14 juillet 2024

Vente d’Héroux-Devtek : « le symptôme d’un mal beaucoup plus profond »

Julie Roy | ICI - Radio-Canada

Un autre fleuron québécois passera aux mains d’intérêts américains à la suite de l’accord conclu cette semaine entre les dirigeants de l’entreprise aérospatiale Héroux-Devtek et la société d’investissement Platinum Equity. Derrière cette transaction, des experts perçoivent des maux bien réels liés notamment à l’efficacité des marchés publics.

Cette transaction, c’est le symptôme d’un mal beaucoup plus profond. On semble avoir atteint un certain point de bascule en termes d’inefficacité de nos marchés publics, a lancé François Dauphin, président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiquesen entrevue à l’émission Les faits d’abord.

Héroux-Devtek est basée à Longueuil. Au fil des ans, cette entreprise est devenue un leader de l’industrie aérospatiale canadienne et le troisième fabricant mondial de trains d’atterrissage. Parmi ses principaux actionnaires, il compte la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et le Fonds de solidarité de la FTQ.

Autrefois, faire son entrée en Bourse constituait un rêve pour un entrepreneur. C’était une sorte de consécration pour la société qu’il avait créée. C’était un moyen d’assurer le financement de la croissance, de rendre les actions plus liquides, d’établir sa réputation et de développer son image de marque, a expliqué M. Dauphin.

Aujourd’hui, même si tous ces avantages sont présents, ils sont en bonne partie occultés par des inconvénients et des risques bien réels, a-t-il ajouté.

Il a entre autres évoqué les fortes pressions pour obtenir des résultats à court terme, les obligations de divulgation trimestrielle ainsi que l’obligation de maintenir le dialogue avec des actionnaires institutionnels et de répondre à leurs exigences.

Le fait d’être une société publique ajoute des risques considérables, sans compter qu’une action comme celle d’Héroux-Devtek peut se transiger à une valeur bien inférieure à la valorisation attendue. Des capitaux privés, comme la firme Platinum Equity, saisissent ces occasions-là, qui sont beaucoup créées par l’[inefficacité]. C’est ce qui a incité plusieurs de nos sociétés à se privatiser récemment. (Une citation de François Dauphin, président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques)

M. Dauphin estime que la décision de vendre était consensuelle et peut-être même souhaitée par la direction d’Héroux-Devtek afin de pouvoir opérer de façon privée et de soutenir la croissance en ayant accès à des capitaux plus directement.

Une question d’intérêt national

[…]

Ils ont toute la matière pour traduire Boeing au pénal, a indiqué M. Ebrahimi. Mais on a choisi de ne pas le faire, car Boeing est un élément stratégique pour l’économie américaine. Dans le tissu aéronautique américain, on a décidé que Boeing jouait un rôle [trop] important. Héroux-Devtek joue ce rôle-là ici.

Même s’il y a plusieurs entreprises spécialisées dans l’aéronautique au Québec, bon nombre d’entre elles sont détenues par des intérêts étrangers, fait remarquer M. Ebrahimi, qui donne l’exemple d’Airbus, de Pratt & Whitney et de Bell Textron. Lorsque les actionnaires approuveront la décision de leur C. A., Héroux-Devtek s’ajoutera à cette liste.

Avec cette translation-là, on accepte d’être une économie de succursale. Autrement dit, le centre décisionnel et les éléments de gouvernance se font ailleurs, dit M. Ebrahimi.

[…]

François Dauphin se demande d’ailleurs combien de temps Platinum Equity restera actionnaire d’Héroux-Devtek.

Un fonds comme celui-là a des intérêts à plus ou moins moyen terme. [Il] a fait 450 acquisitions en une vingtaine d’années, mais son portefeuille est constitué d’environ 50 entreprises. Manifestement, il y a des ventes qui se font au fil des années, il y a un roulement, explique-t-il.

Les deux experts craignent que le changement de main finisse par affaiblir cette entreprise québécoise, qui s’est bâti une réputation enviable avec les années.

Le cas de Boeing nous l’a encore montré : quand on laisse la gestion d’entreprises de cette nature-là aux financiers et que c’est l’intérêt financier à court terme qui l’emporte, la logique d’ingénierie à long terme va s’affaiblir. C’est ça qui me fait peur. J’espère que ça n’arrivera pas avec Héroux-Devtek, conclut M. Ebrahimi.

Lire la suite