil soient ainsi démis, lorsque les circonstances le justifient, suscitera un climat salutaire chez tous les membres de conseil d’organismes publics.

Si la réponse est non, les membres du conseil n’étaient pas informés et n’ont joué aucun rôle dans les événements qui ont causé cette crise, alors le gouvernement doit s’en remettre à eux pour régler le problème. Le conseil doit alors intervenir dans le débat public, répondre aux questions des médias, assumer ses responsabilités, faire état des mesures prises pour corriger la situation, répondre, en commission parlementaire s’il y a lieu, aux questions des partis d’opposition.

Cette suggestion ne règle pas tout. Le jeu démocratique a des raisons que la raison ignore, mais enfin…!