23 septembre 2013

Risque systémique et commission nationale des valeurs mobilières

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

On ne peut pas accuser le ministre fédéral des finances de manquer de persistance. Débouté par la Cour suprême en des termes lapidaires, il revient à la charge par deux petites portes entrouvertes par le jugement de la Cour suprême du Canada en guise de prix de consolation.

« Cela étant dit, rien n’interdit la démarche coopérative qui, tout en reconnaissant la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières, habiliterait le Parlement à traiter des enjeux véritablement nationaux…

Cependant, aussi importants soient ils, la préservation des marchés des capitaux et le maintien de la stabilité financière du Canada ne justifient pas la supplantation intégrale de la réglementation du secteur des valeurs mobilières, résultat auquel mènerait, en définitive, la loi fédérale proposée. La nécessité de se prémunir contre des risques systémiques et d’y répondre pourrait fonder une législation fédérale visant le problème national qui résulte de ce phénomène, mais ne chasse pas l’essence de la réglementation des valeurs mobilières, qui est, comme nous l’avons vu, toujours principalement axée sur les enjeux locaux — soit protéger les investisseurs et assurer l’équité des marchés par le truchement de la réglementation de ses participants. »

(Jugement de la Cour suprême, décembre 2011; emphase ajoutée)

Saufs en Ontario qui salive depuis longtemps à l’idée de se transformer en organisme central et au Québec dont l’opposition est incontournable, le ministre des finances fédéral va mener une opération de séduction envers les autres provinces en leur offrant des babioles d’engagement et des assurances de coopération non dirigiste. Cela semble avoir déjà réussi avec la Colombie Britannique. L’objectif de l’opération consiste à isoler le Québec et à placer le gouvernement québécois devant un dilemme pénible : faire cavalier seul ou accepter de coopérer avec un organisme fédéral auquel toutes les autres provinces et territoires ont accepté de coopérer.

Le risque systémique

Pourquoi cette inflexible détermination du gouvernement fédéral à imposer un organisme central dans le domaine des valeurs mobilières? On peut supputer des motifs politiques, par exemple la volonté d’établir Toronto encore plus fermement comme la place centrale pour toute l’industrie financière canadienne.

Toutefois, sans lui attribuer d’autres mobiles, supposons plutôt pour nos fins que le ministre soit vraiment préoccupé par le risque systémique que pose la diversité des commissions des valeurs mobilières canadiennes. A-t-il raison de craindre que sans un organisme central en matière de règlementation des valeurs mobilières, le Canada serait démuni devant des risques systémiques?

La réponse est simple et catégorique : NON!

  • La dernière crise financière, la plus mortelle que l’on ait connue depuis 1929, en a fait la démonstration. Les pays dotés de commissions des valeurs mobilières centralisées, comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont été les plus touchés par la crise. En aucun temps, la crise ne fut-elle menaçante pour le système financier canadien; le seul évènement aux relents de ce qui arrivait ailleurs survint avec les papiers commerciaux adossés à des actifs (les fameux PCAA); mais ce malheureux imbroglio, en aucun temps, n’a posé un risque systémique pour le Canada.
  • Le seul véritable risque systémique pour le système financier canadien provient des six grandes banques canadiennes; la taille de leurs actifs, la diversité de leurs opérations, les liens entre elles, en font des institutions financières systémiquement importantes. Or, ces banques relèvent entièrement de la juridiction fédérale. Le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) et la Banque du Canada détiennent l’autorité nécessaire pour imposer toutes les mesures appropriées à ces institutions. En mars 2013, en vertu des accords de Bâle, le BSIF a décrété formellement que les six banques canadiennes posaient des risques systémiques. En conséquence, ces banques devront se soumettre à un ensemble de mesures propres aux institutions de cette nature.
  • Les produits dérivés négociés de gré à gré (OTC) ont joué un rôle important dans le déclenchement de la dernière crise financière (que l’on se rappelle AIG et sa quasi-déconfiture en conséquence de sa massive implication dans les dérivés de crédit)). Ces instruments sans frontières et négociés en volume astronomique pourraient derechef créer des problèmes pour le système financier international. Aussi, il convient de les encadrer de façon serrée. À la Banque du Canada incombe un rôle de premier plan cet égard mais la mise en place d’un tel encadrement exige un haut niveau de coopération et de coordination entre la Banque du Canada, les Autorités canadiennes des valeurs mobilières (ACVM) et le BSIF. Or, des règles et des démarches prudentielles pour les produits dérivés de gré à gré ont été adoptées et seront mises en place sans nul besoin d’une commission centrale des commissions des valeurs mobilières. L’organisme ACVM, établi depuis plusieurs années pour coordonner et uniformiser les décisions et règlementations des 13 juridictions, s’est montré éminemment capable de jouer ce rôle, offrant une démonstration de son efficacité dans le respect de la spécificité des différentes commissions des valeurs mobilières.

Le ministre des finances, encore une fois, appuie sa démarche sur des arguments non fondés en fait ou en théorie. Le risque systémique canadien provient surtout des grandes banques universelles (puisqu’elles incluent en leur sein des activités de banques d’affaires, de gestion d’actifs, etc.), un secteur entièrement de juridiction fédérale.

Quant autres risques, l’encadrement des produits dérivés négociés de gré à gré a fait une belle démonstration que le système actuel fonctionne bien.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.