7 septembre 2023

Gouvernance et r̩mun̩ration РLa mine du lac Bloom dans un palmar̬s peu reluisant

Julien Arsenault | La Presse

En changeant les règles du jeu pour gonfler les primes de ses patrons même s’ils ratent leurs cibles financières, le propriétaire du complexe minier du lac Bloom, près de Fermont, figure dans un palmarès peu reluisant : celui des entreprises qui déclenchent une fronde des actionnaires sur la question de la rémunération.

Les largesses de Champion Iron Limited, éventées par La Presse le 22 août dernier, ne passent pas auprès de ses actionnaires, parmi lesquels on retrouve l’État québécois et la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). Dans une proportion d’environ 54 %, ils ont rejeté l’approche de la société minière en matière de rémunération.

Parmi les entreprises cotées en Bourse, les situations de ce genre sont rarissimes. Au Canada, on ne recense que trois autres cas – Agnico Eagle (mines), First Majestic Silver (mines) et Aimia (société de portefeuille) – pendant les six premiers mois de l’année, selon Institutional Shareholder Services (ISS), l’une des principales firmes de conseils aux actionnaires dans le monde.

« Ce sont des cas exceptionnels », explique François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP), en entrevue téléphonique. « Quand on est incapable d’obtenir la note de passage [60 % ], c’est un signal très dur. Cela témoigne que l’on s’attend à des changements importants ou à des explications. »

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Bon an mal an, les politiques de rémunération récoltent environ 91,5 % d’appuis au Canada, d’après les estimations de Hugessen Consulting, un cabinet-conseil en matière de gouvernance. Champion Iron Limited a du pain sur la planche si elle veut se rapprocher de cet indicateur.

Le vote sur les émoluments est non contraignant. Dans les faits, rien n’oblige l’entreprise à changer quoi que ce soit. Cependant, quand plus d’un actionnaire sur deux est insatisfait, le message est clair : on s’attend à des changements, affirme M. Dauphin.

« On pourrait commencer à s’en tenir aux objectifs fixés en début d’année plutôt que de les modifier, dit l’expert. Le niveau de risque doit être similaire pour la direction et les actionnaires. »

Avec une participation de 8,4 %, Investissement Québec est le deuxième actionnaire en importance de la minière. Le bras financier de l’État québécois n’a pas voulu commenter la situation. La Caisse de dépôt, 13e actionnaire en importance avec 1,1 % des titres en circulation, n’a pas participé à la fronde des porteurs de titres. Elle a cependant exprimé le fond de sa pensée à l’entreprise.

« Nous avons communiqué formellement nos attentes entourant les pratiques de rémunération et nous nous attendons à ce que l’entreprise effectue les ajustements nécessaires », affirme la porte-parole de la CDPQ, Kate Monfette.

En deçà des attentes

Les cadres de Champion Iron, société mère de Minerai de fer Québec (MFQ), ont raté leurs cibles financières l’an dernier. Cela n’a pas freiné l’élan de générosité du conseil d’administration. Il a décidé que le multiplicateur du salaire de base pour déterminer la prime annuelle passerait de 33,5 % à 50 % en raison de « conditions macroéconomiques difficiles », de l’« environnement inflationniste » et des « vents contraires importants auxquels l’industrie du minerai de fer a été confrontée ». Cela a aidé les principaux patrons de Champion Iron à obtenir 12,8 millions en rémunération globale, qui tient compte du salaire de base, des primes et autres avantages.

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La société a vu ses profits chuter de 62 %, à 200 millions.

« Nous prenons acte des résultats du vote et nous entendons apporter des ajustements au processus de rémunération. » (Noémie Prégent-Charlebois, cheffe des affaires publiques, dans un courriel)

Avant même la tenue de son assemblée annuelle, qui s’est déroulée le 30 août dernier, ISS, qui conseille les grands investisseurs institutionnels, n’était pas tendre à l’endroit de Champion Iron. Dans un rapport diffusé à la mi-août, la firme internationale estimait que les « pratiques salariales problématiques » sont « persistantes » au sein de cette entreprise.

« Elles sont incompatibles avec les attentes en matière de bonne gouvernance, écrivent les analystes d’ISS. Le conseil a exercé un pouvoir discrétionnaire [sur la question des primes] sans divulgation appropriée des indicateurs de performance pertinents. »

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