Barrick Gold: message compris!
Yvan Allaire | Lesaffaires.comEn 2013, les fonds institutionnels ont infligé une symbolique raclée aux dirigeants et membres du conseil de Barrick Gold. La prime d’arrivée accordée au nouveau vice-président du conseil leur semblait ainsi qu’à beaucoup d’observateurs, exorbitante et injustifiée.
Le conseil d’administration de Barrick a compris le message. Il a rendu public le 31 mars dernier un plan de rémunération inédit et innovateur dont devraient s’inspirer toutes les entreprises cotées en Bourse.
Notre institut a publié en 2012 une prise de position sur la rémunération des dirigeants d’entreprises (« Trancher le nœud gordien de la rémunération », IGOPP, mai 2012), laquelle propose un ensemble de nouvelles pratiques que l’on retrouve, pour l’essentiel, dans le programme mis de l’avant par Barrick Gold. On ne peut que féliciter la société d’avoir fait ce pas de géant dans la bonne direction.
Ce nouveau programme de rémunération mis de l’avant par Barrick comporte plusieurs aspects innovateurs :
- L’élimination des options d’achat d’actions; cette forme de rémunération incitative est l’une des causes du phénomène répandu et nocif de gestion à courte vue et de prise de risque démesurée.
- La rémunération variable sera liée à des mesures de rendement à la fois quantitatives et qualitatives; les conseils d’administration doivent apprécier les facteurs plus subtils, moins tangibles qui sont toutefois essentiels pour une haute performance soutenue. Ainsi, le conseil de Barrick a établi des objectifs financiers mais voudra aussi évaluer comment la direction s’acquitte de tâches comme le maintien de la bonne réputation de la société, l’appui de la société civile et des gouvernements à son activité, le développement continu des ressources humaines et l’efficacité avec laquelle la direction exécute la stratégie de l’entreprise.
- Aucune des mesures quantitatives retenue par le conseil de Barrick n’est liée au prix de l’action; bien que le montant éventuel recu comme rémunération variable sera à long terme influencé par le cours de l’action, les objectifs quantitatifs, dont l’atteinte déclenchera l’attribution d’unités de rémunération variable, prennent la forme de mesures financières en grande partie sous le contrôle de la direction : le rendement du capital investi, les flux de trésorerie disponibles, les dividendes aux actionnaires, la solidité de la structure du capital, le rendement des projets d’investissement.
- Les membres de la direction recevront un nombre d’unités selon l’atteinte des objectifs quantitatifs et l’appréciation des objectifs qualitatifs, chaque objectif ayant une pondération précise et publique. Ces unités ne sont acquises (« vested ») qu’au terme de trois ans et sont alors converties en actions de la société; l’achat de ces actions se fait sur le marché libre de sorte que les actionnaires ne subissent aucun effet de dilution.
- L’abandon à toute fins utiles de la pratique qui est responsable en bonne partie de l’inflation salariale des dirigeants : l’établissement de la rémunération par comparaison à la rémunération d’un groupe d’entreprises supposément comparables. C’est le maillon le plus faible de tous les systèmes de rémunération qui ont cours présentement.
- La société a adopté une disposition de recouvrement en cas de retraitement du rendement antérieur; elle a également adopté une politique visant à interdire aux membres de la direction de conclure des opérations de couverture des risques économiques liés à leur actionnariat.
- La société a considérablement rehaussé la valeur en matière d’actionnariat exigée de tous les membres de la direction.
- Les membres de la direction ne peuvent vendre les actions qu’ils ont gagnées avant de prendre leur retraite ou de quitter la société.
Dans l’ensemble, ce nouveau système de rémunération représente une nette amélioration par rapport aux systèmes de rémunération antérieurs de Barrick et ceux de la plupart des sociétés canadiennes et américaines.
Néanmoins, j’ai une réserve importante : l’idée d’interdire la vente de toutes les actions gagnées jusqu’à la retraite ou jusqu’au départ du membre de la direction peut s’avérer contre-productive. Un membre de la direction, disons, de quarante-cinq ans a acquis, selon ce système de rémunération, une somme importante mais virtuelle en actions cumulées, laquelle est toujours à risque d’un effondrement généralisé des marchés boursiers au moment le plus inopportun pour lui. De plus, cette richesse « sur papier » ne lui permet de faire profiter sa famille de ses succès.
Il pourra alors lui sembler attrayant de quitter la société prématurément pour se joindre à une autre société. (Si celle-ci était directement concurrente de Barrick, il devrait attendre deux ans avant de pouvoir vendre les actions gagnées). Le fait de devoir attendre la retraite avant de pouvoir vendre une tranche de cette richesse virtuelle mais vulnérable peut s’avérer improductif.
Puisque la société a grandement rehaussé le montant minimal que les dirigeants doivent détenir en actions de la société, il serait préférable de permettre la vente d’actions acquises au-delà du seuil d’actionnariat fixé pour les membres de la direction. Tant et aussi longtemps que les membres de la direction conservent une partie importante de leur richesse sous forme d’actions de la société, l’harmonisation de leurs intérêts avec les intérêts à long terme de la société est assurée.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.