Gouvernance et lecture en diagonale!
Yvan Allaire | Les AffairesQuel membre de conseil, «mon semblable, mon frère» (et bientôt, «ma sœur») n’a pas à l’occasion «lu en diagonale» un épais document, farci de chiffres et de notes, produit, vérifié et contre-vérifié par toute la gendarmerie légale et comptable au service de l’entreprise ?
Cette question, un tantinet impertinente, a pris du relief la semaine dernière lors du témoignage au procès de Black et comparses des trois membres du comité de vérification de Hollinger International.
À plusieurs reprises, ceux-ci ont admis avoir lu en diagonale certains documents expliquant ainsi pourquoi des informations cruciales leur avaient échappées.
Est-on imputable d’une information que l’on nous a fournie mais que l’on n’a pas lue? L’enjeu est de taille – quelques dizaines d’années en prison!
Malheureusement, le cas d’espèce, Black, Hollinger et les autres, ne peut guère nous éclairer sur cette question. En effet, le comité de vérification ne peut prétendre que, parce qu’inattentif, il ignorait que des montants importants seraient payés à Black, Radler et d’autres pour leur assentiment à des clauses de non-concurrence lors de la vente de divers journaux.
L’information pertinente, troublante, voire choquante, est étalée en pleine vue dans l’avis de convocation aux actionnaires du 1er avril 2002. Ce document annuel, qui ne fait que 22 pages, revêt une importance capitale parce qu’on y dévoile les rémunérations des dirigeants, les noms des candidats comme administrateurs ainsi que toute transaction entre la société et des parties liées à celle-ci (related-party transactions).
En noir et blanc, ce document annonce que, au cours de l’année 2001, quelque $ 10 millions (américains), ont été payés à Conrad Black et la même somme à David Radler en vertu des accords de non-concurrence agréés par ceux-ci lors de la vente de certains journaux. Ces transactions ont reçu l’approbation du comité de vérification, assure le document.
Au sujet de la vente des journaux canadiens (dont le National Post) à CanWest, le mémoire de délibérations du comité de vérification tenu le 11 septembre 2000 stipule «que l’exécution d’un accord de non-concurrence par Messieurs Black et Radler, individuellement, fut requis par CanWest et que CanWest insista pour que Messieurs Black et Radler reçoivent chacun C$26 millions…»
Il est bien possible, même probable, que CanWest n’ait jamais imposé une telle condition. Certaines informations fournies au comité de vérification par Black et Radler étaient incomplètes, trompeuses ou carrément fausses.
Quoi qu’il en soit, le comité de vérification a bel et bien donné son approbation au paiement de sommes énormes directement à Black, Radler et autres, sans sourciller, sans obtenir de l’acheteur une confirmation de ses exigences en matière de non-concurrence, sans retenir les services de quelque aviseur pour apprécier leurs responsabilités envers Holllinger Inernational et ses actionnaires minoritaires.
Pourtant, ces membres «indépendants» du comité de vérification, soucieux d’adhérer aux principes de bonne gouvernance, s’étaient dotés, en mai 1999, d’une «charte des responsabilités du comité de gouvernance». Celle-ci se conforme en tout point aux exigences de la plus orthodoxe gouvernance; en particulier, cette charte stipule à l’article 10 que «le comité de vérification a le pouvoir de mener, ou d’autoriser, des enquêtes sur toute matière qui est du ressort du comité. Le comité de vérification est autorisé à retenir les services de conseillers juridiques indépendants, de comptables ou autres pour l’appuyer dans sa démarche d’enquête».
En ce sens, Black a raison d’affirmer haut et fort que tous les montants qui lui ont été versés furent approuvés par le comité de vérification dont c’était la responsabilité. Les mensonges et demi-vérités de Black n’excusent pas l’irresponsabilité du comité de vérification.
Les membres de ce comité plaident qu’ils ont lu les documents en diagonale, et qu’on leur a menti. Eussent-ils été plus vigilants, plus sceptiques, plus inquiets des intérêts des actionnaires minoritaires, eussent-ils relus et mis en vigueur la charte du comité, ils auraient pu éviter ce fiasco à Hollinger, à ses actionnaires et… à Black lui-même.