La démocratie et le droit de vote des actionnaires
Yvan Allaire | Les AffairesNaguère, l’entreprise cotée en bourse comptait parmi ses actionnaires des individus, des fonds mutuels et des fonds des régimes de retraite; ces actionnaires comptaient sur un dividende assuré et croissant ainsi que sur une appréciation à long terme de la valeur de leurs actions.
Cette époque est largement révolue. Le terme « actionnaires » désigne maintenant, en plus des investisseurs traditionnels, un ensemble de spéculateurs et de gestionnaires de fonds aux stratégies complexes et « opaques ».
En particulier, les quelques 8 000 fonds dits de « couverture » (hedge funds en anglais) gérant plus de mille milliards de $ sont devenus des intervenants décisifs sur les marchés boursiers. Certains estimés leur attribuent entre un tiers et la moitié de toutes les transactions à la bourse de New York ainsi que 70 % de toutes les transactions sur les titres convertibles.
Or, la nature de certains de ces fonds et leur structure de rémunération les incitent à toutes les astuces pour réaliser des performances spectaculaires à court terme. Pour y arriver, ils n’hésitent pas, lorsqu’actionnaires d’une entreprise, à faire pression sur celle-ci pour qu’elle prenne des mesures draconiennes qui ne sont pas toujours dans l’intérêt, à long terme, de l’entreprise et de ses actionnaires.
Il est évident que la présence d’un actionnaire de contrôle (par actions multi-votantes ou autrement) diminue l’influence potentielle de ces « investisseurs » passagers; en fait, ceux-ci montrent peu d’intérêt pour ce type d’entreprises.
Dans cet univers d’ « actionnaires » nouveaux aux mobiles divergents de l’actionnaire traditionnel, peut-être est-il temps de revoir les principes encadrant le droit de vote chez les actionnaires des entreprises.
Au lieu du sempiternel débat entre les tenants et opposants des actions à vote multiple, il conviendrait peut-être de considérer les catégories suivantes d’actionnaires :
I : détient les actions depuis moins d’un an
II : détient les actions depuis plus d’un an mais moins de deux ans
III : détient les actions depuis plus de deux ans mais moins de cinq ans
IV : détient les actions depuis plus de cinq ans
Ainsi, le nombre de votes associé à chaque catégorie d’actionnaires pourrait varier ainsi :
Catégories Nombre de votes
I 0
II 1
III 2
IV 5
Alors, tout actionnaire « loyal » pourrait obtenir de multiples votes et jouir d’une plus grande influence dans l’élection des administrateurs. L’entrepreneur, lors de la première ouverture de son capital au public, jouirait automatiquement de bénéfices de la catégorie IV, c’est-à-dire cinq votes par action. Cette disposition fait en sorte qu’il conserve le contrôle de sa société tant qu’il détient au moins 16,75 % des actions; à moins bien sûr que l’entreprise compte beaucoup d’actionnaires loyaux; alors, au fil du temps, l’entrepreneur devra partager le contrôle avec ces actionnaires.
Évidemment, un changement d’une telle importance ne peut être mis en place rapidement; il serait possible cependant, dans un premier temps, d’imposer une période minimale de détention (disons un an) avant que des actions acquièrent le droit de vote.
Toutes les démocraties exigent un temps de résidence minimal avant qu’un nouvel arrivant ait le droit de devenir « citoyen » et d’exercer son droit de vote. Les touristes et autres voyageurs qui sont au pays au moment d’une élection n’ont pas de ce simple fait le droit de voter. L’analogie est valable. Il est temps de mieux encadrer la pratique démocratique dans l’actionnariat des sociétés.