17 octobre 2012

Femmes aux conseils d’administration

Le temps d'agir, mais comment?

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

L’ancienne ministre des finances du Québec vient de publier un ouvrage au titre accrocheur « Les femmes au secours de l’économie » (Stanké, 2012).

L’ouvrage de Monique Jérôme-Forget fait le tour convenu des « recherches» démontrant la performance économique supérieure qui serait attribuable à une présence féminine plus importante au conseil d’administration ou à la direction de l’entreprise.

Malgré cette « démonstration », les entreprises continuent de bloquer le chemin du conseil ou des postes de haute direction aux femmes compétentes. Le législateur devrait s’en mêler, argumente l’auteure, et fixer des quotas incontournables pour les conseils d’administration, comme il l’a fait dans d’autres pays et au Québec pour les sociétés d’État.

J’ai publié dans Le Devoir du 7 mars 2011 avec la regrettée Monique Lefebvre un texte qui reprenait la prise de position de l’IGOPP sur ce sujet et proposait des voies de solution raisonnables mais efficaces; voici ce texte en partie :

En 2010, on comptait 166 femmes siégeant aux conseils des 100 plus grandes sociétés canadiennes cotées en bourse; elles représentaient 14,43% des 1 150 membres de ces conseils (Spencer, Stuart, 2010). Au cours de 2010, quelque 87 nouveaux membres furent élus aux conseils de ces sociétés, soit environ 7% du total des membres de conseils. Les femmes comptaient pour un sur cinq de ces nouveaux membres. (En 2011, ce pourcentage grimpait à 29%).

Les raisons, naguère plausibles, pour expliquer la faible, la très faible, participation féminine aux conseils d’administration des sociétés canadiennes s’estompent et apparaissent souvent comme des excuses et des faux-fuyants. Parmi ces raisons, on peut citer le décalage temporel entre hommes et femmes dans l’accès aux études supérieures.

En effet, l’âge moyen des nouveaux membres de conseil oscille entre 52 et 55 ans, ce qui signifie qu’ils ont terminé leurs études autour de 1985-1990. Durant ces années, la sous-représentation féminine dans les programmes de MBA par exemple était significative.

Ainsi, pour le programme de MBA de Harvard, assez typique de l’ensemble des programmes de MBA, les femmes ne représentaient que 11% des diplômés en 1975 et 25% de la classe ayant graduée en 1985. Cette proportion s’établit maintenant à quelque 40%.

Au Canada, depuis 2002, les femmes représentent environ le tiers des diplômés des programmes de MBA. Ces données sont le signe avant-coureur d’un remarquable bassin de compétences en formation.

Une fois avérée l’hypothèse selon laquelle l’intelligence, la compétence, l’intégrité et l’indépendance d’esprit sont également réparties entre hommes et femmes, une question reste en suspens: comment corriger efficacement cette situation résultant bien souvent d’une recherche insuffisante de candidates de talent mais qui se trouvent hors des réseaux habituels de sélection.

Nous voulons ici insister sur deux aspects de cet enjeu:

1. L’objectif d’assurer une forte présence des femmes aux conseils d’administration est une question d’équité et de principe!

Cet objectif n’a pas à être validé par des études empiriques qui démontreraient, au mieux, une corrélation entre le taux de participation des femmes au conseil et une performance économique supérieure chez les entreprises. Or, certains protagonistes d’une plus grande participation des femmes au conseil insistent pour appuyer leur revendication sur un tel argument.

Cet argument nous semble inapproprié et oiseux. D’abord, les études de cette nature sont toujours controversées, sujettes à de sérieuses réserves méthodologiques et conceptuelles. La performance économique des entreprises est le résultat de multiples facteurs rendant difficile d’isoler l’influence d’un facteur en particulier. Puis, qu’arriverait-il si une étude bien faite (aussi bien que les autres) concluait que la participation accrue de femmes au conseil mène à une performance inférieure? Devrait-on rebrousser chemin et arrêter la progression de la participation féminine aux conseils?

2. Quel serait un objectif raisonnable et quelles mesures sont appropriées pour l’atteindre ?

Signe des temps, au cours des mois de janvier 2011, la France adoptait une loi pour imposer aux entreprises françaises (cotées en bourse ou non!) un quota de 20% de femmes à leurs conseils d’administration et de surveillance en 2014 et de 40% en 2017. La loi prévoit des sanctions:

  • Toute nomination au conseil qui contrevient aux proportions fixées par la loi est nulle.
  • Tant que la composition du conseil d’une société n’est pas conforme à la loi, celle-ci ne peut verser de jetons de présence aux membres du conseil.

