3 novembre 2016

Élection et diversité au conseil et à la haute direction des sociétés canadiennes: que propose le projet de loi C-25?

Yvan Allaire et François Dauphin | Lesaffaires.com

Dans un silence feutré, le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi au contour encore flou mais dont l’adoption pourrait imposer des changements significatifs au système de gouvernance des sociétés publiques au Canada.

En effet, le projet de loi C-25, présenté en première lecture le 28 septembre dernier et en deuxième lecture le 26 octobre, viendrait modifier le processus d’élection des administrateurs et imposer de nouvelles exigences de divulgation en matière de diversité des membres du conseil et de la haute direction. Que propose donc ce projet de loi?

Le vote majoritaire

Pour les sociétés ayant fait appel à l’épargne public (sociétés inscrites en bourse), le projet de loi ne fait que donner une assise juridique à ce qui est déjà une pratique obligatoire – à l’exception des sociétés avec actionnaires de contrôle – pour l’élection des administrateurs selon les articles 461.1 à 461.3 du Guide à l’intention des sociétés inscrites à la Bourse de Toronto (TSX).

Toutefois, le projet de loi C-25 stipule que, contrairement à la pratique actuelle, les actionnaires devront voter « Pour » ou « Contre » chacun des candidats proposés. Ainsi, un candidat-administrateur devra recevoir une majorité de votes « Pour » afin de siéger au conseil. Le système d’élection en cours présentement permet à l’actionnaire de voter pour un candidat ou de s’abstenir (withhold), ces abstentions n’étant pas prises en compte pour établir si le candidat a reçu une majorité de votes! Toutefois, si le nombre de votes positifs n’atteint pas 50% de tous les votes (abstentions comprises), la pratique actuelle est à l’effet qu’un tel candidat remette sa démission que le conseil d’administration pourra accepter ou refuser (dans les 90 jours suivant la date de l’assemblée comme le stipulent les règles de la TSX).

Selon le projet de loi C-25, il serait dorénavant interdit à quiconque n’a pas reçu une majorité de votes de siéger au conseil. Le conseil peut toutefois combler une telle vacance par la nomination d’autres individus dont le mandat se terminerait au plus tard lors de la prochaine assemblée des actionnaires. Ainsi, le conseil est contraint de respecter le choix exprimé par les actionnaires dans ces circonstances.

Par ailleurs, si ce processus d’élection fait en sorte que le nombre d’élus est inférieur au nombre d’administrateurs prévus par les statuts de la société, ceux-ci assumeront les pleins pouvoirs du conseil pourvu que leur nombre satisfasse au quorum établi aux statuts de la société.

Le projet de loi laisse une porte entrouverte puisqu’on indique qu’un candidat « non élu » pourrait être nommé malgré tout au conseil selon certaines « circonstances réglementaires » qui ne sont pas précisées.

Bref, la modification telle que proposée conserve un certain flou autour d’autres situations qui devront être clarifiées par les textes réglementaires. Qu’arrive-t-il si le nombre d’élus ne satisfait pas au quorum ou si la totalité des membres du conseil ne sont pas élus?

De plus, comment composer avec une situation plausible alors que le Président-directeur général et membre du conseil n’est pas élu comme membre du conseil?

La conséquence la plus apparente de ces changements à première vue serait d’accorder un levier additionnel aux fonds de placement dit « activistes » puisqu’un vote majoritairement négatif pour un candidat au conseil amène le départ immédiat de ce membre du conseil. Également, l’influence des agences de conseil en vote par procurations sera sensiblement augmentée dans la mesure où une recommandation négative de leur part visant un candidat au conseil aura des conséquences encore plus lourdes. Cette nouvelle réalité pourrait inciter les conseils d’administration à une plus grande docilité envers les diktats de gouvernance de ces intervenants.

Divulgation en matière de diversité

L’importance de la mixité au sein des conseils d’administration est reconnue depuis plusieurs années, et des progrès significatifs ont été notés, bien que les objectifs fixés par nombre d’observateurs ne soient pas encore atteints. Ainsi, selon le Spencer Stuart Board Index 2015, 24% des administrateurs indépendants étaient des femmes en 2015, alors qu’elles n’étaient que 12% en 2002. Si le total semble encore bien faible, il faut toutefois relever le fait que 45% des nouveaux administrateurs nommés et élus en 2015 par les grandes sociétés canadiennes étaient des femmes (comparativement à 29% pour les sociétés américaines du S&P 500). L’enjeu au Canada devient en fait le taux de renouvellement des conseils, lequel demeure encore relativement faible (environ 7% de nouveaux membres chaque année).

Le projet de loi C-25 vise à promouvoir cette mixité au sein des conseils d’administration et à l’étendre à la haute direction de la société. En effet, les sociétés publiques devront présenter aux actionnaires, au moment de l’avis d’assemblée, « les renseignements réglementaires concernant la diversité au sein des administrateurs et au sein des membres de la haute direction au sens des règlements ».

Ce libellé soulève plusieurs questions. En effet, le législateur ne définit pas le sens accordé au mot « diversité », laissant aux autorités réglementaires le soin d’en clarifier la signification. Si on pense de prime abord à la diversité de genre, il est évident que le terme peut s’étendre à beaucoup d’autres groupes de notre société diverse et multiculturelle. Le discours de deuxième lecture du ministre Navdeep Bains indique, bien que de façon imprécise, les intentions du gouvernement à cet effet :

« Le gouvernement est résolu à faire tout en son pouvoir pour libérer le plein potentiel des Canadiens, en particulier ceux qui sont sous-représentés dans certains secteurs de l’économie d’aujourd’hui.»

Le secrétaire parlementaire du ministre, M. Greg Fergus, précisera plus tard : « Grâce à ce projet de loi, notre gouvernement a à cœur de régler la question de la sous-représentation des femmes et d’autres groupes aux échelons les plus élevés de la direction des entreprises. »

Enfin, alors que le projet de loi prévoit que les sociétés devront, selon l’expression consacrée, « se conformer ou s’expliquer », des voix se font déjà entendre demandant au gouvernement d’imposer des seuils (ou quotas), lesquels seraient établis par règlements.

L’intention du gouvernement fédéral est certes noble mais, s’il ne prend garde, il risque d’ouvrir par le projet de loi C-25 une boîte de Pandore aux conséquences difficilement prévisibles.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que les auteurs.