9 janvier 2023

Briser le boys club de la Bourse

Philippe Mercure | La Presse

Trois. C’est le nombre de femmes qui figurent sur la liste des 100 patrons les mieux payés des entreprises cotées à la Bourse de Toronto, selon une étude du Centre canadien de politiques alternatives publiée la semaine dernière1.

Trois femmes contre 97 hommes. On va se le dire franchement, ça fait dur.

L’étude relève que l’on compte plus de « Mark » (et autant de « Michael » et de « Scott ») que de dirigeantes dans le palmarès. Ça pourrait être drôle si ce n’était pas si décourageant.

Cette liste démontre que les présidents des grandes entreprises forment encore un boys club. Ceux qui trouvent qu’on en fait trop pour promouvoir la diversité feraient bien de noter qu’il reste un travail titanesque à effectuer dans plusieurs secteurs.

Si les nominations se faisaient sur la seule base de la compétence, il est évident qu’il y aurait bien plus que 3 % de femmes parmi les patrons les mieux payés du TSX. Ce pourcentage ridiculement bas est la preuve qu’il existe des barrières à l’ascension des femmes. Ces barrières, il faut les faire tomber.

Depuis 2020, la loi canadienne oblige toutes les entreprises inscrites en Bourse à divulguer la proportion de femmes, d’Autochtones, de personnes handicapées et de membres des minorités visibles au sein de leur conseil d’administration et de leur haute direction.

C’est un premier pas intéressant. Forcer la divulgation, c’est forcer la réflexion. Et c’est s’exposer aux critiques si l’ensemble de vos administrateurs et de vos dirigeants proviennent du même moule.

L’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) constate d’ailleurs que la divulgation obligatoire semble avoir eu un « effet immédiat », en particulier pour les membres des minorités visibles.

Entre 2020 et 2021, leur proportion est passée de 4,4 % à 6,1 % au sein des conseils d’administration et de 8,7 % à 10,6 % à la haute direction, selon un échantillon de 70 entreprises étudiées par l’IGOPP (contre 26,5 % dans la population canadienne).

« Cette augmentation semble directement imputable à la nouvelle exigence de divulgation », estime l’institut dans un rapport publié l’an dernier.

L’effet est moins spectaculaire pour les femmes. En 2021, celles-ci occupaient 31 % des postes des conseils d’administration et 26 % des postes de haute direction de l’échantillon, de légères augmentations par rapport à 2020.

Le fait que les femmes représentent à peine 3 % des PDG les mieux payés du TSX montre toutefois qu’un ultime plafond de verre existe quand vient le temps d’accéder à la chaise du grand patron.

Ces iniquités doivent provoquer de sérieuses réflexions à la fois au sein des entreprises et des gouvernements.

[…]

Les gouvernements, de leur côté, doivent avoir un œil sur les chiffres.

La féminisation des directions d’entreprise ne s’effectue pas en deux semaines et la divulgation obligatoire n’a sans doute pas encore livré tous ses bénéfices.

À l’heure où la rétention du talent est un enjeu majeur, on peut aussi espérer que les employeurs réaliseront qu’ignorer la moitié du bassin de main-d’œuvre quand vient le temps d’offrir des promotions équivaut à se tirer dans le pied.

Sinon, il faudra passer à l’étape suivante. Dès 2011, par exemple, la France a imposé un quota de 40 % de femmes au sein des conseils d’administration des grandes entreprises. Voyant que « l’effet de ruissellement » souhaité vers la haute administration ne s’est pas produit, elle a renchéri dix ans plus tard avec une loi qui obligera les grandes sociétés à compter 30 % de femmes parmi ses cadres dirigeants d’ici 2027 et 40 % d’ici 2030.

Si les boys club persistent, il faudra y songer.

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