Le rapport Gallois sur la compétitivité française
Des leçons pour le Québec?
Yvan Allaire | Lesaffaires.comLe 5 novembre dernier, Louis Gallois, jusqu’à récemment PDG de EADS (Airbus-Aérospatiale, etc.), remettait au premier ministre français un rapport que le gouvernement français lui avait commandé. Le «Pacte pour la compétitivité de l’industrie française» contient un ensemble de propositions pour donner un «choc de compétitivité» à l’industrie française.
Ce choc prendrait surtout la forme d’une réduction de quelque 20 milliards d’euros pour les charges «patronales» que doivent assumer les entreprises pour leurs employés ainsi qu’une réduction de 10 milliards d’euros des charges assumées par les salariés, et ce sur une période de deux ans et ne portant que sur les salaires en deçà de 3,5 fois le smic (leur salaire minimum), soit environ 60 000 euros par année.
L’argument à l’appui de cette recommandation fait du sens : plus l’écart entre le coût total pour l’entreprise et le montant net reçu par le salarié grandit, moins l’entreprise embauchera d’employés à temps plein; plus le coût total des employés augmente dans un contexte de haute concurrence internationale, plus faibles seront les marges bénéficiaires des entreprises et en conséquence moins elles pourront s’autofinancer et investir en nouveaux équipements ainsi qu’en recherche et développement de nouveaux produits.
Évidemment, le trésor français devra trouver en quelque part les 30 milliards d’euros que coûterait cette opération. «Il appartiendra à la concertation prévue sur le financement de la protection sociale d’examiner dans quelles conditions ce transfert peut être organisé et quelles ressources fiscales de substitution peuvent être mobilisées.» (Rapport Gallois, page 23)
Plusieurs des autres propositions du rapport Gallois s’appuient sur les particularités du système fiscal français et sur les programmes de support aux entreprises propres à la politique industrielle française. Celles-ci n’offrent que peu d’intérêt pour le Québec.
Toutefois, trois propositions revêtent une certaine pertinence :
Le gaz de schiste
- Le rapport Gallois s’aventure sur le terrain, explosif en France tout autant qu’au Québec, des gaz de schiste : «Nous plaidons pour que la recherche sur les techniques d’exploitation des gaz de schiste soit poursuivie. La France pourrait d’ailleurs prendre l’initiative de proposer avec l’Allemagne à ses partenaires européens un programme sur ce sujet. L’exploitation du gaz de schiste soutient l’amorce de réindustrialisation constatée aux États-Unis (le gaz y est désormais 2 fois et demi moins cher qu’en Europe) et réduit la pression sur sa balance commerciale de manière très significative.» (ibid, page 25)
Le court-termisme
- Le rapport s’inquiète des pressions exercées sur les entreprises pour qu’elles gèrent sur le court terme :
Pour investir, les entreprises ont également besoin de visibilité sur l’avenir; elles ne peuvent être exclusivement soumises aux impératifs – souvent de court terme – des marchés financiers; en premier lieu, le poids des actionnaires dans les entreprises doit être équilibré, en privilégiant ceux qui jouent le long terme et en donnant la parole aux autres parties prenantes de l’entreprise. (Rapport Gallois, page 21, emphase ajoutée).
Pour atteindre cet objectif, le rapport propose que le droit de vote double soit automatiquement acquis après deux ans de détention des actions. L’Assemblée Générale ne pourrait le remettre en cause qu’à la majorité des 2/3; les sociétés françaises avaient la possibilité d’adopter une telle mesure; ici, on propose de rendre la mesure universelle et difficile à répudier;
Cette proposition est inspirée par un bon sentiment. Sans doute que sans certaines précautions, l’entreprise cotée en Bourse, sans actionnaire de contrôle, risque d’être ballotée au gré des calculs et tactiques de spéculateurs et de fonds impatients.
L’IGOPP, ma co-auteure, la professeure Mihaela Firsirotu, et moi avons pris position sur cette question dans plusieurs ouvrages; mais notre proposition, à l’effet d’exiger une période de détention d’une année avant d’acquérir le droit de vote, nous semble supérieure en tout point.
D’abord, notre proposition s’inscrit dans la logique d’une citoyenneté d’entreprise. Les pays exigent une certaine période de résidence avant que tout nouvel arrivant puisse exercer le droit de vote. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour un nouvel actionnaire? Les touristes comme les actionnaires-touristes ne peuvent ni ne doivent influencer le destin d’une nation ou d’une entreprise. La mesure du double vote après deux ans ne s’appuie sur aucune logique particulièrement convaincante.
Puis, notre mesure s’avérerait beaucoup plus efficace dans les situations de tentatives de prise de contrôle dites «hostiles». En effet, dès qu’une telle manœuvre est rendue publique, une forte proportion (souvent de l’ordre de 40%) des actions passe aux mains de fonds d’arbitrage et de fonds de couverture. Même avec un seul vote, par comparaison à certains autres actionnaires qui en détiendraient deux, ces fonds auraient une grande capacité d’influencer le résultat.
Les salariés au conseil
- Le Rapport Gallois affirme : un équilibre des points de vue plus favorable au long terme au sein des conseils d’administration ou conseils de surveillance des entreprises d’une certaine taille (entreprises de plus de 5 000 salariés) serait assuré par la présence, au-delà des actionnaires et du management, d’au moins 4 représentants des salariés (sans dépasser le tiers des membres).
La France rejoindrait ainsi la douzaine de pays européens qui exigent une présence des salariés dans les organes de gestion.
Une telle mesure, même sur une base volontaire, est rarissime chez les entreprises nord-américaines cotées en Bourse. Le modèle de gouvernance selon lequel les membres du conseil sont élus par les seuls actionnaires fait en sorte que cette question de représentation de parties prenantes autres que l’actionnaire n’est jamais soulevée.
Or, force est de constater que la loi canadienne et la loi québécoise sur les sociétés par actions ainsi que les jugements de la Cour suprême du Canada, à deux reprises, déclarent que le conseil doit agir dans l’intérêt de la société, ne favorisant aucune partie prenante au détriment d’une autre.
La Cour suprême s’exprime ainsi à ce sujet : «Ils (les administrateurs) ont en tout temps leur obligation fiduciaire envers la société, et les intérêts de la société ne doivent pas se confondre avec ceux des actionnaires, avec ceux des créanciers ni avec ceux de toute autre partie intéressée.» (Peoples c. Wise, 2004)
La question reste en suspens: les administrateurs élus exclusivement par les actionnaires peuvent-ils défendre l’intérêt de la société, sans un parti pris pour les actionnaires qui les ont élus? Peuvent-ils agir en tout temps de façon à ce que les intérêts de la société ne doivent pas se confondre avec ceux des actionnaires, avec ceux des créanciers ni avec ceux de toute autre partie intéressée?
Notre système de gouvernance repose sur le pari que la réponse à cette question est affirmative. Si on venait à en douter, la revendication d’une représentation au conseil d’au moins une autre partie prenante, les salariés, prendrait du décibel.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.
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