25 novembre 2006

Pourquoi des actions multivotantes?

Yvan Allaire | Les Affaires

Les doubles classes d’actions, les actions à droit de vote multiple (ou supérieur, car, dans plusieurs cas, une catégorie d’actions ne détient aucun droit de vote) sont des situations assez fréquentes, mais en déclin relatif, au sein des sociétés ouvertes canadiennes.

En avril 2005 l’on dénombrait en effet 96 entreprises (soit 6,57 %) des 1 459 sociétés inscrites au TSX affichant une telle structure de capital. De ces 96 sociétés, un tiers était domicilié au Québec, les deux tiers, hors Québec. Le taux de dilution des votes associé aux actions multivotantes varie énormément d’une entreprise à l’autre. Dans l’ensemble de ces 96 sociétés, la dilution médiane est de 4,38 fois, c’est à dire que l’actionnaire de contrôle (médian) détient 4,38 fois plus de votes que le pourcentage de l’avoir des actionnaires qu’il détient. Pour les entreprises domiciliées au Québec, cette dilution médiane n’est que de 2,68 alors qu’elle se situe à 5,06 pour les entreprises hors Québec.

La fréquence des actions multivotantes a diminué de façon régulière au Canada depuis 1988, où l’on observait cette structure dans 177 sociétés, contre  164 en 1993, et  148 en 1998.

Pourquoi a-t-on recours à ce type d’arrangements? Parce que les entrepreneurs à la recherche de capitaux pour financer la croissance de leur entreprise, c’est bien connu, n’auront recours aux marchés publics du financement qu’en échange d’une certaine protection contre la perte de contrôle de leur entreprise.

Le recours aux actions multivotantes a semblé, et semble encore, une façon raisonnable de reconnaître l’apport de l’entrepreneur en idées, en innovation, en dynamisme, toutes qualités qui donnent une valeur à l’entreprise bien au delà des sommes investies. De fait, en l’absence d’une telle reconnaissance et d’une protection de leur contrôle sur l’entreprise, la plupart des entrepreneurs se tiendront à distance des marchés publics pour financer la croissance de leur entreprise. Ils préfèreront réduire le rythme de croissance de leur entreprise ou trouveront d’autres sources, souvent moins efficaces, de financement.

Les conséquences seraient négatives à plusieurs égards : le rythme d’innovation, les opportunités de placement, la croissance économique et même l’emploi en souffriraient. Même les plus farouches opposants aux actions multivotantes en conviennent, mais ils souhaiteraient réserver le « privilège des actions à vote multiple » aux petites entreprises, comme celles qui sont cotées à la Bourse de croissance TSX.

Or, dans son étude sur le sujet, l’Institut sur la gouvernance des organisations publiques et privées tire la conclusion suivante* : Pour autant que le cadre juridique assure une protection adéquate aux intérêts des actionnaires minoritaires, ces derniers tireront des avantages réels de la contribution des actionnaires de contrôle ainsi que de la surveillance exercée par eux sur la direction de l’entreprise.

La continuité et l’assurance d’un contrôle exercé par l’entrepreneur-fondateur ou ses descendants comporte des avantages certains, particulièrement dans un monde d’ « investisseurs » transitoires ne se préoccupant guère de la survie et des résultats à long terme des entreprises. Il faut néanmoins s’assurer que des mesures protégeant les actionnaires minoritaires sont bien en place, ce qui est généralement le cas au Canada. Aussi, l’Institut a formulé cinq propositions concrètes afin de renforcer les avantages des actions multivotantes :

  • Une clause d’égalité de traitement (coattail provision) plus stricte devrait faire partie inhérente de toute structure du capital des entreprises dont les diverses catégories d’actionnaires bénéficient de droits de vote distincts. Répandue au Canada depuis 1987, cette clause élimine la principale source de bénéfices potentiels à un actionnaire de contrôle, soit l’appropriation d’une plus grande part, voire de la totalité, de la prime de contrôle versée par un acquéreur éventuel.
  • Il est recommandé qu’à l’avenir, le ratio des droits de vote rattachés aux actions à vote multiple n’excède pas 4 pour 1; autrement dit, aucun détenteur d’actions à droit de vote supérieur ne pourra conserver le contrôle absolu de l’entreprise (plus de 50% des votes) à moins de détenir au moins 20 % de la totalité des capitaux propres.
  • Un net renforcement des droits des actionnaires minoritaires par leur élection d’un nombre donné d’administrateurs indépendants mis en nomination par le conseil. La proportion des membres du conseil élus ainsi devrait correspondre à la proportion du total des votes détenus par les actionnaires minoritaires, et n’être jamais inférieure au tiers des membres du conseil.
  • Lorsqu’un parent ou un descendant de l’actionnaire de contrôle se porte candidat au poste de chef de la direction, les administrateurs indépendants, conseillés adéquatement, devront discuter des mérites des divers candidats avec l’actionnaire de contrôle et faire rapport, à l’assemblée annuelle des actionnaires suivante, sur la démarche suivie  par le conseil pour arrêter son choix.
  • Lorsqu’aucun membre de la famille de l’actionnaire de contrôle n’est susceptible de jouer, dans le futur, un rôle important au sein de la direction ou du conseil de la société, l’actionnaire de contrôle devrait s’entendre  avec le conseil d’administration sur une démarche qui mènera à l’abandon progressif et ordonné de la double classe d’actions.

Dans un cadre qui protège adéquatement les actionnaires minoritaires, les avantages des actions multivotantes sont de nature à servir les intérêts de tous les actionnaires : actionnaires de contrôle engagés assurant une surveillance étroite de la gestion de l’entreprise, combinaison d’administrateurs indépendants et d’administrateurs dont la réputation aussi bien que les avoirs sont en jeu, perspectives et stratégies à long terme, conservation et transmission de valeurs, loyauté et stabilité d’effectifs compétents.

* « Les actions multivotantes : quelques modestes propositions » Document de politique #1, Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques; le texte est disponible à : www.igopp.org Â