13 juillet 2018

Trop facile de se vendre !

La question de la propriété des sièges sociaux n’est pas à prendre à la légère, selon l’économiste Pierre Fortin.

Pierre Fortin | L'actualité

Une entreprise, ce n’est pas seulement une machine abstraite à faire des profits. C’est un établissement humain. L’origine du propriétaire importe.

Comment une entreprise américaine qui est en fonction à Laval se comportera-t-elle si son siège social est à Austin, au Texas ? Où concentrera-t-elle ses activités de recherche et développement ? Gardera-t-elle ses fournisseurs québécois ? Où poursuivra-t-elle son expansion ? Où effectuera-t-elle ses mises à pied lors d’une récession ? À Austin ou à Laval ? Craindra-t-elle le courroux de Justin Trudeau plus que celui de Donald Trump ?

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Depuis cinq ans, deux leaders financiers québécois mettent en garde contre la vente trop facile des entreprises québécoises à l’extérieur : Yvan Allaire, président de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), et Claude Séguin, président du Groupe de travail gouvernemental sur la protection des entreprises québécoises.

Ils ont observé que, depuis 30 ans, les autorités canadiennes des valeurs mobilières ont dépouillé les conseils d’administration de leur pouvoir de dire non à une offre d’achat dès qu’elle est rendue publique. Allaire et Séguin ont fortement appuyé l’Autorité québécoise des marchés financiers (AMF), qui a maintes fois réclamé, mais sans succès jusqu’ici, d’éliminer cet empêchement majeur au blocage d’une offre d’achat, devenu à leurs yeux complètement désuet.

De plus, les deux financiers ont fait remarquer que l’intérêt des conseils d’administration et des actionnaires n’était souvent pas aligné sur l’intérêt à long terme de l’entreprise. Ils ont proposé des antidotes : un droit de vote pour les actions acquis seulement après un minimum d’un an de possession ; ou un droit de vote additionnel pour les actions détenues depuis plus de deux ans. Allaire affirme cependant que les actions à droit de vote multiple restent le bouclier le plus efficace.

Enfin, la rémunération des membres de la direction et des conseils d’administration comprend souvent des options et des actions encaissables au prix de l’offre d’achat. Cela est de nature à rendre les dirigeants et administrateurs exagérément réceptifs à l’offre d’achat. Une solution, selon Allaire, serait qu’en cas de prise de contrôle le prix d’exercice des options et actions détenues par la direction soit établi selon le cours du titre avant que l’offre d’achat ait été rendue publique.

Toujours employer les gros canons de l’État pour bloquer la vente d’entreprises québécoises à l’étranger ne serait pas une bonne idée. À court terme, il y a risque de bordel politique et de perte financière pour les contribuables. À long terme, les entreprises seraient incitées à établir leur siège social partout sauf au Québec, et les entreprises québécoises ne seraient pas les bienvenues hors de la province.

Nous serions sages de nous y prendre autrement. Il faudrait d’abord écouter les recommandations de l’AMF et de nos deux financiers. Qu’attendent les autorités fédérales et provinciales pour y donner suite ?

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