19 avril 2010

La sombre affaire Goldman Sachs et ses suites…

Yvan Allaire | La Presse

Ce vendredi 16 avril, au terme d’une enquête commencée en août 2008, la Securities ans Exchange Commission (la commission américaine des valeurs mobilières) intentait une poursuite civile contre Goldman Sachs et un de ses employés. Cette affaire nous amène au cœur du labyrinthe nauséabond qui a causé la crise financière de 2007-2008. Les dérivés de crédit (les notoires credit derivatives swaps), faussement appelés assurance-crédit, en sont l’arme de destruction massive.

Les dérivés de crédit

Pour toute assurance conventionnelle, l’assuré doit démontrer une perte réelle pour être assurable et remboursé par l’assureur. Dans le cas des «dérivés de crédit», depuis la dérèglementation en 2000 sous forme du Commodity Futures Modernization Act, les pertes peuvent être virtuelles et spéculatives. Imaginons que l’on puisse prendre une assurance sur une maison dont on n’est ni propriétaire, ni créancier hypothécaire, tout simplement parce que l’on spécule qu’elle risque de passer au feu. Éventuellement, une maison de $100,000 pourrait porter pour $800,000 d’assurance, dont $700,000 détenus par des spéculateurs. Si cela était permis, il y aurait lieu de s’inquiéter pour le sort de cette maison. (Voir Y. Allaire, Forces, février 2008)

Or, il en est ainsi avec les dérivés de crédit. Les spéculateurs peuvent miser contre la dette d’une entreprise ou d’un pays ou contre la valeur d’un ensemble de dettes hypothécaires pour des montants supérieurs à la valeur nominale de cette dette et sans jamais avoir prêté un seul sou à cette entreprise ou ce pays ou sans avoir financé un seul dollar de cette dette hypothécaire.

L’art de spéculer!

Spéculer, c’est l’art de faire des paris qu’on ne risque pas de perdre. Au cours de 2007, la débandade des marchés hypothécaires américains approche ; elle est même visible pour tous ceux qui ne sont pas aveugles ou myopes. Il faut parier contre ce marché ; c’est-à-dire, acheter une assurance-crédit (des credit derivatives swaps) sur des ensembles d’hypothèques de piètre qualité, assurance qui prendra une grande valeur lorsque ces prêts seront en défaut.

Toutefois, un as de la spéculation ne se confine pas à parier sur la déconfiture de prêts de qualité douteuse. Le spéculateur pourrait se tromper et ainsi perdre son pari. Pourquoi ne pas demander à Goldman Sachs, en les payant adéquatement, d‘assembler les prêts dont lui, le spéculateur, en l’occurrence John Paulson, aurait influencé la qualité des prêts choisis. Cet ensemble de prêts hypothécaires, ayant reçu la bénédiction des agences de notation toujours coopératives et conciliantes, serait ensuite vendu par Goldman Sachs à des investisseurs institutionnels. Qui achète cette pourriture de produits financiers ? se demande un spéculateur rapporté dans l’ouvrage de Michael Lewis, The Big Short. Les stupides d’allemands ; ils prennent au sérieux les agences de notation ; ils croient dans les règles… ! Cette infirmité assez répandue offre des opportunités financières remarquables à qui sait en profiter.

Paulson achète alors une assurance-crédit sur cet assemblage de prêts d’une banque ou d’une société d’assurance évidemment non informée de cette manœuvre. Une telle opération conduite en mars 2007 résulta en la déconfiture de cet assemblage de prêts six mois plus tard comme prévu. Paulson reçut 1 milliard $ pour une assurance qui lui avait couté 5 million $. M. Paulson, propriétaire d’un fonds de couverture (un hedge fund, un terme moins rebutant que fonds de spéculation), a gagné en argent sonnant 3,7 milliards $ en 2007 grâce à ce type d’opérations.

La Securities and Exchange Commission vient de prendre action contre Goldman Sachs pour cette transaction, mais ne retient aucune accusation contre Paulson puisqu’il n’a fait aucune représentation aux investisseurs qui ont acheté ces tranches de prêts hypothécaires.

Une analogie

Voyons ce qui se passe ici avec l’exemple d’une maison sur-assurée et les risques qu’elle encoure. Mettre le feu à une maison est un acte criminel que le spéculateur ne veut pas commettre. Toutefois, s’il pouvait influencer, en les motivant financièrement, le développeur et le constructeur à construire des maisons qui souffrent de défauts de construction les rendant hautement susceptibles de prendre feu. Ayant reçu les approbations des inspecteurs, incompétents ou soudoyés, le développeur vend les maisons et le spéculateur achète de l’assurance-incendie sur ces maisons. Celui-ci attend tranquillement qu’elles brûlent pour récolter les montants de l’assurance. Cela semble tiré par les cheveux, grotesque même, mais c’est l’accusation portée contre le développeur et constructeur Goldman Sachs.

La défense de Goldman Sachs

Évidemment, Goldman Sachs se défend avec vigueur, plaidant que le choix éventuel des prêts était fait indépendamment de Paulson, que les investisseurs, tous expérimentés en ce domaine, savaient, ou auraient dû savoir, que des fonds misaient contre ces prêts, que Goldman a perdu quelque $ 75 millions en investissant dans cette structure, etc.

Or, quelle que soit la valeur de ces arguments, le chat est bel et bien sorti du sac. Les litiges privés et les poursuites par les agences de régulation contre tous ces intermédiaires financiers vont se multiplier. Une autre belle occasion pour les spéculateurs : vendre à découvert les titres de Goldman Sachs et de toutes les firmes financières en cause et acheter des dérivés de crédit sur leurs dettes !

Ce qui est immoral mais pas illégal, voilà le terreau fertile de la spéculation.