Centre de recherche sur les grains: trois administrateurs enregistrés comme lobbyistes
Daphné Cameron | La PresseInconnu du grand public il y a à peine une semaine, le Centre de recherche sur les grains (CEROM) a été projeté à l’avant-scène depuis le congédiement du lanceur d’alerte Louis Robert.
Financé majoritairement par des fonds publics, cet organisme est actuellement dirigé par trois représentants des Producteurs de grains du Québec qui sont aussi enregistrés comme lobbyistes pour demander un assouplissement de règlements provinciaux visant à encadrer l’utilisation de pesticides à plus haut risque. Trois autres des dix membres du conseil d’administration représentent des fournisseurs de pesticides.
Alors que le CEROM est en « réflexion » sur l’avenir de sa structure organisationnelle, des spécialistes en gouvernance s’interrogent sur la crédibilité de la direction de cette société à but non lucratif, dont l’une des missions est de mener des recherches visant à réduire l’utilisation des pesticides nocifs pour l’environnement.
Le président exécutif du conseil de l’Institut sur la gouvernance et professeur émérite de stratégie à l’UQAM, Yvan Allaire, affirme qu’il n’a jamais vu un cas comme celui du CEROM au cours de sa carrière. « Je tique un peu sur le fait d’être membre du conseil et lobbyiste. Ça, j’avoue que c’est une situation qui me semble hautement problématique », dit-il.
Son confrère Michel Magnan, qui est titulaire de la chaire de gouvernance d’entreprise Stephen A. Jarislowsky de l’Université Concordia, songe même à en faire un cas d’école à soumettre à ses étudiants en administration.
« Il y a plusieurs paradoxes dans leur gouvernance. » – Michel Magnan, titulaire de la chaire de gouvernance d’entreprise Stephen A. Jarislowsky de l’Université Concordia
« Pourquoi a-t-on créé cet organisme : pour le bien commun. En plus, c’est un organisme de recherche, donc ça devrait être neutre et non biaisé. La gouvernance devrait refléter cette orientation stratégique. Ce qui arrive ici, c’est que vous vous retrouvez avec des gens qui ont tous des intérêts financiers, d’affaires ou qui sont directs parce qu’ils sont carrément dans le secteur », remarque le professeur.
Ce dernier explique qu’il peut y avoir conflit lorsque les intérêts des membres d’un conseil d’administration ne sont pas compatibles avec la raison d’être de l’organisation. « On ouvre la porte à une situation qui n’est quand même pas idéale d’un point de vue de gouvernance, parce qu’autour de la table, la majorité des gens sont dans une telle situation. La table est mise pour avoir possiblement des problèmes. »
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Conflit d’intérêts ?
En conférence de presse lundi, le ministre de l’Agriculture André Lamontagne n’a pas voulu se prononcer sur la présence d’un conflit d’intérêts ou l’apparence d’un conflit d’intérêts au sein du conseil d’administration du CEROM. Il a cependant indiqué que la recherche qui s’y fait est appliquée. « L’intérêt, c’est d’être le plus près possible des utilisateurs, pour que les découvertes puissent se traduire sur le terrain », a-t-il affirmé lorsqu’on l’a questionné sur la composition du conseil d’administration.
Plutôt que d’être au coeur de la gouvernance du CEROM, Michel Magnan estime que les acteurs de l’industrie devraient plutôt faire partie d’un comité consultatif ou d’un comité d’usagers. « Vous ne voulez pas les mettre au coeur de la prise de décision stratégique », dit-il.
Yvan Allaire abonde dans le même sens. « Je reconnais la nécessité d’avoir des gens qui connaissent bien le milieu, qui savent quel genre de recherche serait utile, mais en même temps, il faut trouver des gens qui ne sont pas contaminés par des engagements rémunérés comme celui d’être lobbyiste. Ils ne me feront pas croire que c’était les seules personnes disponibles », dit-il.