La gouvernance à l’ère Internet
Yvan Allaire | Les AffairesL’Internet exerce déjà une grande influence sur la gouvernance des entreprises. Cette influence devrait s’amplifier au cours des prochaines années. Aucun doute, l’Internet joue depuis une dizaine d’années un rôle de plus en plus important dans la diffusion de l’information aux actionnaires et ainsi qu’au grand public.
Les entreprises, par le truchement de leur site Web, informent instantanément et simultanément de leurs décisions toutes les parties intéressées, donnent accès en temps réel aux présentations stratégiques et financières sur la société ainsi qu’aux échanges avec les analystes et journalistes, lesquels étaient naguère réservés à un public restreint.
De plus, puisque toute l’information pertinente reste disponible sur le site pour une longue période de temps, les sites Web des entreprises deviennent de véritables archives faciles d’accès pour analystes, investisseurs, journalistes… et chercheurs universitaires. Cela est fort bien et contribue à relever le niveau et la qualité de l’information à portée de main.
Cependant, l’Internet pourrait également contribuer de deux autres façons à l’amélioration de la gouvernance des entreprises :
1. En remplaçant le système désuet d’envois postaux de procurations ainsi que la démarche de votation aux assemblées générales des actionnaires.
Le système actuel a été conçu pour un autre univers de placement, fait d’un actionnariat stable, d’une détention physique des certificats d’action, d’une relative absence de produits dérivés et de ventes à découvert.
Dans cet univers d’antan, l’actionnaire inscrit au registre des actionnaires à une date précise (moins de soixante jours avant l’assemblée annuelle) avait le droit de voter ou de faire parvenir habituellement à la direction une procuration lui donnant le droit de voter en son nom.
Or, en ces temps-ci, les nombreuses transactions sur le titre effectuées entre cette date officielle d’inscription au registre et la date de l’assemblée annuelle, font en sorte que beaucoup d’actionnaires inscrits auront vendu leurs actions avant l’assemblée annuelle mais pourtant conserveront le droit de voter. Par exemple, pour la société Alcan, les actionnaires inscrits au registre le 27 février 2006 avaient droit de vote à l’assemblée annuelle des actionnaires tenue le 27 avril 2006. Durant les quelque 43 jours ouvrables entre ces deux dates, environ 70 million d’actions d’Alcan, soit près de 20% des actions en cours, ont changé de main.
L’Internet peut contribuer à corriger ces lacunes :
- par l’utilisation de procurations électroniques, on pourrait rapprocher la date d’inscription au registre de la date de l’assemblée annuelle et ainsi éliminer une bonne partie du problème;
- par la mise en place d’un système de vote électronique qui donnerait aux actionnaires la possibilité de voter directement pour ou contre les propositions soumises aux assemblées annuelles.
2. En relevant la quantité et la qualité de l’information disponible aux membres des conseils d’administration.
Il est fréquent que deux parties à un échange soient inégales en connaissances, en compétence et, surtout, quant à l’information détenue. Cette asymétrie est caractéristique de la relation entre le médecin et son patient, l’avocat et son client mais aussi entre la direction de l’entreprise et les membres de son conseil.
Il est évident, au grand dam de plusieurs médecins, que la pratique de la médecine sera transformée par le fait que, de plus en plus, les patients se présenteront chez leur médecin armés d’une abondante information recueillie sur l’Internet à propos de leurs symptômes, des diagnostics, des traitements suggérés et des ordonnances appropriées. Bon gré, mauvais gré, les médecins devront s’adapter au phénomène, se maintenir au fait des derniers développements et engager un véritable dialogue avec un patient mieux, ou parfois mal, informé.
L’Internet confère à ceux qui savent s’en servir, un pouvoir remarquable d’accès à l’information. Cet outil devient indispensable pour tout membre de conseil qui veut jouer pleinement son rôle d’administrateur. L’Internet donne un accès direct et non filtré à une riche information sur l’entreprise et ses concurrents, sur les contextes industriels et économiques; pour tout sujet de nature stratégique à l’ordre du jour d’une réunion, l’administrateur peut consulter rapidement une panoplie d’informations pertinentes de sorte que le dialogue entre le conseil et les membres de la direction soit plus productif, plus «égalitaire» quant à la qualité et la quantité d’information disponible. Ainsi, les administrateurs augmenteront leur crédibilité vis-à-vis de la direction.
Si l’information, c’est le pouvoir, alors l’Internet, c’est le partage massif et démocratique du pouvoir. Tous les programmes de formation pour futurs administrateurs de sociétés devraient comporter de solides sessions sur comment un administrateur devrait utiliser l’Internet pour relever la pertinence de ses interventions au conseil.
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