24 octobre 2022

Saputo s’enracine en Floride

Julien Arsenault | La Presse

Une part grandissante de cadres supérieurs de Saputo s’enracine dans les nouveaux bureaux floridiens de la multinationale, a constaté La Presse. Un phénomène qui fait craindre une érosion du siège social montréalais de ce fleuron québécois au profit de Miami.

Le chef des acquisitions, le responsable du marché nord-américain et la personne à la tête du créneau des nouveaux produits ont maintenant leurs pénates dans l’État du Soleil. L’adjointe exécutive du président et chef de la direction Lino Saputo fils a déménagé pour s’installer à Miami, signe du temps qu’il y passe lui-même. D’autres cadres qui passent beaucoup plus de temps au sud de la frontière ont commencé à être payés en dollars américains. C’est aussi dans cette antenne floridienne que se rencontrent les responsables de chacune des divisions internationales lorsqu’il faut faire le point.

L’inauguration de ce bureau situé au centre-ville de Miami n’a pas été particulièrement médiatisée par le transformateur laitier en juin 2021, mais les analystes financiers ont rapidement pu savoir à quelle enseigne loge l’entreprise.

« Je suis ravi que nous ayons ce bureau à Miami », leur expliquait M. Saputo fils, en août 2021, dans le cadre d’une conférence téléphonique trimestrielle. « Nous passons pas mal de temps ici. Nous avons des réunions qui vont au-delà des réunions formelles habituelles. »

Quatrième entreprise québécoise en importance cotée en Bourse au chapitre des revenus (15 milliards), Saputo est bien présente au Québec avec 2100 employés, dont 300 à son siège social. Celui-ci déménagera bientôt de Saint-Léonard vers le centre-ville de Montréal, au 1000 De La Gauchetière.

La montée en importance du bureau floridien suscite néanmoins des questions, d’autant que la Floride n’est pas synonyme de production laitière. Aux États-Unis, l’État ne figure pas parmi le top 10 des endroits où l’on produit et transforme les plus importants volumes de lait.

« C’est quelque chose qui est à surveiller, dont on doit se préoccuper, oui », dit le professeur de l’Université Laval Jean Bédard, spécialisé en gouvernance, en s’interrogeant sur l’effet du télétravail. « C’est quand même un bureau administratif qui est ouvert dans un autre État. Ça amène des questionnements. »

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Plus souvent

Deux autres dirigeants qui figurent parmi les mieux rémunérés chez Saputo s’enracinent également au sud de la frontière.

Respectivement chef de la direction financière et cheffe de la direction des ressources humaines, Maxime Therrien et Gaétane Wagner travaillent officiellement de Montréal. Toutefois, ils sont maintenant rémunérés en dollars américains et ils ont reçu environ 170 000 $ et 160 000 $ en remboursement de frais de logement et en allocation pour mettre sur pied le bureau en Floride, peut-on lire dans la plus récente circulaire de l’entreprise.

De plus, M. Therrien et Mme Wagner détiennent des propriétés à moins d’une heure du bureau floridien de Saputo. Il y a un an, M. Therrien a acheté l’unité voisine du condo acquis en 2017 qu’il détient toujours, selon le registre foncier de Miami. Mme Wagner est devenue propriétaire d’un condo en juin 2021.

« Cela me semble être un genre de déplacement, peut-être, pour une garde partagée de certains membres de la haute direction », souligne le directeur général de l’IGOPP, François Dauphin.

À suivre

M. Dauphin n’a pas caché son étonnement à l’égard des constats de La Presse. Il s’est toutefois montré rassuré par la décision de Saputo de relocaliser son siège social dans le centre-ville de Montréal.

« Je vous concède que cela vaut la peine de surveiller comment cela va se jouer à plus long terme », dit l’expert, estimant que la situation était « à moitié anormale » compte tenu de l’internationalisation de Saputo.

Spécialiste de gouvernance, de droit et d’éthique à l’Université York, à Toronto, Richard Leblanc estime qu’il revient au conseil d’administration d’une entreprise de surveiller où les membres de la haute direction passent leur temps.

« Il est curieux que des cadres supérieurs, en groupe, se trouvent souvent à l’extérieur de l’endroit où est établie l’entreprise pour y prendre plus que des décisions occasionnelles, dit-il. C’est ce qui me semble inadéquat. »

Chez Saputo, le président du conseil est M. Saputo fils, qui occupe également les fonctions de grand patron. Celui-ci n’est pas considéré comme un administrateur indépendant.

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