Les millions des patrons
Qui sont les patrons les mieux payés au Québec et les entreprises les plus généreuses envers leurs dirigeants ? La Presse dresse son palmarès annuel.
Martin Vallières | La PressePas de pause en pandémie !
Malgré le choc de la pandémie, avec des pertes d’emplois et des baisses salariales d’une ampleur historique, l’enrichissement de la rémunération des hauts dirigeants d’entreprise s’est poursuivi en 2020, montre le relevé annuel effectué par La Presse parmi les entreprises à siège social au Québec qui valent plus de 500 millions en Bourse.
De plus, démontre ce relevé, certains hauts dirigeants ont bénéficié du vigoureux redressement des cours boursiers après le mini-krach survenu au début du Grand Confinement pour rehausser considérablement la valeur de leur rémunération, qui est constituée de titres de capital de l’entreprise qu’ils dirigent (actions, unités d’action, options, etc.).
En tête de liste de ce relevé annuel, on retrouve notamment trois présidents d’entreprises en vue de Québec inc. en Bourse – Glenn Chamandy de Gildan Vêtements Sport, Jean-Guy Desjardins de Fiera Capital et Ian Edwards de SNC-Lavalin – dont les rémunérations déjà multimillionnaires ont plus que doublé en 2020, grâce à la hausse de valeur considérable de leurs bonis en « attributions fondées sur des actions ».
« Certaines entreprises avaient annoncé des baisses de rémunération de leurs dirigeants durant la crise, alors que d’autres s’en sont abstenues. N’empêche, quand une bonne partie de la rémunération totale des dirigeants repose sur le cours de l’action en Bourse, le redressement boursier de fin d’année s’est avéré très avantageux pour la plupart d’entre eux », constate François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), au cours d’un entretien avec La Presse.
« Ce constat de la hausse continue de rémunération des hauts dirigeants durant l’année de pandémie m’inspire un sentiment partagé », confie pour sa part Ivan Tchotourian, professeur en droit économique à l’Université Laval, à Québec, et chef d’analyse en rémunération au Laboratoire interdisciplinaire sur la responsabilité sociale des entreprises (LIRSE) de la faculté de droit.
« Quelques entreprises avaient fait part publiquement d’une réduction temporaire de la rémunération de leurs hauts dirigeants. Mais après coup, on constate que la plupart des entreprises ont continué de faire comme d’habitude. » (Ivan Tchotourian, professeur en droit économique à l’Université Laval)
« Même celles qui, en grand nombre, ont bénéficié de la subvention salariale d’urgence du gouvernement fédéral pour les inciter à limiter les mises à pied au pire de la crise de la pandémie », a déploré Ivan Tchotourian au cours d’une discussion avec La Presse.
« D’ailleurs, c’est pourquoi le gouvernement fédéral a inscrit dans son plus récent budget son intention de réviser durant cette année fiscale 2021 les montants de subventions salariales encaissées par les entreprises en fonction de l’évolution de la rémunération de leurs hauts dirigeants. Et peut-être demander un remboursement des subventions aux entreprises considérées en situation d’abus. »
Prochain coup de balai ?
Entre-temps, de l’avis d’experts en gouvernance d’entreprise, quelles pistes demeurent à explorer pour susciter un nouveau coup de balai dans l’administration des politiques de rémunération de hauts dirigeants ?
« En premier lieu, il faudrait que les actionnaires se préoccupent davantage de la rémunération des dirigeants d’entreprises où ils sont investis, en intervenant plus activement durant leur assemblée annuelle, par exemple. Pour le moment, cette préoccupation semble surtout concentrée parmi les grands investisseurs institutionnels qui sont déjà très influents en Bourse, répond Ivan Tchotourian.
« En second lieu, il faut rehausser le niveau de responsabilités des membres du conseil d’administration envers la politique de rémunération des hauts dirigeants de l’entreprise. Afin de contrer l’influence grandissante des consultants en rémunération qui, avec leurs méthodes basées sur des groupes d’entreprises de comparaison, contribuent à la surenchère et à l’uniformisation des politiques de rémunération parmi les entreprises, avec de moins en moins de critères spécifiques à leur situation d’affaires. »
À l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, le PDG François Dauphin constate pour sa part que « la pression des investisseurs et de l’opinion publique est de plus en plus forte sur les entreprises pour qu’elles adoptent des critères de gestion et de performance d’affaires basés sur les normes de type ESG [environnement-société-gouvernance] et de développement durable ».
« Chez un nombre croissant d’entreprises, dans la gestion de leur politique de rémunération des hauts dirigeants, ça se traduit par l’ajout d’indicateurs non financiers sur leur performance de gestion. » (François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques)
« Ces indicateurs sont liés à la gestion de l’impact environnemental et des efforts de lutte contre les changements climatiques, ainsi que la gestion de la diversité et de l’inégalité des revenus parmi les effectifs de l’entreprise », précise M. Dauphin.
Critères ESG
À l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia, le professeur Michel Magnan, qui est associé à la Chaire de gouvernance Jarislowsky, mise aussi sur l’émergence de critères de type ESG dans les plans d’affaires des entreprises pour donner un nouveau souffle au débat sur les politiques de rémunération des hauts dirigeants.
« L’émergence des critères non financiers de type ESG dans les politiques de rémunération des hauts dirigeants est une nouvelle tendance de fond dans le domaine de la gouvernance d’entreprise », a indiqué M. Magnan en entretien avec La Presse.
Quels facteurs de type ESG sont les plus considérés ?
« En matière d’environnement, par exemple, on voit émerger des objectifs de gestion liés à la réduction de l’empreinte carbone des activités de l’entreprise, ainsi que sa contribution concrète à la lutte contre les changements climatiques, explique M. Magnan.
« En matière de responsabilité sociale, par ailleurs, on voit de plus en plus d’objectifs concernant la diversité parmi l’effectif de l’entreprise, particulièrement parmi les hauts dirigeants et les employés-cadres. »
Toutefois, constate Michel Magnan, « pour être crédibles, ces critères de performance et ces objectifs de type ESG doivent être mesurables et avoir du mordant dans la politique de rémunération des hauts dirigeants ».
Aussi, « de plus en plus d’investisseurs institutionnels influents et de regroupements d’actionnaires plus impliqués font pression sur les entreprises en faveur des critères ESG dans leurs plans d’affaires. Et non seulement lors des assemblées d’actionnaires, mais aussi dans les médias et dans l’opinion publique », signale Michel Magnan.
Entre-temps, « un nombre croissant d’entreprises se rendent compte que, pour améliorer la résilience et la rentabilité durable à long terme de leur plan d’affaires, elles doivent intégrer des critères ESG comme leur processus de gestion et d’investissement, ainsi que dans leur politique de rémunération de leurs hauts dirigeants ».
Voyez la liste des hautes directions les mieux payées