Si le législateur fixe des quotas à atteindre selon un échéancier trop serré, alors les entreprises doivent procéder au recrutement massif de membres féminins pour leurs conseils, quels que soient les profils d’expérience et de compétence recherchés, ce qui peut susciter une perception néfaste de discrimination positive. Un échéancier serré mandaté par une loi forcerait les entreprises à adopter l’une ou l’autre (ou une combinaison) des mesures suivantes, aucune n’étant de bonne gouvernance :

  • Augmenter la taille des conseils et ne nommer que des femmes à ces nouveaux postes.
  • Imposer un rythme de départ des administrateurs en place par une combinaison de limites sur le nombre d’années au conseil ou sur l’âge des membres du conseil, limites qui devraient être bien inférieures à ce qui se pratique maintenant.
  • Ne nommer que des femmes aux conseils tant que le quota fixé n’est pas atteint.

Une démarche raisonnable

Alors, comment procéder pour que les femmes atteignent une juste représentation aux conseils d’administration dans un délai raisonnable?

Pour répondre à cette question, il faut prendre en compte deux variables déterminantes. La première porte sur le taux de changement (ou de rotation) des membres de conseils. Le taux de 7% constaté en 2010 apparaît comme représentatif du rythme de changement dans la composition des conseils d’administration. Ce taux traduit en un changement complet des membres du conseil sur une période de 10 ans.

Avec un taux de rotation de 10%, le conseil changerait totalement de membres une fois et demie sur une période de dix ans ; à 15%, le conseil connaîtrait un roulement total en cinq ans et de trois fois en 10 ans ! Ce sont là des résultats qui ne sont pas conformes au fonctionnement réel des conseils, ni souhaitables d’un point de vue de saine gouvernance.

La deuxième variable porte sur le ratio de femmes parmi les nouveaux membres des conseils. Rappelons qu’en 2010, ce ratio ne fut que d’une femme sur cinq nouveaux membres.

Or, comme le montre le tableau suivant, ces deux variables sont déterminantes du rythme de progression des femmes aux conseils d’administration.

Si le taux de roulement demeure constant à 7% et que les femmes ne comptaient que pour un nouveau membre sur cinq nouveaux membres, dans dix ans, le pourcentage de femmes aux conseils passerait de 14,4% à 18,8%, un résultat inacceptable !

Les conseils d’administration doivent maintenant mettre en place une démarche d’évaluation des membres du conseil afin de renouveler sa composition et maintenir un haut niveau de compétence au conseil. Cela étant, il est possible qu’au cours des prochaines années, le taux de rotation des conseils s’accélère en conséquence de la proportion des membres approchant l’âge de la retraite. Toutefois, un taux de rotation bien supérieur à 7% n’est pas soutenable à long terme.

Alors, l’augmentation du pourcentage des femmes aux conseils doit provenir du ratio de femmes parmi les nouveaux membres. Comme le montre le tableau, une politique de nommer une femme pour chaque deux vacances au conseil mène à un taux de participation féminine de près de 40% en 10 ans (au taux de rotation de 7%).

Une politique pour les entreprises

Les sociétés ouvertes, tout comme les institutions et organismes, devraient se donner comme objectif d’en arriver à ce que leur conseil d’administration soit composé d’au moins 40% de femmes (ou d’hommes)

Pour atteindre cet objectif, les grandes sociétés devraient adopter une politique à l’effet de nommer une femme pour chaque deux nouveau postes disponibles à leur conseil. Une telle politique, selon le rythme de renouvellement du conseil, résultera en une augmentation significative du nombre de femmes sur ces conseils.

Le rapport annuel de l’entreprise devrait faire état de son adoption de la politique de nommer une femme sur deux nouvelles nominations au conseil pour hausser à 40% le nombre de femmes siégeant au conseil. Plus que la coercition par la loi, cette approche incitative mais exigeante nous semble dans le meilleur intérêt de toutes les parties et tout particulièrement celui des femmes compétentes.

Pour lire le texte avec les tableaux et graphique, télécharger le document PDF dans les prises de position.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.