19 mars 2018

Rémunération des médecins québécois, la boîte de Pandore

Caroline Cambourieu et Yvan Allaire | Le Devoir

La rémunération globale des omnipraticiens et des médecins spécialistes québécois a suscité la colère et l’incompréhension au sein de la population.

Ce sont par des ententes bipartites négociées à huis clos entre les deux fédérations médicales et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) que la rémunération des médecins est établie et que sont prévues des modifications dans les façons de les rémunérer. En vertu de ces ententes, le nombre d’actes rémunérés augmente, les tarifs de base des actes sont majorés et des modulations de la rémunération sont instaurées (par exemple, selon le milieu ou la région de pratique, selon les caractéristiques et le nombre de patients traités). C’est le cas, notamment, du mode de rémunération à l’acte qui inclut désormais des incitations financières (rémunération à la performance) et rembourse le paiement des actes non cliniques (formation, supervision et administration). Avec le temps, ces changements ont bonifié et complexifié la rémunération des médecins.

Les ajouts successifs de nouveaux modes et modalités de rémunération à celui de la rémunération à l’acte ont changé le portrait de la rémunération médicale. Selon des données récentes (ICIS, 2015-2016), la rémunération à l’acte et les mesures incitatives représentent 85,2 % de la rémunération totale chez les médecins spécialistes et 69,6 % pour les médecins de famille. Le reste de leur rémunération provient d’autres modes comme la rémunération mixte, les honoraires forfaitaires, les salaires et honoraires fixes, la rémunération incitative à forfait et à primes, les mesures incitatives particulières et les autres programmes et avantages. À cette pluralité de modes s’ajoute le fait que le médecin peut exercer sa profession au sein d’une société par actions (SPA) ou d’une société en nom collectif à responsabilité limitée (SENCRL) et voir sa rémunération annuelle modifiée en raison des effets de la fiscalité.

Des manuels complexes

La rémunération à l’acte (et les mesures incitatives) est établie à partir des manuels québécois de facturation des omnipraticiens et des spécialistes, lesquels sont parmi les plus complexes au Canada. Au total, les deux manuels québécois font quelque 1330 pages (auxquelles il faut ajouter celles traitant des nombreuses règles de facturation). Le calcul de la rémunération des médecins est devenu tellement complexe que la très grande majorité d’entre eux ont recours à des agences privées de facturation lorsqu’ils demandent leurs paiements à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). De plus, le traitement des demandes de paiements acheminées à la RAMQ exige souvent de nombreux échanges avec les médecins pour clarifier les instructions sur la facturation.

En raison de la pluralité des modes de rémunération des médecins déployés pour corriger des situations ponctuelles au fil des ans, le système est devenu hyper-complexe et les initiatives en matière de rémunération ont souvent abouti à des effets contraires.

Il s’agit là d’un symptôme classique d’interventions dans des systèmes complexes quand on n’en maîtrise pas toute la dynamique.

Des lacunes connues

Les lacunes de la rémunération à l’acte sont multiples et bien connues, mais son remplacement par d’autres formes de rémunération soulève de difficiles enjeux, car chaque mode comporte son lot d’effets imprévisibles et souvent contre-intuitifs (défavorables et favorables).

Dans le but louable d’atteindre des objectifs multidimensionnels (ciblant l’accès et la qualité des soins, les milieux de pratique), on a modulé et diversifié les composantes de la rémunération médicale, mais on a souvent abouti à des résultats différents, voire contraires, de ceux recherchés. De plus, l’impact de ces nouvelles combinaisons de modes de rémunération sur la performance des systèmes de santé est variable et difficile à évaluer par le gouvernement tiers-payeur.

Les combinaisons de modes de rémunération des médecins doivent être conçues de façon à bénéficier des avantages de chacun et pallier leurs lacunes. Parmi les lacunes attribuées au mode de rémunération à l’acte arrive au premier rang la dispensation de plus de soins que nécessaires pour le patient ; au contraire pour le médecin rémunéré par patient (paiement fixe par patient durant une période donnée), le médecin n’a aucune incitation à produire trop d’actes, mais les soins dispensés peuvent être inférieurs à ce qui serait optimal pour le patient.

Il importe de prendre en compte les contextes dans lesquels ces combinaisons de mode évoluent. Mis à part une quasi-unanimité quant aux difficultés et limites de la rémunération à la performance, la définition d’un modèle optimal demeure extrêmement difficile, car il devrait intégrer les effets positifs et négatifs des différentes combinaisons de modes de rémunération des médecins.

Or, l’établissement d’un mode optimal est pourtant un enjeu majeur pour le système de santé québécois. Pourrions-nous apprendre de ce qui se fait ailleurs ? Pourrait-on expérimenter et évaluer des modes de rémunération différents dans différents contextes de façon à tirer les leçons appropriées ?

À ce jour, les effets des modes de rémunération et de leurs modulations ainsi que les actes du manuel de facturation sont très rarement soumis à une évaluation systématique.

De toute évidence, les modes de rémunération et la proportion des dépenses publiques allouées à la rémunération des médecins québécois (20,5 % en 2017) exercent une influence sur la performance du système de santé. Il est grand temps de revoir les modes de rémunération des médecins québécois afin de s’assurer que les façons de les rémunérer sont bien alignées, d’une part, sur l’intérêt collectif de l’ensemble des Québécois et, d’autre part, sur l’objectif d’un système de santé performant.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que les auteurs.