Un Groupe de travail sur «la protection des entreprises québécoises»??
Yvan Allaire | Lesaffaires.comLe ministre des finances du Québec a annoncé la création d’un «Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises». Rappelons que quelque 24 des 50 plus grandes sociétés québécoises cotées en bourse sont vulnérables à de telles opérations, dont 16 sont régies par la loi canadienne des sociétés par actions et 8 par la loi québécoise. Mais la nouvelle démarche du gouvernement soulève plusieurs questions.
Par exemple, d’affubler ce groupe de travail de l’étiquette « la protection des entreprises québécoises» affilera, au Canada et chez les organismes internationaux, les couteaux de l’anti-protectionnisme, l’épée de tous les chevaliers des libres marchés. Cette expression amènera même des chefs d’entreprises québécoises à s’insurger contre la notion de « protection », affirmant qu’ils n’ont nul besoin que le gouvernement les « protège ».
Il faut agir avec doigté en ces matières. Le chassé-croisé international et interprovincial des fusions et acquisitions joue un rôle stratégique en ce qu’il reflète la volonté de croissance, de consolidation et d’expansion géographique des sociétés québécoises comme de celles d’ailleurs.
Or, l’enjeu des prises de contrôle non souhaitées de sociétés est un enjeu canadien et non pas seulement québécois. Il ne s’agit pas de protéger les entreprises mais de donner à leurs conseils d’administration l’autorité et la responsabilité d’évaluer une proposition d’achat selon l’intérêt à long terme de l’entreprise, tenant compte de l’effet d’une telle prise de contrôle sur l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise.
La démarche du ministre des finances semble également un tantinet intempestive en ce qu’elle intervient au moment où les commissions des valeurs mobilières canadiennes, notamment l’Autorité des marchés financiers du Québec (AMF), ont entrepris de revoir les règles qui encadrent ces situations d’offre d’achat non sollicitées.
Rien dans la loi québécoise ou canadienne sur les sociétés par actions n’empêcherait les membres de conseil d’interpréter leur responsabilité fiduciaire autrement que selon les jugements de la Cour suprême.
Dans deux jugements importants (Peoples et BCE), la Cour suprême du Canada a opiné sur la responsabilité des conseils d’administration : les membres du conseil d’administration doivent tenir compte de l’intérêt de la société et non seulement de celui des actionnaires ou des autres parties prenantes (créanciers, clients, employés, fournisseurs).
En fait, ce n’est pas la loi mais les règles établies par les commissions des valeurs mobilières canadiennes en matière d’acquisitions et de fusions d’entreprises qui ont virtuellement menottées les conseils d’administration.
Or justement, les propositions mises de l’avant par l’AMF et présentement soumises à une consultation règlent à toute fin pratique ce problème de conseils impuissants devant une offre d’achat dite « hostile ». Toutefois les propositions de l’AMF ne font pas l’unanimité au sein des autres commissions provinciales.
D’aboutir à une situation selon laquelle l’AMF et les commissions des valeurs mobilières des autres provinces n’arrivent pas à s’entendre créerait un Babel règlementaire et mettrait en appétit ceux qui souhaitent ardemment la création d’une commission nationale des valeurs mobilières.
Pour régler le problème, il faut susciter un large appui du milieu des affaires et des investisseurs institutionnels québécois, bien sûr, mais également et surtout des autres provinces canadiennes envers une solution du type proposée par l’AMF. L’opération est en cours mais s’avère délicate. Les intérêts financiers qui s’opposent à un changement important sont mobilisés et efficaces.
Il faut donc que le ministre des finances du Québec assume le leadership de cette cause auprès des ministres des finances des autres provinces pour les convaincre de la justesse de la position de l’AMF pour les commissions des valeurs mobilières de leurs provinces respectives.
Le communiqué annonçant la création et le mandat du Groupe de travail comporte aussi quelques ambigüités. Au gré du communiqué, l’emphase oscille entre l’objectif (souhaitable) « de permettre aux entreprises québécoises de mieux se protéger contre des prises de contrôle non souhaitées » et celui, plus problématique si ce n’est pas une conséquence du premier, « de favoriser le maintien des sièges sociaux implantés au Québec. »
Plus loin dans le communiqué, le texte ne porte que sur le maintien de sièges sociaux : « Le mandat du groupe de travail sera d’aborder la nature, l’envergure et l’impact à moyen et long terme de mesures favorisant le maintien des sièges sociaux, ce qui pourrait mener à la modification de différentes lois applicables au Québec.»
La démarche amorcée par l’AMF aboutirait à donner plus de pouvoirs aux conseils d’administration pour bloquer une transaction non souhaitée; mais cette démarche ne protège pas la propriété d’entreprises québécoises lorsque le conseil d’administration donne son aval à la vente de l’entreprise. Supposons que, dans le cas de RONA, le conseil ait reçu avec faveur une proposition de Lowe’s; alors, rien de ce qui est proposé ici n’aurait empêché la conclusion de la transaction, même si, selon certains, une telle transaction ne serait pas dans l’intérêt général du Québec et même si la transaction devait mener à la disparition du siège social de RONA.
Alors, comment interpréter cette volonté absolue de maintenir les sièges sociaux au Québec? Pourrait-on envisager de bloquer une prise de contrôle ayant reçu l’aval du conseil d’administration de la société québécoise afin de maintenir son siège social au Québec? Avait-on cette intention à l’esprit lorsqu’il fut proposé de créer un fonds de $10 milliards pour bloquer des prises de contrôle?
Un tel objectif soulèverait d’épineuses questions. Il n’est pas clair à la lecture du communiqué si le mandat du Groupe de travail s’étend à cette problématique.
Conclusions
Le Groupe de travail « sur les prises de contrôle non sollicitées», composé de gens dont la qualité et le sérieux ne font pas de doutes, peut faire œuvre utile en mobilisant la communauté des affaires québécoises et canadienne en faveur de propositions comme celles formulées par l’AMF.
Le Groupe de travail devrait inciter le ministre des finances à se faire un énergique porte-parole de la position de l’AMF auprès de ses collègues ministres des finances.
Puis, au cas où la démarche entreprise par les commissions des valeurs mobilières canadiennes ne mènerait qu’à une reconduction du statu quo, le Groupe de travail devrait évaluer les changements législatifs appropriés tout en reconnaissant que seulement le tiers des entreprises québécoises vulnérables sont en fait soumises à la loi québécoise.
Enfin, le Groupe de travail pourrait évaluer certains changements à la loi québécoise sur les sociétés par actions pour rendre le Québec attrayant (plus attrayant que la juridiction fédérale) comme site du siège juridique de sociétés cotées en Bourse. Par exemple, la loi québécoise pourrait permettre aux entreprises d’imposer une période de détention des actions d’une année avant d’acquérir le droit de vote. Tout en sachant que siège juridique ne signifie pas centre décisionnel de l’entreprise, comme le démontrent éloquemment la Banque de Montréal et la Banque Royale.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.