Mine du Lac Bloom: Primes gonflées et prêts aux patrons malgré des cibles ratées
Julien Arsenault | La PresseLe propriétaire de l’immense complexe minier du Lac Bloom, près de Fermont, gonfle les primes de ses patrons même s’ils ratent leurs cibles financières, de quoi déplaire aux actionnaires, parmi lesquels on retrouve l’État québécois. Champion Iron Limited a aussi prêté près de 9 millions à son président exécutif, une coquette somme, selon un spécialiste de la gouvernance.
À cela s’ajoute le versement d’une indemnité de départ de 3 millions à son ex-directrice financière et d’une prime ponctuelle de 750 000 $ à son grand patron David Cataford en raison d’une « performance » qualifiée de « remarquable » l’an dernier, où les profits nets ont chuté de 62 %, à 200 millions.
Ces détails figurent dans la circulaire de sollicitation envoyée par Champion à ses actionnaires en vue de son assemblée annuelle du 30 août prochain. L’entreprise est la société mère de Minerai de fer Québec (MFQ), l’exploitant de la mine de fer située sur la Côte-Nord, où travaillent plus de 1000 personnes. Elle a été soutenue financièrement par Québec – son deuxième actionnaire en importance – et le Fonds de solidarité FTQ.
« Il y a des failles importantes en matière de transparence », souligne François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP). « C’est un beau cas. Nous ne sommes pas dans le bon chemin. On se fixe des objectifs, en début d’année, on ne les atteint pas, mais on révise par la suite. Pourquoi fixe-t-on des objectifs ? »
Un avertissement
Champion a déjà reçu une tape sur les doigts l’an dernier. Sa politique de rémunération n’avait récolté que 75,4 % auprès de ses actionnaires, un résultat jugé « très faible » dans le milieu, souligne M. Dauphin, qui anticipe un autre « message » cette année. Au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement Legault n’avait pas commenté les pratiques de rémunération chez Champion.
Ensemble, les principaux patrons de la société mère de MFQ ont eu droit à un traitement – qui tient compte des primes et autres avantages – de 12,8 millions pour l’exercice terminé le 31 mars dernier. C’est moins que les 16 millions de l’année précédente. L’équipe de dirigeants n’a pas été capable d’atteindre ses objectifs en ce qui a trait au bénéfice d’exploitation ajusté, aux liquidités, à la production pour la phase 1 du complexe et au coût de production par tonne.
Cela n’a pas empêché le conseil d’administration de faire usage de son « pouvoir discrétionnaire » afin d’être plus généreux. Il a décidé que le multiplicateur du salaire de base pour déterminer la prime annuelle passerait de 33,5 % à 50 % en raison de « conditions macroéconomiques difficiles », de l’« environnement inflationniste » et des « vents contraires importants auxquels l’industrie du minerai de fer a été confrontée ».
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Prêts à des patrons
On apprend également qu’une « société contrôlée » par le président exécutif du conseil, Michael O’Keefe, s’est fait prêter 8,9 millions par l’entreprise le 21 juin dernier. Ce prêt, dont le taux d’intérêt est de 6,1 %, vient à échéance le 31 décembre. Le nom de l’entreprise contrôlée par l’homme d’affaires n’est pas précisé dans la circulaire. Il n’est pas indiqué pourquoi l’entreprise prête à son président exécutif, qui a offert « certains actifs » non précisés en garantie.
« Ç’aurait été pertinent qu’on nous explique le processus décisionnel derrière cette décision », affirme le directeur de l’IGOPP, qui estime que la somme prêtée est élevée.
« À tout le moins, on pourrait assurer aux investisseurs que tout est conforme et qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts avec la compagnie dirigée par M. O’Keefe qui bénéficiera du prêt. » (François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées)
MFQ affirme que le prêt a été « validé par une firme externe », une information qui ne figure pas dans la circulaire.
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La mine du Lac Bloom attend toujours l’autorisation du gouvernement Trudeau pour agrandir le parc à résidus miniers – du sable et de la silice –, ce qui se traduirait par la destruction de lacs. Selon MFQ, cela est nécessaire pour prolonger la durée de vie du projet alors que sa deuxième phase est en marche. Québec avait donné son feu vert l’an dernier malgré un avis défavorable du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.