Les options pour un propriétaire qui veut assurer la pérennité de son entreprise
Yvan Allaire | Lesaffaires.comLa vente récente de St-Hubert à des intérêts ontariens a provoqué de vives réactions au Québec, certains voyant en cette transaction un exemple de perte de contrôle sur notre économie, le retour d’un Québec dominé par des filiales de sociétés étrangères. Évidemment, aucune donnée ne soutient de telles exagérations.
Toutefois, le problème auquel était confronté le propriétaire de St-Hubert est vécu par de nombreux propriétaires d’entreprises québécoises de toute taille qui doivent vendre leur entreprise, faute d’autres options. Selon l’édition 2015 du Palmarès des 500 plus grandes entreprises du Québec [1], on dénombre 74 entreprises à propriété privée comptant plus de 500 employés au Québec. Le journal Les Affaires [2] recense également quelque 300 entreprises privées comptant entre 100 et 300 employés. Plusieurs de ces entreprises sont dirigées par des gens qui avancent en âge et s’interrogent sur la suite à donner à leur entreprise lorsque la relève n’est pas assurée par des liens familiaux ou des partenaires d’affaires directs.
Dans ces circonstances, quelles options s’offrent réellement à un propriétaire qui souhaite se retirer? La vente à une autre entreprise vient immédiatement à l’esprit, possiblement à des acheteurs québécois qui pourraient profiter de cette occasion. Si aucun acheteur québécois ne se manifeste ou aucun n’est en mesure d’offrir le prix qu’un acheteur provenant de l’extérieur du Québec peut et veut offrir, alors l’entreprise passera sous contrôle étranger. Rien d’anormal ou de singulier en cela.
Pourrait-on concevoir d’autres possibilités pour l’entrepreneur/propriétaire sans relève familiale? Voici au moins deux possibilités d’un intérêt certain dans des circonstances précises. Chacune exige une participation des institutions financières du Québec, des changements à la fiscalité et une promotion active et préventive auprès des entrepreneurs-propriétaires de sociétés privées.
- Le rachat par le management
Cette option suppose que la société compte sur une équipe de direction compétente, engagée et prête à assumer les risques d’une opération de rachat comportant un fort endettement pour l’entreprise. Lorsque ces conditions sont réunies, il faut encore assembler un groupe financier voulant financer la transaction. Le Québec compte plusieurs institutions financières qui collectivement peuvent arranger un montage financier pour ce type d’opérations : La Caisse de dépôt, Investissement Québec, Desjardins, le Fonds de solidarité (FTQ), le Fondaction.
Certaines de ces grandes institutions québécoises offrent déjà des programmes favorisant l’utilisation de l’endettement pour le transfert d’entreprise. Le Fonds de solidarité FTQ, par exemple, offre des programmes développés spécifiquement à cet effet. Des partenaires comme Investissement Québec et la Caisse de Dépôt peuvent aussi jouer un rôle important dans de telles circonstances conjointement avec des banques traditionnelles. Bien sûr, ce type d’opération de rachat par endettement ne convient pas à toutes les circonstances et comporte des niveaux d’endettement qui peuvent fragiliser les finances personnelles des acquéreurs et de l’entreprise acquise.
- Un transfert graduel de la propriété aux employés
Cette façon de faire suppose que le dirigeant/propriétaire planifie longtemps à l’avance le transfert graduel de ses actions à une fiducie représentant les employés de la société. Le programme américain appelé ESOP (Employee Stock Ownership Plan) propose un mode de transfert de propriété aux employés comportant de nombreux avantages pour les employés et pour le propriétaire-vendeur.
L’ESOP constitue en fait une forme de régime de retraite à cotisations déterminées pour les employés, mais dont les actions sont détenues dans une fiducie, laquelle devient actionnaire de l’entreprise. Le propriétaire vend donc graduellement une partie et éventuellement la totalité de ses actions à cette fiducie qui agit au nom des employés. Cette structure comporte plusieurs avantages, dont la principale, pour le vendeur, est de bénéficier d’importants avantages fiscaux s’il procède la vente de son entreprise en utilisant cette méthode. Ainsi, aucun impôt sur le gain en capital n’est exigible au moment de la vente pourvu qu’il (ou elle) réinvestisse le montant reçu dans des actions ou obligations d’entreprises américaines. Les programmes ESOP sont très populaires aux États-Unis où en 2015 on comptait 7,000 entreprises avec de tels programmes impliquant quelque 13,5 millions d’employés.
Au Québec, une variante similaire est proposée: la coopérative de travailleurs-actionnaires (CTA). Cette structure, mal connue d’ailleurs, comporte des avantages fiscaux intéressants pour les employés qui y participent mais ne s’accompagne pas d’avantages fiscaux ou financiers importants pour le propriétaire-vendeur. Cette option est donc sans intérêt pour un entrepreneur qui souhaite prendre sa retraite dans un avenir plus ou moins rapproché.
Pour rendre une option comme celle-ci attrayante et s’assurer qu’elle contribue à conserver des emplois et des entreprises sous contrôle québécois, il faut faire en sorte que le vendeur y trouve son compte. Il faut également que des institutions financières québécoises veulent participer au financement du rachat des actions dans le cadre de ces structures, le cas échéant.
Ces deux options ne sont pas des panacées; mais il faut bien constater qu’il est temps de s’équiper au Québec de programmes innovateurs pour les entrepreneurs-propriétaires en quête de relève et d’options pour la transmission de leurs entreprises à des intérêts québécois, autant que faire se peut.
La vente de Rôtisserie Saint-Hubert représente donc un salutaire signal d’alarme. Le Québec doit se donner des structures innovantes qui favorisent et facilitent le transfert d’entreprise à des parties prenantes locales, notamment aux cadres et aux employés, souvent premiers responsables du succès des entreprises qui les emploient.
[1] Palmarès des 500 plus grandes entreprises du Québec, Les Affaires, en ligne, consulté le 2 avril 2016.
[2] Les Affaires, Classement des 300 plus importantes PME du Québec, 24 octobre 2015