La gouvernance de Montréal: Un enjeu ou une chimère?
Yvan Allaire | Lesaffaires.comEn conséquence de décisions prises par des gouvernements successifs à Québec, la gouvernance de Montréal est passée du labyrinthe au dédale à l’embrouillamini. C’est comme si on avait demandé à Salvatore Dali de nous concevoir une structure pour gérer et gouverner Montréal.
Depuis trente ans, les rapports sur son avenir, sa gestion et sa gouvernance font plier au moins une étagère poussiéreuse de quelque bibliothèque : rapports Picard, Pichette, Bédard et Bernard.
Le dernier en date de ces rapports est celui du Groupe de travail co-présidé par Marcel Côté (ci-devant candidat à la mairie de Montréal) et Claude Séguin. Ce rapport, rendu public en mars 2010, comporte 33 recommandations visant à améliorer la gestion, la gouvernance et la performance économique de Montréal.
Les auteurs du rapport écrivaient en son paragraphe ultime :
«Nous avons aussi rencontré beaucoup de cynisme par rapport à la capacité de la région de changer et même de se mobiliser. Ce cynisme, nous le rejetons. Nous pouvons faire mieux. En fait, ce qui se dégage de nos rencontres, c’est que tout le monde veut faire mieux.
«Ensemble, nous pouvons agir et faire de la métropole du Québec une grande ville, dans le respect de sa complexité et de sa richesse.»
Le triste paysage de la politique, de la gestion et de la gouvernance à Montréal que dépeint chaque jour la commission Charbonneau vient exacerber le cynisme ambiant, mais cela ne fait que rendre plus urgent encore d’agir pour que cela change.
Il est curieux que durant cette campagne électorale, ce rapport, pourtant signé par l’un des candidats à la mairie de Montréal, soit évacué du débat.
Avant de traiter de la substance des propositions de gouvernance que ce rapport contient, on doit noter comment il est difficile d’informer et d’engager la population à propos d’enjeux de fonds un peu complexes au cours d’une campagne électorale.
Il me semble que l’on aurait pu prévoir un débat sur les questions de fonds structuré de la façon suivante :
- Une période de 10 minutes allouée à chacun des candidats pour lui permettre d’expliquer son programme, sa vision pour Montréal, sa compréhension des principaux enjeux;
- Une période de quarante minutes au cours de laquelle des journalistes spécialisés des affaires municipales interrogeraient les candidats;
- Une période de 5 minutes allouée à chaque candidat pour tirer les conclusions de ces échanges qui leur semblent favorables à leur candidature.
Il est probable que les médias de masse trouvent un tel format indigeste, peu susceptible de retenir l’intérêt des téléspectateurs. Alors, ne soyons pas surpris de l’importance que prend dans la campagne en cours le sens de la répartie et de la formule.
Il me semble toutefois que cette forme de débat pourrait trouver sa place sur les ondes radio ou sur les nombreux canaux de télévision non commerciaux maintenant disponibles.
Dans un contexte de mesures draconiennes pour limiter les dépenses électorales et la levée de fonds par les candidats, la démocratie doit s’en remettre aux médias pour informer la population des programmes, des priorités et des visions des différents candidats.
Les recommandations sur la gouvernance
Que recommandait donc le rapport Côté-Séguin, entre autres, pour composer avec une gouvernance de toute évidence déficiente, et ce bien avant les révélations de la commission Charbonneau.
D’entrée de jeu, le groupe de travail évite l’écueil qui aurait consisté à proposer une nouvelle structure, scintillante par sa simplicité mais utopique dans sa réalisation.
Le rapport débute par un petit cours, gouvernance 101, sur comment s’y prennent d’autres organisations complexes pour composer avec la complexité. Les auteurs constatent l’absence de véritables contrepoids («checks-and-balances») dans la gestion de l’appareil municipal montréalais. Le rapport propose une fonction centrale, un peu comme le conseil du trésor à Québec ou à Ottawa, pour donner un avis indépendant aux décideurs politiques.
Recommandation 1:
«La Ville de Montréal doit se doter d’une fonction centrale pour analyser de façon autonome la valeur et les options de tout dossier ayant des incidences financières importantes avant que celui-ci soit soumis pour approbation aux autorités politiques.»
Les auteurs du rapport savent comment les organisations complexes ont appris à protéger l’autonomie essentielle au bon fonctionnement des entités qui les composent tout en assurant à l’entité centrale un droit de regard et d’approbation en conformité avec ses responsabilités et son imputabilité. Pour ce faire, il faut enchâsser cette autonomie dans un système de gouvernance.
Recommandation 3 :
«La Charte de la Ville de Montréal devrait être amendée pour que les directeurs d’arrondissement soient nommés par le directeur général de la Ville, après consultations appropriées, et qu’ils relèvent administrativement de son autorité. Il devrait aussi en être ainsi des directeurs financiers, qui pour leur part relèveraient administrativement du directeur des finances de la Ville de Montréal.»
La gouvernance exercée par les élus, en matière de probité, de contrôle financier et d’imputabilité repose, entre autres, sur le comité de vérification du conseil, sur le vérificateur interne et les vérificateurs externes.
Le rapport Côté-Séguin fait des propositions précises pour améliorer cet aspect de la gouvernance de la ville.
Ainsi :
Recommandation 4 :
«Le conseil municipal devrait revoir la composition du comité de vérification, pour y assurer une représentation majoritaire de membres indépendants et l’absence de membres du comité exécutif.»
Une relation privilégiée devrait être établie entre le comité de vérification et le vérificateur interne de la Ville, un fonctionnaire qui est sous l’autorité du directeur général. Il est d’usage dans les entreprises publiques que le vérificateur interne puisse s’entretenir en toute confidentialité avec le comité de vérification. Cette pratique mériterait d’être instaurée à la Ville de Montréal.
Ce rapport contient aussi des recommandations touchant à la fiscalité, au transport communautaire, aux relations avec le gouvernement du Québec et à la représentation internationale de Montréal. Il ne tranche pas tous les nœuds gordiens qui paralysent le fonctionnement de Montréal, mais il représente ce qui s’est fait de mieux à ce jour pour sortir Montréal de son marasme.
Dommage que ce rapport s’empoussière alors que ses recommandations le placent au cœur même des enjeux critiques pour Montréal!!!
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.