30 juillet 2007

Privatiser Hydro Québec ?

Yvan Allaire | La Presse

Un moyen, invoqué de façon récurrente, de renflouer l’État québécois, de lui dégager une marge de manœuvre, de le soulager de sa lourde dette consisterait à transformer Hydro Québec en une société privée à capital ouvert et cotée en bourse. En d’autres mots, « privatiser » Hydro-Québec.

Sur la base d’hypothèses optimistes, on en arrive à donner une valeur marchande suffisante à l’avoir propre d’Hydro-Québec pour éliminer toute la dette du gouvernement du Québec et ainsi lui dégager quelque 7,6 milliards $ de marge de manœuvre, le montant annuel des intérêts payés sur cette dette.

Pour obtenir un tel résultat, il faudrait satisfaire deux conditions :

  • Augmenter les tarifs d’électricité de 4 ¢ le kWh, de sorte que le tarif québécois soit haussé au niveau du tarif à Toronto! Cette augmentation coûterait quelque 7 milliards $ aux citoyens du Québec et augmenterait d’autant les bénéfices nets d’Hydro-Québec;
  • Donner une valeur à l’entreprise sur la base de ses bénéfices nets, augmentés soudainement de 7 milliards $, ainsi que sur des attentes de croissance de ce bénéfice net équivalentes aux autres entreprises du secteur; ainsi, les investisseurs participant à cette opération de privatisation devraient croire que, malgré cette augmentation soudaine et massive des tarifs, la société privatisée pourra continuer d’augmenter ses tarifs à un rythme de quelque 5 à 7 % par année!

La proposition de privatiser Hydro-Québec mérite un débat sobre et fouillé. Toutefois, pour un ensemble de raisons, cette solution aux problèmes bien réels de la fiscalité québécoise me semble inférieure à d’autres façons d’atteindre le même but:

  • Hydro-Québec, société privée, propriété d’investisseurs en grande partie étrangers, réaliserait des profits nets de quelque 6,6 milliards de dollars après avoir payé quelque 3,2 milliards de dollars en impôt au gouvernement fédéral. Donc, des 7 milliards en tarifs supplémentaires payés par les citoyens du Québec, quelque 46 % (ou 3,2 milliards de dollars) seraient acheminés vers Ottawa, contribuant ainsi de façon significative à grossir encore le surplus fiscal du gouvernement fédéral!
  • Même en utilisant des données très optimistes sur la valeur d’Hydro-Québec, on en arrive à une économie annuelle, pour un Québec n’ayant plus de dettes, de 7,5 milliards de dollars. Or, Hydro-Québec, société d’État, montrerait un profit net de 9,8 milliards de dollars après cette présumée augmentation de tarifs. L’Hydro verse déjà au gouvernement du Québec quelque 40 %-50 % de ses profits d’exploitation en dividendes; lorsqu’un profit exceptionnel est réalisé, sur la vente d’actifs par exemple comme ce fut le cas en 2006, le montant total de ce profit exceptionnel est ajouté au dividende « normal ».  Adoptons une politique de dividendes selon laquelle Hydro verse en dividendes 50% de ses profits « normaux », soit 2,8 milliards en 2006 et donc 1,4 milliard$ en dividendes. Le profit « anormal » de 7 milliards $ provoqué par l’augmentation proposée de tarifs devrait être versé au ministère des finances à titre de dividende extraordinaire; au total, l’État du Québec recevrait alors 8,4 milliards en dividendes d’Hydro-Québec, un montant supérieur aux économies d’intérêts de 7,5 milliards…et les Québécois seraient toujours propriétaires de la société Hydro-Québec.
  • Le concept d’un État québécois sans dette peut sembler attrayant mais  sans de solides garde-fous, les gouvernements successifs pourraient endetter à nouveau le Québec; nous serions rapidement de retour à la case de départ mais avec l’actif Hydro-Québec en moins. De tels garde-fous à toute épreuve sont difficiles de conception et de surveillance. La discipline de gestion qu’un haut niveau d’endettement impose aux dirigeants d’entreprises constitue le fondement même des privatisations d’entreprises comme Bell Canada (1). Il en va pareillement pour les gouvernements.
  • D’autres options pourraient être envisagés; par exemple l’économiste  Pierre Fortin et le président du Mouvement Desjardins Alban d’Amours ont proposé de relever les tarifs d’électricité à 80 % des tarifs continentaux. Cette hausse produirait quelque 4 milliard $ de revenus supplémentaires, lesquels, disent-ils, devraient être versés à un fonds de réserve protégé et entièrement consacré aux coûts de notre système de santé. Cette proposition est plus attrayante politiquement bien que la nature et le fonctionnement de ce fonds «protégé» restent à définir.
  • Si l’on souhaitait réduire la dette du Québec par le truchement de l’actif «Hydro-Québec», il vaudrait mieux doter Hydro-Québec, toujours société d’État, d’une structure de capital inspirée de celle qui prévaudra chez Bell Canada après sa privatisation. En effet, en procédant à une augmentation de tarifs de 4 milliards ou de 7 milliards, Hydro-Québec pourrait ajouter entre 40 et 60 milliards de dette à son bilan tout en conservant son ratio de couverture des intérêts de 2,06. Une réduction équivalente de la dette du Québec lui ferait épargner entre 2,5 et 3,8 milliards $ d’intérêts par année, tout en permettant à Hydro-Québec, selon la politique de dividende énoncée plus haut, de lui verser un dividende annuel de 3,4 à 5,4 milliards $ par année. En somme, une marge de manœuvre de 5,9 à 8,2 milliards $ serait dégagée tout en conservant l’actif d’Hydro-Québec sous contrôle québécois.

Dans le contexte financier contemporain, quelques années après sa privatisation, Hydro-Québec pourrait bien faire l’objet d’une opération, comme chez Bell Canada, pour transformer l’entreprise en une société privée chargée de dettes, tout cela pour le bénéfice de fonds d’investissement souvent étrangers! La même opération peut fort bien être menée au bénéfice de tous les Québécois.

Conclusion:

La recherche de solutions aux problèmes des finances publiques québécoises,  par delà les habituelles jérémiades et les constats stériles, s’impose avec urgence. Bien que je sois en désaccord sur le principe de la privatisation d’Hydro pour les raisons invoquées dans ce texte, je partage l’objectif de trouver des moyens inédits pour éviter à notre société des lendemains qui déchantent. Hydro-Québec, avec le concours de tous les Québécois cependant, représente une voie de solution fort attrayante.

 

(1) Curieusement, le terme privatisation dans ce cas-ci signifie transformer une société à capital ouvert et cotée en bourse en une société entièrement privée, exactement l’inverse de qui est proposé lorsqu’on parle de «privatiser» Hydro-Québec!