12 juin 2012

Greenspan, l’oracle déchu

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

Alan Greenspan, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, est en ville. Présumant que les populations souffrent d’un Alzheimer collectif, celui qui porte une lourde responsabilité pour la terrible crise financière de 2008 fait la tournée des conférences internationales, donne des interviews aux média crédules, tâchant péniblement de se transformer en oracle de la finance internationale.

Greenspan, naguère encensé comme le maestro de l’économie américaine, s’avéra le porteur d’une idéologie néolibérale primaire et pernicieuse. En voici les conséquences :

  • Tout au cours des années 1990, il fut, avec Robert Rubin, le secrétaire au Trésor de Bill Clinton, le plus déterminé promoteur de l’élimination du Glass-Steagall Act, cette loi adoptée en 1934 pour défendre aux banques commerciales de s’engager dans des activités de courtage, d’assurance et de banques d’affaires. Cette loi, finalement abrogée en 1999, contribua à l’absence relative de crise financière aux États-Unis pendant 70 ans ; Greenspan continue de prétendre que la mise au rancart de Glass-Steagall n’a aucunement contribué à la crise financière de 2008 ; des gens plus futés que lui voient au contraire en cette déchéance de la loi une des causes fondamentales de la crise ; le propos de Greenspan surprend au moment même où JPMorgan Chase perd $2 à 5 milliards dans une opération de spéculation, du genre que cherche malhabilement à interdire la loi Dodd-Frank et que la loi Glass-Steagall aurait interdit.
  • Puis en 1998 lorsque la Commodity Futures Trading Commission (la CFTC) proposa de règlementer les produits dérivés transigés de gré à gré (over-the-counter derivatives), Greenspan et ses comparses, Rubin (puis Larry Summers, son remplaçant au Trésor) et Arthur Leavitt, le président de la SEC (Securities and Exchange Commission), montèrent aux barricades pour tuer cette velléité de règlementation. Ce formidable trio n’eut aucune difficulté à convaincre Clinton d’écarter de la CFTC son outrecuidante présidente et de remiser aux oubliettes son projet de règlementer les produits dérivés. Sans encombrement règlementaire, l’un de ces produits, les fameux dérivés de crédit (credit derivatives swaps ou CDS), prit son envol vers les stratosphères, atteignant à la veille de la crise financière la somme de $57,000 milliards. Ce produit dérivé fut au cœur des spéculations les plus outrancières, tout en camouflant les véritables risques du système. Greenspan porte une responsabilité incontournable pour la débâcle qui en résultat.
  • Durant sa présidence de la Réserve fédérale, Greenspan stimula l’économie américaine par des taux d’intérêts très bas qui eurent pour effet un endettement élevé des ménages, un boom immobilier et une augmentation insoutenable du prix des maisons. Averti des risques de cette politique, mis devant les pratiques risquées des intervenants financiers, Greenspan, qui en avait l’autorité, refusa d’intervenir ; sa foi idéologique dans l’efficience des marchés lui commandait un laissez-faire bienveillant envers cette spéculation débridée.

Appelé à témoigner devant un comité du Congrès américain en octobre 2008, Greenspan fut soumis à un interrogatoire virulent au cours duquel il dut admettre, avec réticence, qu’il avait eu tort, que sa confiance aveugle dans les vertus des marchés « libres » l’avait aveuglé, qu’il y avait une faille dans son idéologie mais « qu’il ne savait pas combien significative était cette faille et si elle était permanente ». Bien mince consolation pour les millions de personnes de par le monde qui continuent de souffrir des séquelles de la crise financière de 2008.

Greenspan devrait confesser ses fautes, demander pardon et rentrer dans ses terres.

(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).