Les enjeux de la diversité à la direction et aux conseils d’administration des sociétés ouvertes
François Dauphin, Yvan Allaire et Mantote Sambiani | IGOPPEn juin 2009, l’IGOPP publiait sa Prise de position no4 intitulée « La place des femmes au sein des conseils d’administration : Pour faire bouger les choses ». Un peu plus d’une décennie s’est écoulée depuis, mais la question de la diversité au sein des conseils d’administration demeure toujours d’actualité.
Si la représentation féminine a beaucoup progressé au cours de cette période, les objectifs de mixité de 40 % que l’IGOPP avait établi lors de la publication de sa Prise de position sur le sujet ne sont toujours pas atteints. À ce défi s’ajoute maintenant celui d’une définition élargie de la diversité, définition qui désigne une représentativité de la population générale composant la société d’où provient une organisation donnée.
C’est dans cette optique que le Canada a amendé la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), avec l’objectif d’augmenter la diversité observée non seulement au sein des conseils d’administration, mais également au niveau de la haute direction. Les changements législatifs, dont l’application du règlement entrait en vigueur le 1er janvier 2020, portaient non seulement sur la présence féminine, mais aussi sur la représentation des peuples autochtones, des personnes handicapées et des personnes qui font partie des minorités visibles. Ces changements s’appliquaient dès lors aux sociétés incorporées selon la loi fédérale ayant fait appel au public (inscrites en Bourse), dont 78 d’entre elles composaient l’indice S&P/TSX.
Dans un premier temps, nous avons comparé la loi canadienne à celle d’autres pays, puis nous avons recueilli les informations divulguées en 2020 par les entreprises assujetties afin de tracer un premier aperçu de la représentation des groupes désignés au sein des conseils et de la haute direction de ces entreprises. Nous avons ensuite comparé ces résultats aux données statistiques de la population canadienne, en tenant compte de différents facteurs, notamment l’âge et le niveau de scolarité.
À la lumière des résultats et des analyses comparatives, un certain nombre d’observations se révèlent et des constats s’imposent. Voici une synthèse des conclusions les plus marquantes :
- Le Canada se situe à l’avant-garde de cette recherche de diversité étendue au-delà de la représentation des femmes aux conseils d’administration pour inclure la diversité parmi les membres de la haute direction des sociétés assujetties à la loi, ainsi que la
place qu’y occupent ou devraient y occuper les peuples autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles. Le gouvernement canadien a opté pour une approche souple, insistant sur la divulgation, plutôt qu’une approche imposant des quotas, approche préconisée par certaines juridictions. - Les sociétés assujetties ont interprété très librement le règlement déterminant le nombre de membres de la haute direction qui doivent être considérés pour la divulgation. La définition au règlement prévoit une composition de 5 à 7 membres à la haute direction. Pourtant, les sociétés ont plutôt présenté une moyenne de plus de 16 membres à la haute direction. Avec une médiane de 10 membres, cela signifie que plus de la moitié des sociétés assujetties à la loi ont interprété le règlement de façon inexacte (mais correspondant probablement à leur définition de la haute direction), ce qui rend la comparabilité des données beaucoup plus difficile à cet égard.
- Le fait qu’une personne peut déterminer son appartenance à un groupe donné par auto-identification introduit un risque de non-divulgation ou un risque de divulgation opportuniste.
- En moyenne, les conseils d’administration des sociétés étudiées sont composés de 29,43 % de femmes, de 4,47 % de personnes issues de minorités visibles, de 0,60 % de groupes autochtones et de 0,49 % de personnes handicapées.
- La haute direction des sociétés étudiées est composée, en moyenne, de 23,94 % de femmes, 7,94 % de personnes issues de minorités visibles, 0,14 % de groupes autochtones et 0,35 % de personnes handicapées.
- Même si les gains réalisés au cours de la dernière décennie sont notables, il reste beaucoup à faire en matière de représentativité des femmes sur les conseils d’administration ainsi qu’au niveau de la haute direction des entreprises.
- En tenant compte de deux variables, soit l’âge et la scolarité, bien que ces deux facteurs ne soient pas les seuls déterminants de l’accès aux postes supérieurs, on constate une nette sous-représentation des membres issus des minorités visibles au
sein des conseils d’administration et des hautes directions des sociétés canadiennes cotées en bourse.
Le rythme de renouvellement des membres de conseils d’administration et des membres de la haute direction est lent. Quelques mesures peuvent accélérer ce rythme, mais l’expérience passée montre que les changements profonds ne sont apparents que sur des périodes de temps relativement longues.
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